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Actualité de Simone Weil. 3
« Les écrits de Marseille. II »
Retour sur l’avant-dernier numéro des Cahiers Simone Weil, Tome xxxv - N° 4 décembre 2012

Actualité de Simone Weil. 3

Retour sur l’avant-dernier numéro des
Cahiers Simone Weil
Tome xxxv - N° 4 décembre 2012
« Les écrits de Marseille. II »

CSW


Nous allons évoquer le riche article de Charles Jacquier :

« Simone Weil, les réfugiés et les camps du sud de la France » [1]


Du 15 septembre 1940 au 14 mai 1942, Simone Weil, réfugiée parmi les réfugiés, s’intéressa à leur sort en zone sud, comme elle avait aidé les Allemands qui avaient fui l’hitlérisme à partir de 1933.
C. Jacquier revient d’ailleurs sur les actions de solidarité qu’elle mena à l’égard des réfugiés antinazis allemands avant 1939-1940, notamment avec ses amis de la revue La Révolution prolétarienne [2] .

Dans le même ordre d’idées, il rappelle que « tous ceux qui partageaient sa culture politique avaient été frappés par la répression coloniale en Indochine au début des années 1930 ». S. Weil avait rédigé en 1936-1937 une « Lettre aux Indochinois » qui restera à l’état de projet.

À Marseille, la plupart des Indochinois sont des ONS, des « Ouvriers non Spécialisés », volontaires (10 à 30 %) et surtout requis, recrutés par le Ministère des colonies en vertu de la loi du 11 juillet 1938 [3]. Au moment de l’armistice, la zone Sud comptait environ 19000 ONS, sensés être exploités dans l’industrie de guerre. Celle-ci n’ayant plus besoin d’eux, quelque 6700 « exilés de force » végétaient dans des conditions difficiles et humiliantes à Marseille (camps Lyautey, Joffre et Gallieni), quand ils n’étaient pas livrés en tant que main d’œuvre gratuite aux entrepreneurs locaux.
S. Weil se démena auprès des autorités et des syndicats pour dénoncer et améliorer, un tant soit peu, leur sort.

Simone Weil en 1942 à Marseille [4]


S. Weil se mit en rapport avec le « Centre Américain de Secours » fondé par Varian Fry à la mi-août 1940, dont de nombreux livres et travaux [5] ont étudié l’action remarquable.
Aux États-Unis, Fry s’était auparavant investi « dans un comité en faveur de l’Espagne républicaine, tout en s’opposant aux tentatives de mainmise sur ce dernier des communistes et de leurs compagnons de route », rappelle C. Jacquier.

Dès son arrivée à Marseille, Fry charge Daniel Bénédite « d’enquêter sur le régime même des camps, de localiser un certain nombre de [nos] protégés qui s’y morfondaient, et de [se] renseigner sur les conditions auxquelles on pourrait obtenir leur libération. » S. Weil eut connaissance de ces rapports confidentiels du CAS, et peut-être même y participa-t-elle.
On trouve dans le chapitre IV des O. C. [6] intitulé « Questions politiques et sociales », des écrits de Simone Weil se rapportant à la politique pénale du régime de Vichy à l’égard des étrangers et aux camps d’internements français : Gurs (Pyrénées-Atlantiques), Argelès et Saint-Cyprien (Pyrénées Orientales), Hôtel Bompard (Marseille), Damigny (Orne), et autres [7].

Simone Weil et Antonio Atarés

S. Weil entendit aussi parler du camp du Vernet d’Ariège, d’où son ami Nicolas Lazarevitch s’échappa après l’armistice [8].
Il évoqua Antonio Atarés, un paysan espagnol rencontré dans ce camp, qui ne connaissait personne et ne recevait aucune aide. Elle décida le 10 mars 1941 de lui écrire, et une correspondance s’établit entre eux ; seules les lettres de S. Weil ont été retrouvées. [9]
Juste après, en avril 1941, Antonio Atarés fut déporté en Algérie française, au camp de Djelfa, dans le cadre d’une vaste opération qui visait « 5000 Français et étrangers, tous considérés comme “dangereux pour la sûreté nationale” [qui furent] transférés à fond de cale, via Port-Vendres. »
C. Jacquier : « Simone Weil lui envoya des livres, des paquets, des mandats, lui recopia des coplas dont l’une servira de titre au film documentaire de David Yvon, Les oiseaux d’Arabie [10]. »
La correspondance entre eux s’arrêtera en mai 1942, avec le départ de Simone Weil pour New York.

La fiche de cet exilé espagnol a été exhumée des archives, et petit à petit son identité et son parcours se sont précisés. Il s’agit d’Antonio Atarés Oliván, né le 9 octobre 1909 à Almudévar, province de Huesca. Lors du soulèvement militaire du 18 juillet 1936, le village tomba dans les mains des franquistes.
Dans une liste de fusillés de cette province on trouve les noms des trois frères d’Antonio : [11]

« Atarés Oliván, Ángel. Almudévar. Hijo de Matías y Carmen. 32 años, jornalero, soltero. Ing 26-7-36, lib 25-9-36. LA24, 27-9-36 [12]
Atarés Oliván, Francisco. Hermano del anterior. 19 años, obrero, ing 24-7-36, lib 30-8-36
Atarés Oliván, Matías. Hermano de los anteriores, 37 años, labrador, soltero, ing 26-7-36, lib 30-8-36. »


L’article de Bernard Sicot « L’anarchiste et la philosophe : Antonio Atarés et Simone Weil (1941-1951) [13] » nous apporte des éléments supplémentaires, qu’il a notamment puisé dans l’ouvrage de notre ami de Huesca, Raùl Otal :

« Ce qu’a connu le jeune Aragonais, c’est un milieu rural particulièrement âpre (son père, Matías, principalement tondeur de moutons, décédé avant la guerre, était l’un des nombreux villageois sans terre d’Almudévar), au mieux quelques années d’assistance irrégulière à l’école primaire. En même temps, ou très tôt les travaux des champs, comme pour ses frères. Un long service militaire à Jaca, durant lequel, en décembre 1930, son régiment est amené à prendre part au soulèvement des capitaines républicains Galán et García Hernández. De retour chez lui, sa participation aux actions du syndicat anarchiste CNT, suite à l’insurrection libertaire qui se déclara dans plusieurs régions d’Espagne, lui vaut une première incarcération, à Huesca de décembre 1933 à septembre 1934, pour « agression à la force publique » ; une deuxième, d’avril 1935 à février 1936, au pénitencier de El Dueso (province de Cantabrie), pour le même chef d’accusation. Fin juillet 1936, après l’échec de la résistance antifranquiste d’Almudévar à laquelle il participe, il poursuit ailleurs le combat, échappant ainsi aux nombreuses arrestations et exécutions qui s’y produisent. Arrêtés au village, trois de ses frères (Matías, Ángel, Francisco, âgés respectivement de 37, 32 et 19 ans) sont transférés à la prison de Huesca et exécutés quelques semaines plus tard. En décembre 1936, avec la centurie de Benito Gil Abiol [14], Atarés participe à la bataille de Belchite ; blessé, il est transféré dans un hôpital de Barcelone. Sa mère, Carmen Oliván Cinto (63 ans) sera incarcérée à la prison de Huesca en mai 1937, puis transférée rapidement à l’hôpital de cette ville et, en janvier 1938, à l’asile d’aliénés de Saragosse où elle décède. À partir de ce moment, la famille d’Antonio Atarés se réduit à lui-même et à José, le plus jeune des cinq frères, qui habitait à Huesca [15].

Suite à son hospitalisation, il y a un vide d’informations pour les années 1937-1938. De Barcelone, Atarés quitte l’Espagne fin janvier ou début février 1939, au moment des grands mouvements d’exode vers la France, puisqu’il est interné dès le 9 février selon une information du CAOM : « [Atarés], anciennement à la 3e CTE […] Saint-Médard, interné par arrêté du préfet des Pyrénées Orientales le 9 février 1939, est arrivé au camp de Djelfa le 29 avril 1941 ». Mais cette information, singulièrement elliptique, omet le transfert au Vernet d’Ariège où les premiers grands contingents d’internés (notamment les anarchistes de la 26e division Durruti et de la 24e García Vivancos) arrivent dès le début février 1939 [16], ainsi que les dates de son intégration à la 3e Compagnie de travailleurs étrangers. Celle du 6 juin 1940, indiquée sur la fiche du Vernet avec mention du département de la Gironde, correspond apparemment à la fin de la période passée à la 3e CTE, à Saint-Médard-en-Jalles, à partir du moment où, en septembre 1939, Le Vernet se vide pour quelque temps. Le schéma possible du parcours d’Atarés en France pourrait alors être le suivant : début février 1939, passage de la frontière et transfert, dans la mouvance des troupes anarchistes, au camp du Vernet. De septembre 1939 à juin 1940, enrôlement dans la 3e CTE. En juin 1940, nouvel internement au Vernet d’Ariège d’où s’effectue, le 24 avril 1941, son transfert vers Djelfa, en Algérie, via Argelès selon la fiche établie au camp du Vernet puis Port-Vendres et Alger. »



Camp de concentration de Djelfa. Epoque coloniale, par Chouiha AEK

Libéré du camp de Djelfa, « Antonio Atarés prit le train pour Oran le 26 mai 1943 et put gagner l’Amérique latine. Après la guerre, de Buenos Aires, il entretint une correspondance avec Selma Weil, en souvenir de sa fille… » conclut C. Jacquier.

« Elle comme moi nous étions de grands admirateurs de la beauté spirituelle car nous considérions que seule cette beauté peut adoucir la société face au chaos dans lequel elle se trouve. [17] »




Les Giménologues, 9 avril 2013