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Les Gimenologues
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Avis aux candidats bacheliers hispanisants de 2023
Penser rend libre : épreuve écrite d’espagnol de spécialité 2023, aucun sujet de côté !
Protestation de Jean-François GRIVAUX, professeur agrégé d’espagnol

Que nous relayons grâce à Eric Sionneau qui nous l’a fait connaître : http://retirada37.com/aucun-sujet-de-cote/

De l’autre côté des Pyrénées cela a aussi été remarqué :
"Memoria histórica. Recomiendan ocultar la guerra civil española y la dictadura franquista en los textos académicos de algunos institutos parisinos "
Voir ici : https://www.elsaltodiario.com/memoria-historica/recomiendan-ocultar-guerra-civil-espanola-dictadura-franquista-textos-academicos-algunos-institutos-parisinos

Je me présente : M. Jean-François GRIVAUX, professeur agrégé d’espagnol depuis 2013 et en poste fixe au lycée Jean Moulin de Torcy (77200) depuis 2014.
Je souhaitais ici vous faire part d’une très vive inquiétude, partagée par de nombreux collègues de la communauté enseignante d’espagnol cosignataires de ce courrier, suite à la lecture des « recommandations » suivantes, émises dans la note officielle aux concepteurs de corpus pour l’épreuve écrite de LLCER espagnol 2023 et transmises le 9 juin 2022 par l’inspection d’espagnol de l’académie de Paris :

« Recommandations :
Les documents pouvant heurter la sensibilité des candidats (disparitions d’enfants, enlèvement, torture, viol, attentats) mais aussi les sujets d’actualité trop polémiques et récents (nationalisme et régionalisme en Espagne, la violence d’état en Amérique Latine) doivent être évités.
Attention : des extraits des ouvrages au programme peuvent être considérés comme polémiques pour un sujet national. Cela signifie que que votre corpus ne sera pas choisi pour être travaillé car aucun recteur ou rectrice ne prendra le risque de le signer.
Ainsi, nous éviterons, dans la mesure du possible :

Les textes faisant référence à la Guerre Civile espagnole, à la dictature franquiste ou aux dictatures latino-américaines afin de proposer une réflexion ouverte sur des objets d’études plus divers et sur des enjeux plus contemporains.
Les textes également présents dans les manuels scolaires. »

Jamais, de toute ma carrière d’enseignant, je n’aurais pu imaginer être amené à lire des attentes d’une telle teneur, et encore moins les savoir transmises par l’inspection d’espagnol.
J’ai cru littéralement tomber de ma chaise au moment d’en prendre connaissance.

Depuis ma prise de poste, au-delà des compétences linguistiques et des objectifs culturels travaillés avec mes lycéens, je n’ai jamais perdu de vue l’importance capitale d’aiguiser leur esprit critique.
L’intérêt est bien de pouvoir les amener à réfléchir précisément sur ce qui fait problème dans le monde hispanique (socialement, historiquement), de pratiquer un débat contradictoire fécond autour de sujets d’actualité ou de thèmes historiques parfois complexes et délicats, en prenant soin d’écarter le risque de réappropriation(s) politique(s) ou d’instrumentalisation, notamment médiatique, des discours.

La confrontation respectueuse des idées et la sensibilisation des élèves à la pluralité des perspectives, en classe comme lors des épreuves, sont le meilleur moyen de former des citoyens éclairés et instruits, désireux de protéger les valeurs démocratiques qui nous animent. Enfin, la pensée critique qui émerge du débat est plus souvent encline à soulever des interrogations qu’à imposer des jugements péremptoires, ce qui est d’autant plus précieux. Telle est, selon moi, l’essence de notre devoir républicain et le sens même notre pratique professionnelle qui ne devrait rien discriminer des sujets qu’elle aborde (bien que certaines précautions méritent évidemment d’être prises).

Or l’histoire, contemporaine comme passée, est à mon sens notre meilleur matériau de travail, le vivier et la matrice de tout ce qui a traversé et continue de secouer nos sociétés, parfois certes sans ménagement. Prétendre ainsi l’écarter en partie ou en faire abstraction, même seulement à l’occasion d’une épreuve, c’est à mes yeux faire le choix d’un évitement périlleux -et moyennement responsable- dans un monde qui, lui, n’attend pas pour se radicaliser dangereusement et venir porter régulièrement atteinte à la démocratie. Face à des polarisations toujours plus vives et déjà particulièrement patentes en milieu scolaire, nous avons grand besoin de force de volonté, de détermination, de fermeté et non de pusillanimité. Nous avons été formés à l’école de la pensée libre, alors défendons-la.

Les soubresauts de l’Histoire sont indissociables de notre mémoire collective. Difficile dans ce cas de ne pas pouvoir librement aborder la question de la violence d’État en Amérique latine, ou encore de devoir éviter de proposer un sujet sur la guerre civile espagnole, alors que les enseignants abordent bien souvent Guernica avec leurs élèves dès le collège…Que recherche-t-on exactement par là ? À lisser la moindre aspérité, à déserter la réflexion historique, à ignorer soigneusement un devoir de mémoire pourtant mené avec une remarquable dignité ces dernières décennies ? Combien d’auteurs actuels, d’écrivains, d’essayistes, d’historiens et plus généralement de penseurs tomberaient probablement des nues devant la lecture de pareilles « recommandations » ?

D’autant que l’enseignement de spécialité a pour vocation, entre autre, de préparer nos élèves aux attentes et aux contenus universitaires. Or peut-on raisonnablement imaginer que dès les premiers mois de L1, les facultés écartent quelque sujet que ce soit en littérature ou en civilisation ? Alors pourquoi donc nous demander de le faire lors des épreuves ? Même d’un point de vue purement et strictement disciplinaire, nous ne rendons pas service aux élèves. PRAG, maîtres de conférences ou enseignants-chercheurs : eux aussi seraient certainement abasourdis devant de telles restrictions de choix de sujets en spécialité LLCER.

Si l’Éducation nationale se raidit de peur face au moindre risque (de recours ou d’autre nature) et que l’on antépose le principe du « pas de vague » aux bienfaits émancipateurs de la réflexion critique sur des sujets complexes ou délicats, alors oui, la bataille pour la pensée libre semble perdue d’avance. Je pense cependant avoir bien compris, étant donné le caractère explicite de certains passages de la note, qu’il s’agissait, avant même de ménager la sensibilité des élèves, de protéger prioritairement monsieur le recteur face à la responsabilité engagée par la validation des sujets.

Je m’interroge alors : de quoi sera fait l’avenir ? Comptons-nous vider progressivement les programmes de leur substance « sensible », rogner notre liberté pédagogique, faire la promotion de l’amnésie collective ou encore maquiller d’opaques stratégies évoquant lointainement la censure (le terme « recommandations » ne semblant pas le plus honnête et approprié pour s’ajuster au contenu du paragraphe de cette note) ?
Ce message, entendu et soutenu par de nombreux collègues de la communauté d’enseignants d’espagnol, semble appeler une réponse : pourriez-vous clarifier les fondements de ces nouvelles directives inquiétantes ?
En mon nom et celui des cosignataires de ce courrier, nous vous remercions tous par avance de l’attention portée à notre demande.
Cordialement,
M. Jean-François GRIVAUX, professeur d’espagnol au lycée Jean Moulin de Torcy (77200)
Signer la pétition ici : https://www.change.org/p/penser-rend-libre-%C3%A9preuve-%C3%A9crite-d-espagnol-de-sp%C3%A9cialit%C3%A9-2023-aucun-sujet-de-c%C3%B4t%C3%A9?signed=true