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Les Gimenologues
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La revue Réfraction n°39 « Repenser les oppressions ? }}
Recension des "Chemins du communisme libertaire en Espagne"
par Marianne Enckell

Revue Réfractions n° 39 janvier 2018 : « Repenser les oppressions ?

Myrtille, giménologue : Les chemins du communisme libertaire en Espagne, vol. 1 : Et l’anarchisme devint espagnol, 1868-1910. Paris, éd. Divergences, 2017, 196 p., ill. 10 €.

Voici un livre passionnant, malgré quelques aspects discutables. Les Giménologues [1] se penchent depuis longtemps sur des témoignages de militants pendant la révolution espagnole, qu’ils assortissent de notes étoffées. Myrtille a voulu remonter aux origines : la Fédération espagnole devient rapidement la section la plus nombreuse de l’Association internationale des travailleurs, et un des lieux où se passe le débat entre collectivistes (« à chacun selon son travail ») et communistes (« à chacun selon ses besoins »), débat fondateur pour le mouvement anarchiste.

Cela permet d’aborder les questions du travail, de la valeur d’échange, ainsi que celles du fédéralisme et du syndicalisme, des formes et des moyens de la révolution. Pour ce faire, théoriciens et acteurs sont convoqués. James Guillaume le collectiviste, François Dumartheray l’inventeur présumé de l’expression « communisme libertaire », Reclus, Kropotkine, Cafiero, ou encore William Morris moins attendu, pour les premiers ; la Fédération jurassienne de l’AIT, les internationalistes, pour les seconds, et surtout les militants espagnols. L’éventail de leurs prises de position, de leurs réflexions, de leurs actions directes est bien présent ; les oppositions parfois courtoises, parfois violentes entre eux, les différences entre les campagnes du Sud et les villes du Nord sont examinées avec finesse, tout en nuances. Même si l’on comprend bien que les sympathies de l’auteure vont au communisme libertaire, « projet post-capitaliste », sans quantification de l’effort humain ni de la valeur d’échange [2].

Il ne s’agit pas là d’une étude historique au sens strict : Myrtille a surtout tiré ses sources des travaux d’historiens, qu’elle résume et traduit utilement. Mais à la lecture on est un peu dérouté par les références qui sont toutes mises sur le même plan, qu’il s’agisse des études pionnières de Max Nettlau (La première Internationale en Espagne, 1868-1878, rédigé en français en 1934 et édité en 1968 seulement par Renée Lamberet), d’articles contemporains (Federico Urales, Anselmo Lorenzo) et de travaux universitaires plus récents (en particulier Fran Fernandez Gomez, abondamment cité, ou Kristin Ross). La lectrice non avertie risque de s’y embrouiller : s’agit-il de citations et de traductions directes des originaux, de citations des traductions de Max Nettlau ou d’autres ? Les interprétations peuvent-elles toutes être mises sur le même plan, qu’elles proviennent d’études historiques sur le sujet traité ou de thèses récentes sur le communalisme, la valeur, le salariat ?

Autre remarque, écrire « Francesc Ferrer i Guàrdia » ou d’autres noms propres en catalan me semble anachronique et politiquement discutable. La plupart des militants anarchistes du XIXe siècle et du début du XXe écrivaient volontairement en espagnol castillan, non en catalan, et s’opposaient explicitement au courant catalaniste bourgeois [3]. L’usage du castillan, à l’époque considérée, n’était pas imposé par la répression comme il l’a été sous Franco.

Attendons le volume suivant pour entrer dans les grands débats des années 1920 au sein de la CNT en Catalogne.

Marianne Enckell