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Les Gimenologues
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Recension de Guérilleros in ECHANGES et MOUVEMENT
Echanges 173 –Hiver 2020-2021

Guérilleros, France 1944. Une contre-enquête
Christophe Castellano et Henri Melich
Les Amis de Spartacus (octobre 2020)

« Guérilleros » était le nom donné aux réfugiés espagnols qui, après s’être battus en Espagne dans les rangs républicains contre les soldats de Franco pendant la guerre d’Espagne (1936-1939), se sont réfugiés en France et ont participé à la Résistance contre l’occupation de l’armée allemande au cours de la seconde guerre mondiale.
Guérilleros, une contre-enquête raconte l’expérience vécue par un jeune réfugié espagnol, Henri Melich : arrivé en France en 1939, il vit d’abord avec sa famille (ses parents étaient des anarchistes proches de la CNT) près de Quillan, dans l’Aude. En 1943, à dix-huit ans, il se joint à une filière de passeurs vers l’Espagne. Puis, en mai 1944, il gagne le maquis à Salvezines, et participe aux combats jusqu’à la libération de Limoux. Après le rassemblement des maquis du département de l’Aude à Carcassonne le 24 août, il se rend à Narbonne.
Et là il assiste, avec un copain, à un meeting tenu par une organisation espagnole dont, écrit-il, « nous ignorions tout, la Unión Nacional Española (UNE). Nous n’avions pas la moindre idée de ce qu’elle représentait ni de qui la dirigeait ». Dès leur arrivée, les deux jeunes gens sont conduits à la tribune où l’orateur les présente comme d’authentiques combattants républicains, et exhorte les participants dans la salle à poursuivre en Espagne le combat entrepris pour la libération de la France.
L’Union nationale espagnole (UNE) avait été créée en France en novembre 1942 par les dirigeants du Parti communiste espagnol (PCE) dans le but de rassembler largement sous sa direction les réfugiés espagnols. Le nom de son organe de presse clandestin était Reconquista de España (Reconquête de l’Espagne), et il défendait l’objectif : d’abord on chasse les nazis de France, après on occupe l’Espagne. Enthousiasmés par l’accueil triomphal qui leur a été fait dans le meeting, Henri Melich et son copain s’engagent dans l’Agrupación de Guerrilleros Españoles (AGE, Groupement des guérilleros espagnols), également régie par les staliniens.
Suite à cet engagement, Henri Melich se retrouve directement envoyé en Espagne avec avec vingt-cinq hommes, tous légèrement armés et la moitié sans aucune expérience, avec à peine deux jours de nourriture et quelques munitions, sans aucune explication sur ce qu’ils devaient faire autre que rejoindre un agent de liaison qui ne s’est jamais présenté. L’opération tourne à la catastrophe, Melich s’en tire par chance. Il commence à se demander si, en fait, ils n’ont pas tout simplement été envoyés au casse-pipe, sacrifiés pour la gloire de l’irréaliste projet de « reconquête de l’Espagne ». Quand il arrive enfin à rejoindre ses parents en France, il apprend que des amis anarchistes ont été assassinés et que lui-même a intérêt à se cacher parce que des miliciens armés sont venus le chercher. Ayant quitté la caserne, il est désormais considéré comme « déserteur » par le Groupement des guérilleros.
À partir de là, Melich fera son possible pour faire la lumière sur les mystérieuses disparitions d’autres anarchistes, et pour démontrer que ce sont des assassinats commis par les staliniens.
Il avait déjà écrit un témoignage sur des exécutions qui s’étaient produites dans la haute vallée de l’Aude pour le livre du groupe Puig-Antich de la Fédération anarchiste de Perpignan 1944 : Les Dossiers noirs d’une certaine résistance. Trajectoires du fascisme rouge (CES, 1984). Cette fois, Henri Melich et Christophe Castellano ont voulu apporter la preuve de ces assassinats. C’est ce qu’ils font dans la deuxième partie du livre : « L’enquête ».
La première partie du livre, « Le PCE en Espagne et en France », fournit les données politiques et les faits marquants, depuis les années 1930 jusqu’à 1944, qui constituent la toile de fond des événements qui ont motivé l’écriture de son témoignage.
J’ai lu le livre avec intérêt. J’y ai particulièrement apprécié son côté témoignage humain, sans autre prétention que de relater des faits vécus qui sont généralement passés sous silence, et la volonté très humaine de restituer leur histoire et leur dignité à des femmes et des hommes qui ont payé de leur vie leur volonté de demeurer libres. Il ne s’agit pas seulement de redonner à ces hommes leur identité. Pour se justifier, les « Guérilleros » et leurs soutiens n’ont pas hésité à les accuser d’être des « traîtres », des « collaborateurs », des « agents fascistes », des « agents de Franco », un procédé largement utilisé par l’Union soviétique et les partis communistes pour discréditer leurs opposants, quels qu’ils soient. Le lecteur pourra ainsi se faire une opinion sur la validité de telles accusations.
Mais je vois aussi dans ce livre l’expression d’un prolétariat vaincu, un prolétariat qui a cessé de croire à la possibilité d’un monde non capitaliste – alors que le début de la guerre d’Espagne est aussi appelé « la Révolution sociale espagnole de 1936 » (1), du fait de l’explosion de tentatives réelles de rompre avec les rapports sociaux capitalistes – en collectivisant champs et usines, en établissant des rapports de fraternité à la place des rapports hiérarchiques classistes habituels. Mais cela dura peu de temps.
Dès septembre 1936 le gouvernement espagnol, sous la pression des ministres communistes, impose l’enrôlement dans l’armée populaire de la république. Militarisation forcée sous « commandement unique et discipline » imposée par Staline comme condition pour continuer à livrer des armes. Cela mettra efficacement fin à toute velléité révolutionnaire et déblaiera un peu plus la route à la deuxième guerre mondiale en gestation.
Le livre mentionne les positions de la CNT au sujet de la Résistance : « Une première tendance voit dans la guerre mondiale en cours une guerre entre deux impérialismes, à laquelle elle refuse de prendre part. La seconde tendance peut se résumer dans la position de Francisco Ponzan Vidal (militant anarcho-syndicaliste espagnol fusillé le 17 août 1944, à Buzet-sur-Tarn) : “Ce n’est pas la patrie française qui est en danger, ni la liberté de la France qui est en jeu, c’est la liberté, la culture et la paix mondiales.” De nombreuses réunions ont eu lieu, sans qu’aucune des tendances ne prenne l’ascendant sur l’autre. Le choix est laissé à chaque individu de s’engager ou non dans la Résistance » (p.70).
Melich, comme beaucoup d’autres, a opté pour la participation à la Résistance.
Il nous aura laissé le témoignage du fait que le monde de la Résistance ne différait en rien des rapports bourgeois prédominants.
M. D.

(1) Voir par exemple l’article de Wikipedia « Révolution sociale espagnole de 1936 ».