Bandeau
Les Gimenologues
Slogan du site
Descriptif du site
Les voix de la CNT-FAI
Radio CNT-FAI et Radio EAJ-39
Les voix de la CNT-FAI
Radio CNT-FAI et Radio EAJ-39

Timbres émis en 1937 en hommage à la radio CNT-FAI de Barcelone

Nous relayons cet intéressant article de Guillaume Goutte sur quelques aspects peu connus de la propagande anarcho-syndicaliste en Espagne pendant la guerre, où la participation des étrangers joua un rôle non négligeable.

Les Giménologues, le 24 janvier 2017.


Si pendant la révolution espagnole de 1936-1939 le nombre de journaux et de revues liés au mouvement anarcho-syndicaliste fut important, l’écrit n’était pour autant pas le seul support de communication des organisations libertaires. Outre les meetings et autres rencontres, l’outil radiophonique fut également exploité via la création, dès juillet 1936, de deux radios anarchistes : ECN 1 - Radio CNT-FAI [1] à Barcelone et EAJ-39, dans une localité non loin de la capitale catalane.

Radio CNT-FAI
Dès le début de la guerre en juillet 1936, le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol fit de la propagande en direction de l’international un aspect primordial de sa stratégie. Face à des médias bourgeois muets ou malhonnêtes, il se devait en effet de faire valoir d’autres points de vue sur les événements en cours en Espagne. Outil de propagande par excellence – bien que pas seulement – Radio CNT-FAI ne pouvait donc échapper à cette logique et se devait, dès le départ, d’émettre le plus largement possible. Et c’est ce qu’elle fit, en émettant sur deux longueurs d’ondes différentes – l’onde courte 42,88 MHz (fréquence 6 995’1 Kcs) et l’onde normale 222,55 MHz (fréquence 1 348 Kcs) – qui lui permirent de couvrir à la fois toute l’Espagne et une partie de l’Europe.
Cette large couverture « obligea » la radio à diffuser des émissions en plusieurs langues, et ce d’autant qu’elle souhaitait offrir des espaces radiophoniques aux militants étrangers venus rejoindre les milices pour combattre les franquistes et vivre la révolution. Avec des émissions en français, en anglais, en allemand, en italien, en russe, en espéranto et, bien sûr, en espagnol (la majorité), ce fut un beau bouquet de langues qui s’exprima à travers les micros des studios de Barcelone ; à tel point d’ailleurs que les bureaux de propagande de la CNT-FAI avaient soin de préciser, sur chaque programme radio de la journée, la langue dans laquelle se faisait l’émission.
Œuvre de l’organisation anarcho-syndicaliste, Radio CNT-FAI portait un contenu essentiellement politique. Elle diffusait des communiqués officiels de la CNT et des autres organisations du mouvement libertaire (FAI et FIJL), relayait les parutions de la presse (le journal Solidaridad Obrera était systématiquement lu à l’antenne), et donnait régulièrement des informations sur la situation des fronts et des expériences révolutionnaires. Elle permettait aussi l’expression régulière des militants, et certains discours marquèrent l’histoire de la radio tel celui prononcé par Buenaventura Durruti, le 5 novembre 1936, pour manifester son refus de la militarisation des milices, et répondre aux calomnies que les staliniens répandaient à leur sujet : « Si cette militarisation décrétée par la Généralité [instance de gouvernement de la Catalogne] est faite pour nous intimider et nous imposer une discipline de fer, on se trompe, et nous invitons les auteurs du décret à monter au front pour se rendre compte de notre moral et de notre discipline ; ensuite nous viendrons les comparer avec le moral et la discipline de l’arrière. »
C’est aussi sur Radio CNT-FAI que fut prononcé, en novembre 1936, le bel hommage à Durruti rédigé par l’anarcho-syndicaliste allemand Carl Einstein [1] .
Pour autant, et à l’instar de la plupart des journaux libertaires de l’époque, Radio CNT-FAI accordait aussi une place non négligeable à des émissions moins strictement militantes, plus en lien avec la culture et les questions de société : littérature, spectacle, musique, sexualité, etc.

Pour avoir une idée du contenu diffusé, voici le programme de la journée du samedi 5 décembre 1936, d’après une plaquette réalisée et diffusée par les bureaux de propagande de la CNT-FAI :

« À 17 h 00 – Les hymnes Hijos del Pueblo et A las barricadas.

À 17 h 10 – Édition parlée de Solidaridad Obrera. Informations télégraphiques et téléphoniques directes des divers fronts antifascistes. En castillan.

À 17 h 45 – Musiques variées.

À 18 h 00 – Informations télégraphiques et téléphoniques directes des divers fronts antifascistes. En catalan.

À 18 h 30 – Information organique confédérale. Assemblées, appels, brèves, avis et communiqués.

À 19 h 00 – Notre compagnon, le docteur Rosell Ganz, du Syndicat unique de la santé, dissertera sur le thème « défense contre les gaz asphyxiants ».

À 19 h 30 – Une compagne de l’Athénée encyclopédique Toujours-plus-loin lancera un appel à toutes les femmes de Catalogne et d’Espagne.

À 20 h 00 – Informations télégraphiques et téléphoniques directes des divers fronts antifascistes et de l’étranger. Nouvelles de la dernière heure. En castillan et catalan.

À 20 h 30 – Information organique confédérale. Assemblées, appels, brèves, avis et communiqués.

À 21 h 00 – Rapport de guerre. En différentes langues étrangères.

À 21 h 15 – Lecture d’articles. En castillan et catalan.

À 22 h 00 – Français.

À 22 h 30 – Anglais.

À 23 h 00 – Italien.

À 23 h 30 – Espéranto. »



Étant donné l’éclectisme linguistique, bon nombre d’animateurs de Radio CNT-FAI n’étaient pas d’origine espagnole. Parmi les plus célèbres, nous pouvons citer, entre autres, l’anarchiste italien Camillo Berneri. Arrivé en Espagne peu après le début du soulèvement en 1936, il fonda, avec le socialiste Carlo Rosselli, une section de miliciens italiens rattachée à la colonne Ascaso [2] . Après plusieurs combats – dont les plus importants furent sans doute ceux de « Monte Pelato » le 28 août, et de Huesca le 3 septembre 1936 –, il « délaissa » le front – notamment à cause d’une myopie [3] qui ne faisait pas de lui le plus efficace des miliciens – pour se consacrer davantage à la diffusion de la propagande et de l’information. Outre la publication du journal Guerra di classe, il intervenait très régulièrement sur Radio CNT-FAI dans des émissions en italien destinées à informer ses « compatriotes » de l’évolution de la guerre et de la révolution. Certains militants anarchistes français – notamment Gaston Leval et Lucien Haussard [4] – intervinrent aussi régulièrement.

Radio EAJ-39
Outre Radio CNT-FAI, le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol disposait d’autres radios. C’est le cas, notamment, de la radio EAJ-39, développée par des militants de Badalona, une ville de la banlieue de la capitale catalane. Ses studios étaient installés au siège de la Fédération locale de la CNT et ses animateurs étaient désignés dans les assemblées du syndicat. Si sa couverture géographique était bien plus restreinte que celle de Radio CNT-FAI, EAJ-39 émettait tout de même dans une grande partie de la Catalogne. Le matériel utilisé était celui de la radio commerciale locale d’avant-guerre – Radio Badalona –, réquisitionné par le peuple insurgé après le putsch de juillet.
Au niveau contenu, EAJ-39 relayait, à l’instar de sa consœur de Barcelone, les communiqués officiels et la presse des organisations du mouvement anarchiste espagnol. Mais elle se faisait aussi, et surtout, l’écho de la situation locale et, pour cette raison, elle rencontra un auditoire très important dans la ville d’où elle émettait. C’est aussi ce qui lui permit de se distinguer un peu de Radio CNT-FAI.

Les voix se taisent
La radio EAJ-39 fut la première à être réduite au silence. Toutefois, la répression qui l’obligea à se taire ne vint pas du camp franquiste, mais des communistes staliniens qui, en mai 1937, entreprirent de discréditer et de liquider physiquement les anarcho-syndicalistes. Voici ce que confiait un animateur de la radio dans un témoignage cité par le Magazine libertaire numéro 7 (qui consacrait alors un petit article à ces deux radios) :
« Lors de la contre-révolution bolchevique de mai 1937, j’étais au micro lorsque la police en armes vint saisir notre radio. Il faut bien dire qu’aucune mesure défensive n’avait été envisagée… En réponse à cette agression, un réseau de haut-parleurs qui avait été préalablement installé dans tous les quartiers de la ville nous permit, pendant un certain temps, de continuer à émettre : les gens se regroupaient autour des haut-parleurs pour écouter nos communiqués. C’est sans doute ce qui provoqua une nouvelle intervention policière sous un prétexte fallacieux. Cette fois, les choses faillirent tourner très mal car la foule, les femmes notamment, s’en prirent aux “forces du désordre” avec une rare violence. »
Quand ce ne sont pas les communistes qui bâillonnent, ce sont les fascistes. Et ce sont eux qui, à leur tour, firent taire Radio CNT-FAI lorsqu’ils prirent Barcelone au début de l’année 1939. Pour autant, téméraires et bien décidés à conserver la présence d’une voix antifranquiste et libertaire sur les ondes espagnoles, la CNT entreprit, peu après l’exil, d’installer une nouvelle radio en France, d’abord à Mont-Louis, puis à Cahors [5] . Elle émit pendant un certain temps vers l’Espagne franquiste jusqu’à ce que la gendarmerie française se charge de lui clouer le bec…
Dernière expérience radiophonique de l’exil libertaire espagnol en direction de l’Espagne franquiste, Radio Liberación – fondée par des militants de Frente Libertario, dissidence de la CNT officielle – fut aussi la première du renouveau libertaire des années suivant la mort de Franco. D’avril à décembre 1976, chaque dimanche de 14 heures à 14 h 30, elle émit, depuis Carrare (Italie) – fréquence : 8 860 Kcs –, un programme de trente minutes qu’on pouvait capter en Catalogne, en Aragon et dans la région de Valence.

Pendant toute la Guerre civile, le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol aura donc émis sur les ondes de l’Europe pour faire entendre sa voix. Cette épopée radiophonique – considérée par beaucoup comme l’une des premières expériences de radios anarchistes – aura non seulement permis aux organisations libertaires de se doter d’un outil de communication efficace et puissant (l’information circule généralement plus vite par la radio que par la presse), mais aussi de donner à l’Europe la possibilité d’entendre d’autres discours sur la Guerre civile et la révolution que ceux relayés par les médias bourgeois.

Guillaume Goutte
Le Monde Libertaire
n°1647 (20-26 octobre 2011)

[1]. Par simplicité, je me contenterai d’écrire « Radio CNT-FAI ».