Bandeau
Les Gimenologues
Slogan du site
Descriptif du site
LA FEUILLE CHARBINOISE

sur les indésirables espagnols

Voici un document que l’on nous a signalé (rédigé avant notre texte sur les « Étrangers indésirables ») et qui se trouve sur le blog :

https://www.lafeuillecharbinoise.com/?p=3562

Il est suivi d’une partie des commentaires qu’il a suscités.(communication faite avec l’autorisation de l’auteur) :

Le camp d’internement d’Arandon (Isère) en 1939

Avant d’aborder ce qui va être le sujet propre de cette chronique, je voudrais vous raconter dans quelles circonstances j’ai été amené à m’y intéresser. Le cheminement est assez simple mais le résultat m’a plutôt surpris. L’article “tranche de vie rurale” publié le 12 janvier est le résultat d’un travail de recherche relativement long dans les archives familiales ainsi que dans diverses revues et études sur l’histoire régionale.
Pour vérifier certaines de mes informations, j’ai terminé en faisant une recherche sur “Google” concernant le village d’Arandon dans les temps anciens, et j’ai fini par découvrir que ce village a hébergé un camp d’internement avant et pendant la deuxième guerre mondiale, pour les réfugiés espagnols dans un premier temps, mais aussi pour les citoyens autrichiens et allemands jugés indésirables (beaucoup de juifs parmi eux) et sans doute pour divers autres prisonniers (politiques, résistants) avant leur transfert dans d’autres lieux. Rien d’étonnant à tout cela me direz vous ; de tels lieux tristement célèbres ont existé ailleurs en France. Certes, mais ce qui me surprend c’est “l’amnésie” quasi totale concernant ce lieu d’enfermement aussi bien du côté de la mémoire des “anciens” que de celle de l’administration française. Il se trouve que j’habite la région depuis plus de trente ans et que l’histoire locale ne m’est pas indifférente : je n’ai jamais entendu parler de ce camp (ainsi que d’autres situés en Isère), alors que le village d’Arandon se trouve à une dizaine de kilomètres de la maison.
Je m’intéresse par ailleurs beaucoup aussi à ce triste préliminaire à la seconde guerre mondiale qu’a été la révolution espagnole de 1936 à 1939. La destinée tragique des Républicains réfugiés en France commence à être un peu connue, notamment à travers l’histoire qui a pu être dressée des camps de Saint Cyprien, Le Vernet, Rivesaltes, Barcarès, Septfonds, en grande partie grâce aux souvenirs de ceux qui ont eu le triste privilège d’y séjourner… La situation des quelques 465 000 exilés, civils ou militaires, qui ont transité par ces lieux d’enfermement a été - on le sait maintenant - absolument sordide. Le terme de camp de concentration, employé à l’époque par les autorités françaises, semble avoir été assez bien choisi, vu le dénuement total des prisonniers et les taux de mortalité et de maladie phénoménaux qui y règnaient.

Vu le nombre considérable d’exilés cherchant à échapper à la barbarie franquiste, il faut très vite trouver un moyen de “soulager” les départements du Sud et du Sud-Ouest de cette lourde charge. Le gouvernement français de l’époque charge les préfets, dans chaque département, de trouver des solutions pour “héberger” un certain “quota” de ces étrangers totalement indésirables (le discours des autorités à ce sujet fait preuve d’une hypocrisie et d’une duplicité écœurantes).
La préfecture de l’Isère fait partie des structures “d’accueil” concernées. Une première vague de réfugiés, relativement peu nombreuse, arrive au milieu de l’année 1937. Les conditions dans lesquelles ils sont traités sont à peu près correctes en Isère. Une deuxième vague est transférée à Grenoble en janvier 1939 : cette fois, ils sont plus de deux mille, hommes, femmes et enfants à arriver dans des trains spéciaux, étroitement surveillés. Cette arrivée est consécutive à l’ultime épisode de la guerre civile espagnole : l’invasion de la Catalogne par les troupes fascistes. Dans un premier temps, les “indésirables” sont regroupés au Palais de la Houille Blanche, parc Paul Mistral. Les conditions de détention y sont insupportables et de nombreux décès sont enregistrés parmi les réfugiés. En juin 1939 une bonne partie des Républicains (dont un nombre important de miliciens) sont transférés dans un camp nouveau ouvert sur la commune d’Arandon, à 75 km de Grenoble. Les autorités procèdent également à un certain nombre de rapatriements forcés vers l’Espagne (et les geôles franquistes). Les partants de ce premier contingent sont soi-disant “volontaires”, et il s’agit essentiellement de “civils”.
Comme je l’ai dit plus haut, l’attitude du gouvernement français est des plus équivoques : d’une part les internés, jugés très politisés, donc “contagieux” et dangereux sont traités avec la plus grande méfiance, d’autre part, à partir de la déclaration de guerre à l’Allemagne, le besoin de main d’œuvre se fait ressentir et du coup l’administration s’intéresse à cette force de travail inoccupée. On veut bien en embaucher un certain nombre, mais il n’est pas question - horreur ! - d’armer ces guérilleros révolutionnaires et de les incorporer dans les troupes régulières ! Il n’y a par ailleurs aucun budget digne de ce nom attribué pour aider à la gestion des “lieux d’enfermement”. Le résultat est une véritable catastrophe sanitaire un peu partout dans les camps. L’Isère n’échappe pas à la règle ; le journal “la voix du peuple” déclare à cette période : “on a déshonoré la République à Grenoble”.

Se retrouvent enfermés à Arandon un certain nombre de militants qui joueront, par la suite, un rôle important dans la Résistance. Mais à part ça, on sait relativement peu de choses sur le fonctionnement de ces centres d’internement qui étaient gérés par l’Armée, surtout après le départ des Républicains. Nombre d’archives ont été détruites lors de l’avancée allemande, mais la défaite française n’est pas la seule cause de cette épuration des dossiers. Il est fort probable qu’il s’est passé, à l’intérieur de ces camps (8 en tout dans le département, dont un à St Savin, un autre village proche de mon domicile) des choses à propos desquelles certains ne souhaitaient pas qu’il reste trop de traces (en particulier dans les années qui ont suivi la Libération). Beaucoup de juifs allemands et autrichiens (au moins quatre cents) furent rassemblés à leur tour au camp d’Arandon qui était considéré comme l’un des plus durs du département. Il semble qu’un tri ait été effectué au camp du Chambaran entre les “politiques” d’une part et les juifs d’autre part. A Arandon, ce sont ces derniers qui prirent la place des premiers occupants. Les Républicains avaient été soit rapatriés à leur tour en Espagne (certains via le Maroc), soit intégrés dans les CTE (Compagnies de Travailleurs Etrangers).

Si un certain nombre de sites consacrés à la Résistance ou à la déportation mentionnent ce camp, la documentation disponible se résume à bien peu de choses : aucune info détaillée sur le site du Musée de la Résistance à Grenoble, ou sur celui de l’AJPN (”Anonymes, Justes et Persécutés durant la Période Nazie”) qui a pourtant entrepris une étude exhaustive de ce genre de lieux. En ce qui concerne les réfugiés Républicains espagnols en Isère, un gros travail de documentation a été réalisé dans le cadre d’un mémoire de Master de Sciences Humaines par Géraldine Andreo, mais le volumineux dossier ne comporte que peu d’éléments sur le fonctionnement du camp d’Arandon.

La lecture de ce mémoire est cependant très intéressante. On y apprend, entre autres, le manque total de collaboration des collectivités locales du Nord Isère à l’initiative préfectorale de répartition des réfugiés. Comme je le disais plus haut, les Espagnols font peur… Dès juillet 1937, la préfecture de l’Isère va entreprendre un recensement des locaux disponibles dans le département. Les résultats de cette enquête vont être bien utiles, en 1939, lorsqu’il s’agit de faire front à la plus grosse vague d’immigrants forcés. Dès le départ, nous apprend le document, les maires du Nord-Isère refusent totalement de s’impliquer : celui de Bourgoin-Jallieu s’oppose avec virulence à l’envoi de réfugiés sur le territoire de sa commune : il craint que cela cause des troubles dans ces communes paisibles. En janvier 1939, on note également le refus des maires de Vienne et de St Marcellin (ce dernier refuse même l’accueil dans la prison !). Si j’insiste sur ce point c’est parce que l’on a souvent tendance à dénoncer la façon d’agir des hauts responsables administratifs dans ce genre de situation, alors que les agissements des notables ne sont guère brillants sur le plan local également. Les comportements n’ont pas beaucoup évolué ces dernières années d’ailleurs ! Face aux refus successifs des communes, c’est finalement une usine désaffectée (Vialle) située à Arandon, qui est choisie pour “désengorger” le parc Paul Mistral de Grenoble, malgré, à nouveau, l’opposition virulente des maires du canton de Morestel. Le préfet argumente en précisant que les réfugiés seront enfermés, que les communes n’auront à supporter aucune charge, voire même que les commerces locaux bénéficieront de l’opération, car les denrées et les fournitures nécessaires à l’aménagement du camp seront achetées sur place. Le maire d’Arandon, propriétaire de l’usine, donne finalement son accord à l’opération et accepte de louer ses locaux. Quelques bâtiments seront utilisés, et, comme le terrain est vaste, des baraquements complémentaires seront rajoutés par l’administration. Géraldine Andréo détaille ensuite, dans son mémoire, les conditions financières de la location et de l’aménagement, mais elle précise aussi que les fonds disponibles sont insuffisants pour réaliser le projet tel qu’il a été conçu. Si elle parle en détails de la situation des réfugiés à Grenoble, elle reconnaît que pratiquement aucune information n’est disponible au sujet des conditions de vie dans les camps du Nord-Isère.

Les Républicains espagnols n’ont été ni les premiers, ni les derniers, dans l’histoire, à s’entasser dans des camps d’internement offrant des conditions de vie aussi déplorables. Les déplacements forcés de population sont devenus monnaie courante, en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique… Ce sont là les dommages dits “collatéraux” des conflits qui se multiplient. Si la mémoire de la Shoah a été bien entretenue, et même utilisée comme “excuse” pour d’autres déportations, d’autres massacres, certains épisodes de notre histoire ont bien du mal à conserver une place dans la mémoire collective. Si d’autres pays examinent de façon critique et sans trop de pudeur le comportement de leurs dirigeants dans les périodes antérieures de leur histoire, la pilule est encore difficile à avaler pour les Français, qui préfèrent garder intacte la vision “image d’Epinal” de leur passé. Le temps passe cependant et, peu à peu, les archives s’ouvrent aux historiens et la dure réalité des faits est mise en lumière (tamisée). La politique des gouvernements successifs de la France à l’égard des réfugiés ou des colonies, la collaboration active (ou passive) d’un certain nombre de citoyens aux objectifs de destruction du Parti Nazi… commencent à être analysées de façon plus approfondie. Mais il semble que certains n’aient pas tiré les leçons de ce que nous enseigne ce triste passé. Nos “modernes” centres de rétention, en France métropolitaine, ou bien outremer, rappellent de bien sinistres époques.

Notes.
Les principales sources utilisées pour cette chronique sont : le mémoire de Master 1, Sciences humaines et sociales de Géraldine Andréo : « Les réfugiés espagnols dans le département de l’Isère 1936-1939 ». Grenoble 2008
Un texte d’Henri Mora intitulé “les vérités qui dérangent parcourent des chemins difficiles” (www.piecesetmaindoeuvre.com)
Un article de David Demange, intitulé “l’exil des Républicains espagnols en Isère”, paru dans la revue “Ecarts d’identité”
Un compte-rendu de l’exposition “le train s’arrêta à Grenoble” organisée par le Musée de la Résistance.
De nombreux livres ont été publiés sur l’exil, mais ils font souvent l’objet d’une diffusion confidentielle (petits éditeurs) ».
Paul

Commentaires reçus sur ce blog :

Clopin Says 21 janvier 2009 :
Cette histoire me rappelle mon dernier passage en octobre 2008 à Montreuil-Bellay (41) ou se trouvait le camp de concentration des tziganes français. A l’entrée du bled, près de la voie de chemin de fer, parmi les moutons, des marches en béton parsemées dans un champ : ce qui reste des baraquements debout jusque dans les années 60. J’avais vu un reportage sur Arte : pendant la guerre les habitants endimanchés de Montreuil-Bellay venaient se promener à l’orée des barbelés comme on se pressait à l’exposition universelle voir le grand-père de Carembeu. Certains se faisaient lire les lignes de la main à travers les grillages…
Et bien à ma connaissance, aucune plaque ne signale cet endroit de mémoire…

Clopin 21 janvier 2009 :
J’aurais dû me renseigner avant d’écrire ci-dessus. Faut aller voir là : http://memoire.du.camp.free.fr/

Paul 21 janvier 2009 :
Le lien est très intéressant d’autant que l’extermination des Tziganes elle est un peu passée à la trappe elle aussi dans la mémoire collective. Pour le camp d’Arandon, rien, pas un site, pas une association. Je continue mes recherches pour voir si par hasard il resterait quelques témoignages écrits ou photographiques sur le sujet. Je n’ai trouvé pour l’instant que deux mauvais clichés, genre impression de négatif, c’est tout…

Lavande 26 janvier 2009 :
Je suis assez stupéfaite effectivement de voir que maman qui était donc de la région immédiate n’a jamais parlé de ça, alors qu’elle m’a parlé de la période de la guerre à Grenoble et que pour elle ce n’était pas du tout un sujet tabou. Même si à cette époque-là ses parents habitaient Crémieu et non le Charbinat, c’est quand même pas très loin. De plus elle avait de la famille (avec qui elle avait des liens forts) à Arandon.

Carmen Sanchez 25 mars 2009 :
Existe-t-il une liste des réfugiés espagnols qui ont été internés dans le departement de l’Isère ? Merci

Paul 26 mars 2009 :
A ce stade de mes recherches, je n’en ai pas connaissance. Mais les archives sont beaucoup plus importantes concernant le camp d’Arandon dans sa première période d’utilisation, c’est à dire lorsque ce sont les réfugiés espagnols qui ont été internés, que pour la suite de la guerre, période pour laquelle beaucoup de documents ont été détruits, sans doute parce que jugés compromettants.

Carmen Sanchez : 16 mai 2009
Ma maman (81 ans) a été internée au camp d’Arandon et se souvient qu’elle allait parfois manger chez des familles françaises d’Arandon. L’une d’entre-elles avait voulu l’adopter.
Je remercie ces familles d’avoir procuré un peu de bonheur à ma maman qui avait 8 ans à cette époque

Paul 16 mai 2009
Merci beaucoup Carmen pour ce message qui m’a profondément ému. Depuis l’écriture de cette chronique, j’ai décidé de poursuivre ma recherche et de trouver un maximum de documents sur ce camp d’internement, trouvant profondément injuste qu’un tel lieu échappe à la mémoire collective. J’ai connu plusieurs exilés espagnols autrefois et tous m’ont raconté la détresse qui était la leur lorsqu’ils sont arrivés en France, les difficultés auxquelles ils ont dû faire face, mais aussi la chaleur humaine qui leur a été procurée par certains. Heureusement que, comme à toutes époques, il y a eu des gens généreux qui n’ont pas été aveuglés par leur égoïsme ou leur obscurantisme. Je pense publier un jour une deuxième partie ou bien une version plus longue de cette chronique. J’y travaille. Sur les conseils d’un autre lecteur j’ai lu également le livre “Et ils partirent pour la guerre” de David Vogel. Ce livre, autobiographique, raconte l’internement au camp d’Arandon puis à celui de Loriol, dans la Drôme, d’un juif autrichien, réfugié en France, et arrêté en tant qu’étranger au moment de la déclaration de guerre. il a remplacé, avec quelques centaines d’autres “internés”, les républicains espagnols qui avaient quitté Arandon. Encore une fois, merci pour le témoignage !

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à lafeuillecharbinoise@orange.fr