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Sixième épisode. 33’53’’.
Les milices anarchistes.

En un mois sortent de la caserne Bakounine de Barcelone près de 18 000 miliciens.

Sixième épisode : Les milices anarchistes

En un mois sortent de la caserne Bakounine de Barcelone près de 18 000 miliciens. Une partie est transférée sur le front de Madrid, et le reste sur celui d’Aragon. La plupart des colonnes portent le nom de leur délégué général : Durruti, Ortiz ; la colonne Francisco Ascaso, conduite par Gregorio Jover, rend ainsi hommage au militant tombé le 19 juillet à Barcelone ...

Chaque colonne est organisée en groupements de 5 centuries, formées de 4 groupes de 25 combattants. Groupes et centuries élisent leurs délégués, qui sont révocables s’ils ne donnent pas satisfaction.
Forte de 3000 hommes et femmes courant août, la colonne Durruti est dirigée par un Comité de Guerre de 7 personnes, assisté d’un conseil technico-militaire d’officiers de l’armée espagnole, restés fidèles à la République. Aux côtés des centuries, des groupes spéciaux de guérilleros ont pour fonction d’attaquer l’arrière-garde ennemie ; leurs noms sont évocateurs : Les Fils de la nuit, La Bande noire, Les Dynamiteurs, les Métallurgistes, etc. Ils sont en grande partie autonomes tout comme le Groupe International dont le délégué général Louis Berthomieu est en contact direct avec le Comité de Guerre.Le Groupe International comprendra bientôt 5 groupes représentés par 5 délégués : Ridel, Fortin, Carpentier, Cottin et Carles.

La structure des colonnes vient de la base, c’est une œuvre collective, un processus expérimental ébauché au fil des jours depuis la sortie de Barcelone, mais encadré par les anciens du groupe Los Solidarios, que l’on retrouve à tous les postes-clés : Garcia Oliver au Comité des Milices, Ricardo Sanz à la caserne Bakounine, Aurelio Fernandez à la Police, et les trois autres cités à la tête des colonnes. Pour les milliers de jeunes ouvriers anarchistes de Barcelone qui s’enrôlent de façon enthousiaste dans les milices de la CNT et de la FAI, il n’est pas question de se retrouver dans une structure militaire classique. Une révolution se fait dans le présent, et la vie des milices ne peut être autre chose que l’image de la société sans classes à laquelle on aspire : ainsi les délégués ne doivent bénéficier d’aucun privilège particulier, et la base doit être amplement consultée. Quant à la discipline, librement consentie, elle s’appuie sur la solidarité de classe et la responsabilité personnelle.

Les milices anarchistes seront âprement critiquées et bien souvent calomniées pour cet état d’esprit par le gouvernement et les communistes, qui leur attribueront la responsabilité des échecs militaires, une façon comme une autre de masquer leur propre implication dans le sous-armement et le blocage de l’attaque sur Saragosse. Pourtant ce sont ces mêmes hommes et femmes, ne connaissant au mieux que les combats de rues contre la police, qui résisteront pendant des mois aux franquistes. Un milicien du Groupe International a plus tard exprimé à sa façon le sentiment qui l’habitait en 1936 : « Pendant des mois, j’ai été heureux. Une combinaison de mécanicien, une paire d’espadrilles, une couverture, un mauser (...) Quand tu dormais, tu savais qu’un camarade veillait, et quand tu étais de garde, tu te sentais le protecteur des autres. (...) Pour moi, la révolution, c’était ça. Je n’ai jamais pensé à la victoire. Je n’ai jamais espéré. Je n’ai même jamais pensé au lendemain. C’est difficile à expliquer : j’existais. (...) Tu sais qu’il est possible de vivre vraiment, sans renoncer à rien ».
Voilà ce que la guerre, dévoreuse de révolution, n’a en tout cas pas pu empêcher...

Antonio Gimenez est maintenant parfaitement intégré dans la colonne. Le Groupe International comprend, selon les moments, 50 à 100 miliciens français, allemands, italiens, marocains, britanniques, russes, américains, suisses et belges. Sans compter un nombre non négligeable d’Espagnols, déserteurs de l’armée franquiste. Aux prisonniers faits pendant les batailles, le Groupe propose toujours d’intégrer les milices plutôt que de les envoyer au Quartier Général où ils sont souvent fusillés, dans les premiers mois de la guerre en tous cas.

En ce début septembre 1936, l’ennemi s’est renforcé et la guerre de tranchées commence. L’assaut sur Saragosse est toujours bloqué ce qui est très éprouvant pour les combattants. Seuls les coups de main des guérilleros permettent quelques petites avancées du front, ou de recueillir des renseignements, en allant parfois jusqu’à Saragosse secourir des camarades cachés depuis le coup d’Etat.

Récit : du début à la fin du chapitre Los gorros negros.

Fin du récit :

Ecoutons pour finir le discours du délégué général de colonne Buenaventura Durruti, prononcé le 12 septembre à la radio de Sariñena pour relever le moral de l’arrière et alerter les travailleurs sur le blocage de l’armement qui ne parvient pas au front. Il s’agit surtout, à l’occasion de la seule victoire du moment sur tous le front républicain -la prise de Siétamo la veille, devant Huesca- de bien marquer la détermination des révolutionnaires en Catalogne et en Aragon face au gouvernement central de Madrid. Le socialiste Largo Caballero, nouveau chef du Conseil, persiste dans son hostilité à l’égard de la collectivisation.
Les miliciens qui refusent d’intégrer l’armée en reconstitution sont taxés d’“incontrôlés”, et on reproche à la classe ouvrière de menacer l’économie nationale avec son “utopisme”.

Discours de Durruti :

« Sur le front d’Aragon les milices ouvrières ne sont pas inactives : elles attaquent l’ennemi, conquièrent des positions et maintiennent leurs lignes de résistance, en attendant de se lancer dans la grande offensive. Vous aussi, travailleurs d’Espagne, vous avez une importante mission à accomplir, car la révolution ne se gagne pas seulement en tirant des coups de feu, mais aussi en produisant. Le front et l’arrière doivent collaborer étroitement. Ils doivent lutter, unis pour le même objectif. Le nôtre ne peut être rien d’autre que de soulever une Espagne qui s’appuie sur la classe ouvrière.
Les travailleurs qui luttent aujourd’hui, au front ou à l’arrière, ne le font pas pour défendre les privilèges de la bourgeoisie, mais se battent pour leur droit de vivre dans la dignité. La force de l’Espagne est dans la classe ouvrière et dans ses organisations. Après la victoire, la C.N.T. et l’U.G.T. discuteront sur les formes et les orientations de l’économie en Espagne.
Nous qui combattons sur le champ de bataille, nous ne le faisons pas pour des décorations. Nous ne luttons pas pour être députés ou ministres. Lorsque nous reviendrons du front, nous occuperons nos postes dans les usines, les ateliers, dans les mines, aux champs, là d’où nous sommes partis. C’est dans les centres de production que se gagnera la véritable bataille. (...)

Camarades, les armes doivent être envoyées au front. Nous en avons besoin pour dresser une barrière de fer devant l’ennemi. Ayez confiance en nous. Ces milices ne défendront jamais la bourgeoisie. Elles sont, elles resteront l’avant garde prolétarienne dans cette lutte que nous menons contre le capitalisme. Le fascisme international est décidé à gagner la bataille ; nous devons être décidés à ne pas la perdre. Et vous, travailleurs, qui m’écoutez derrière les lignes ennemies, nous vous disons que l’heure de votre libération approche. Les milices libertaires avancent et rien ni personne ne pourra les arrêter, parce que les pousse la volonté de tout un peuple. Collaborez vous aussi à notre œuvre, en sabotant l’industrie de guerre fasciste, en créant des foyers de résistance, des guérillas dans les zones montagneuses. Luttez vous tous qui le pouvez et tant que vous aurez une goutte de sang, continuez à lutter.
Travailleurs d’Espagne, courage ! S’il est écrit qu’à un moment quelconque nous devions risquer notre vie, disons-nous : c’est l’heure !

Compagnons, restons optimistes. Que notre idéal à tous vous accompagne. En avant contre le fascisme, frère jumeau du capitalisme ! Ni l’un ni l’autre ne se discutent, ils se détruisent ! ».

Suite au discours, des travailleurs de Sabadell, près de Barcelone, trouvent un stock d’armes emmagasinées au siège local du PSUC (Parti communiste catalan), et alertent le comité de guerre de la colonne : le sabotage du front d’Aragon est manifeste.