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Nisse Lätt, anarchiste suédois

Du nouveau sur Nisse Lätt, anarchiste suédois
milicien du Groupe international de la colonne Durruti

Voici la photo d’un document trouvé aux « Archives de la guerre civile » de Salamanque et offert aux Giménologues par Raúl Otal, de la CNT Huesca. Le même dossier contient quantités de documents sur les volontaires internationaux des milices anarchistes combattant en Aragon. Nous aurons donc régulièrement l’occasion d’enrichir la galerie de portraits de ces libertaires de tous les pays venus soutenir la révolution espagnole.

Source Archivo Guerra civil » (AGC) Salamanca, PS Madrid 321

Nous connaissons ainsi la date d’entrée en Espagne de Nisse : le 31 décembre 1936. Ce qui permet de rectifier la notice de Rolf Dupuy dans son « Dictionnaire international des anarchistes » [1].

Dernières précisions apportées par Marianne Enckell :
« Dans la brochure de 1938 [2] Nisse Lätt dit bien qu’il quitte la Suède en décembre 1936 et qu’il arrive à Barcelone (de Paris, avec quelques camarades) par un jour ensoleillé de janvier. En juillet, il était en mer. Dans ses mémoires [3], il dit « hors d’Espagne, nous suivions les événements », etc.

Ajoutons qu’en fonction du document manuscrit joint en annexe, il apparaît que Nisse entré le 5 janvier dans les milices anarchistes passe d’abord le 6 dans la colonne Ortiz. Nous n’en savons pas plus pour l’instant.

Source Archivo Guerra civil » (AGC) Salamanca, PS Madrid 321

Nisse Lätt a rédigé ses mémoires qui furent publiées en 1993, après sa mort. Sur les 193 pages de ce document, seules quelques-unes ont été traduites, à notre connaissance : nous lançons un appel aux connaisseurs du suédois…

On trouve sur le net [4] des éléments sur le parcours de Nisse, mais toujours en suédois. La traduction « google » laisse à désirer, mais on apprend quand même que Nisse « aurait résumé son expérience en Espagne dans la brochure " Des miliciens et des agriculteurs dans les collectivités en Espagne (Fédéral 1938) " ». On la trouve sur le net et nous la joignons en annexe [document « nisse_latt-som_milisman.pdf »].

Les autres Suédois que nous avons repérés dans la colonne Durruti, et plus particulièrement dans le Groupe DAS du Groupe international, sont :

Oloff [Olle] Jansson (cf. « Les fils de la nuit », page 537)

Carl Norrbloom et Dan Andersson (évoqués par Nisse dans ses mémoires)

Nous avons cité Nisse Lätt dans « Les Fils de la nuit » (note 75) et nous ajoutons ici un autre extrait de ses mémoires.

Les Giménologues 31 mai 2010.


Traduction [5] d’un extrait des mémoires de Nisse Lätt

« Nisse Lätt, souvenirs d’Espagne »

Extrait non reproduit dans « Les Fils de la nuit » sur le début de la bataille de Santa Quiteria d’avril 1937 :

« Après le déjeuner nous sommes partis pour la montagne. Le soleil tapait fort, et nous souffrions sous nos paquetages. Mais le soleil avait aussi stimulé les fascistes, ou alors c’était la défaite de la veille qui avait éveillé leur désir de revanche.

Des troupes et de l’artillerie s’étaient évidemment déplacées là en raison de l’action de la veille, et elles en ont profité pour nous harceler. L’artillerie et l’aviation se montraient particulièrement actives. Le canon n’est pas très efficace dans la montagne, mais les avions étaient plus dangereux, et quand nous sommes arrivés dans la montagne, on nous a ordonné de nous mettre à l’abri et de nous reposer jusqu’au soir. Cinq ou six d’entre nous, les Suédois et quelques Allemands, avons pris place sous une bâche. Nous avons bien dormi, au fracas monotone de la canonnade inefficace.
Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, mais il était encore plein jour quand je me suis réveillé en entendant : ¡ Arriba, arriba  ! Debout, debout !

De sous la bâche, j’ai vu une camarade au bord de la tranchée, une miliciana [6]. Elle tenait une carabine de cavalerie et semblait particulièrement excitée. En rabattant la bâche, j’ai vu que tout le détachement sortait de la tranchée. Nous autres, sous la bâche, avons alors effectué une manœuvre peu militaire. Au lieu de joindre les rangs, portés par le désir de nous battre, nous nous sommes lancés au combat dans le no man’s land. Signe de batailles précédentes, le terrain était parsemé de cadavres, surtout de jeunes gens, comme s’ils avaient été jetés là hors du sac d’un géant.

A la hauteur d’un petit bâtiment de pierre, peut-être une hutte de berger, je me suis rendu compte que je n’étais pas dans ma brigade. Je tenais encore deux chargeurs de mitrailleuse, mais où était-elle donc ? Je n’ai pas eu beaucoup de secondes pour y réfléchir, et les copains non plus. Nous courions vers le son du canon. En même temps, je tendais l’oreille pour reconnaître le bruit de la mitrailleuse qui m’était familier. J’ai posé les chargeurs contre le mur, où je pourrais le récupérer dès que j’aurais situé la mitrailleuse.

J’ai pris le mauser en main, constaté que le chargeur était plein et ai rejoint les camarades derrière un mur de pierres, à distance de tir de la première tranchée des fascistes. Après quelques salves, ils l’ont abandonnée et nous l’avons investie en poussant des cris d’Indiens. Elle était assez primitive, sans doute pas destinée à être défendue, ou bien en construction. Assez exaltés, nous l’avons inspectée. Il s’y trouvait des armes et des munitions en petites quantités, ainsi qu’un certain nombre d’instruments de mesure. Après avoir délesté les morts de leur tabac et de leurs cigarettes, nous les avons sortis de la tranchée sans trop de sentiments de haine. Nous savions, d’après les récits de déserteurs et de prisonniers, que beaucoup de jeunes gens avaient été forcés à la mobilisation sous la menace de représailles envers leurs proches. »

Rappel de l’extrait déjà publié dans la note 75 des « Fils de la nuit » (pages 430-433) :

« Nous avons eu le temps d’observer les environs. Ils étaient peu encourageants. A gauche de la vallée au fond de laquelle nous étions s’élevait un plateau pas très haut, par où surgissaient des tanks. Partout, nos troupes commençaient à se retirer vers nos positions, qui étaient bien construites et plus faciles à défendre. Le ciel, que nous n’avions pas particulièrement examiné, se remplissait d’avions, bombardiers bimoteurs et avions de chasse. Ces derniers pouvaient voler assez bas et nous viser. Couchés sur le dos, nous avons tiré sur eux sans les atteindre. J’en ai compté 17 qui volaient autour de la montagne où nous nous trouvions : une flotte aérienne terrible, même en tenant compte de leur faible rayon d’action.
Les larmes aux yeux, notre délégué politique a donné l’ordre de la retraite. (« Délégué politique », terme particulièrement inadéquat pour une brigade anarchiste, est utilisé seulement faute de mieux. Il fonctionnait plutôt comme une sorte de porte-parole. Il participait à nos réunions et n’avait pas de responsabilités militaires. )
Michael [7], notre délégué, était particulièrement apprécié de tout. Comme nous n’avions pas d’autre « chef » et qu’il était notre aîné, c’est lui qui a pris tout naturellement le commandement.

Nous nous sommes donc retirés vers le terrain entouré de murailles de pierre d’où nous avions envahi les positions fascistes. Nous étions curieux de savoir qui l’occupait. Mais bientôt nous avons eu d’autres soucis. Les fascistes avaient avancé leurs lance-grenades, et les grenades ont commencé à pleuvoir derrière nous. Je parlais avec un Allemand couché à côté de moi, quand il n’a plus répondu. J’ai vu qu’il avait perdu connaissance ou presque. De l’autre côté, un Espagnol avait été tué.
Michael nous a ordonné de prendre autant de matériel que possible, et de nous retirer prudemment vers nos positions. Quand nous avons vu que l’Allemand n’était pas mort, nous l’avons emmené sur un morceau de bâche que Michael utilisait en guise de couverture.
Le lance-grenades qui avait choisi notre troupe tirait six grenades à la suite. Ensuite il y avait une petite pause nous permettant d’avancer une dizaine de mètres avant d’entendre le sifflement que font les grenades lorsqu’elles se mettent à tomber.

Avec Norrbloom, Andersson et un Espagnol, nous avons porté ou tiré l’Allemand blessé. Mais à la seconde ou troisième fois où nous nous préparions à courir, nous avons constaté qu’il était mort. Ou bien c’était à la suite du premier coup, ou bien il avait été frappé de nouveau. Nous avons pris ses papiers et l’avons laissé là, continuant à avancer dans la pluie de grenades.
Je ne sais combien de fois j’ai dû chercher à me protéger (le moindre renfoncement du sol protégeait contre les éclats). J’ai compté les frappes et remarqué qu’elles avançaient vers moi. Essayer de courir aurait été plus dangereux que rester sur place. Selon mes calculs, la cinquième grenade aurait dû me toucher entre les épaules, mais j’avais mal compté, car j’ai entendu la cinquième détonation mais pas la sixième. Un grand calme m’a envahi et j’ai pensé que c’était bien, au fond, que tout soit fini. Mais je me suis dit en un éclair : « Si je suis mort et que je réfléchis, c’est que ces salauds de prêtres auraient raison ! ». Cette pensée illogique m’a réveillé. Je me suis levé sur des jambes tremblantes.
Toute pensée de protection avait disparu, et j’allais chercher à rejoindre nos positions qui étaient proches, quand quelqu’un a crié : « Verlass mich nicht ! [8] ». C’était un Allemand à la jambe arrachée. J’ai voulu le prendre sur mon dos, mais à mon étonnement je n’en avais pas la force. Alors j’ai vu notre cabo [caporal] Juan sortir d’un trou. J’ai crié : « Venga aqui ! » Il est venu et m’a soulevé sur son épaule comme une plume. Mais je lui ai tiré les cheveux et montré l’Allemand, sur quoi il m’a reposé à terre. Michael et Norrbloom sont alors apparus. J’ai réalisé que j’était sans arme et j’ai hurlé à l’oreille de Michael : « Où est le foutu fusil ? » Il m’a répondu en riant : « Lauf nur schnell ! [9] », ordre auquel j’ai vite obéi en me dépêchant, sans chercher à me protéger, de plonger dans notre tranchée.

Je ne me souviens pas de grand-chose d’autre. Je me suis retrouvé dans un long corridor plein de blessés et d’amputés à l’hôpital militaire de Tarragone. Mais avant de laisser les infirmières et les médecins s’occuper de moi, je dois parler de nos camarades qui étaient sur l’autre flanc avec la mitrailleuse, que je n’ai jamais revue.
Ces camarades avaient été attaqués par les fascistes. La mitrailleuse remplissait bien sa tâche. Elle était aux mains d’un camarade allemand, peut-être un peu trop nerveux. Les Suédois auraient préféré voir Norrbloom s’en charger, c’était un excellent tireur. Mais comme ceux qui étaient en charge de l’arme ne duraient jamais longtemps, nous pensions que son tour viendrait.

Un tireur d’élite avec un téléobjectif visait les servants de la mitrailleuse. Trois d’entre eux sont tombés à la suite l’un de l’autre. Effrayé, notre tireur a regardé le dernier en disant : « Aber die Männer sterben doch [10] ». Il n’y avait pas de temps pour transporter l’arme, les fascistes arrivaient en masse. « Tire ! tire ! » disait le cabo. Mais après une ou deux salves le quatrième servant a été atteint au front. C’en était trop pour notre tireur, qui s’est enfui avec son arme. Le cabo a voulu le remplacer, mais un éclat de grenade lui a arraché l’arme des mains. Un Espagnol a pris la mitrailleuse des mains de l’Allemand, et quelques salves ont arrêté les fascistes. La mitrailleuse et son tireur ont été frappés par une grenade, mais ils avaient fait leur travail. Les survivants ont pu se retirer, mais ils n’étaient pas très nombreux. Notre groupe avait été presque entièrement détruit, et a dû être réorganisé à Barcelone.

L’hôpital était installé dans un ancien séminaire catholique. Les soins, et même l’enseignement, avaient été dans les mains de l’église catholique jusqu’au 19 juillet 1936. Il avait fallu improviser très vite. Mais les filles des organisations de jeunesse, en particulier celles de Juventudes Libertarias, travaillaient remarquablement, et le manque de connaissances était compensé par un généreux dévouement.
J’avais été touché au front, juste au-dessus de l’œil gauche, qu’il a fallu m’ôter. Je préfère oublier l’opération ; elle a eu lieu sans anesthésie, ne serait-ce que locale.
Je ne sais pas si celui dont notre cabo s’est chargé est qui est quand même resté dans les tranchées était Jack Wesper [11]. Peut-être Juan est-il tombé lui-même aussi. Quoi qu’il en soit, Jack était un marin allemand, chauffeur sur un bateau à vapeur. Ce métier mal payé s’exerce dans un enfer inventé par des valets inspirés du capitalisme.
Jack est donc resté parmi les tranchées avec sa jambe arrachée. Il y est resté pendant six terribles jours et nuits, jusqu’au moment où il lui a semblé que sa jambe commençait à pourrir. La nuit, il léchait la rosée sur les pierres, et à cause de la fièvre il ne sentait pas trop la faim. Mais le sixième jour, il a atteint les limites de la souffrance humaine. Il a pris une grenade dans sa poche et allait la faire exploser tout contre lui, quand il a entendu des voix. Il a abandonné la grenade et s’est mis à ramper vers les voix sans faire attention à la douleur – son travail devant les chaudières ouvertes des navires l’avait endurci. Il s’est dit que, même s’il s’agissait de fascistes, les tortures qu’ils pourraient lui faire subir ne seraient pas grand-chose face à ce qu’il avait souffert.
C’est à l’hôpital de Tarragone que je l’ai rencontré et que nous sommes devenus amis. En visite dans sa chambre, je l’ai cru mourant. La jambe était amputée au-dessus du genou, et le fémur dépassait comme l’os du jambon de Noël que ma mère avait l’habitude de décorer d’un nœud en papier. Mais deux jours plus tard l’os avait été scié, et la blessure recouverte d’une pièce cousue avec soin, comme par un maître voilier. Avec le temps, ma commotion cérébrale a disparu et Jack m’a raconté son histoire.

Avant de quitter l’hôpital j’ai eu la visite du délégué du syndicat des gens de mer suédois et de sa fiancée, journaliste à un quotidien du soir de Göteborg.
Le délégué Ring était venu en Espagne pour organiser le retour des scandinaves blessés, qui étaient en majorité marins et membres du syndicat des gens de mer. J’en étais membre moi-même, car le syndicat avait une position de monopole, et on ne pouvait partir en mer sans y être affilié. Comme le syndicat coopérait avec les capitaines et les armateurs, j’étais obligé d’être doublement syndiqué.
Ring m’a informé qu’il préparait le retour de tous les scandinaves blessés, et m’a dit que je pouvais m’inscrire sur sa liste. J’ai répondu que je n’étais pas encore prêt, et que, s’il m’était désormais impossible de servir au front, je souhaitais absolument trouver du travail dans un collectif agricole. Au front, j’avais rencontré plusieurs membres de ces collectifs et voulais vivre leur travail de l’intérieur ; il fallait l’étudier à leur niveau, pour expérimenter à quel point la vie d’un travailleur de la CNT pouvait être proche des idées de Kropotkine.
J’ai cependant dit à Ring que j’avais un camarade, un marin allemand qui avait perdu une jambe dans le même combat où j’avais été blessé. J’ai demandé s’il était possible qu’il parte dans son convoi. Ring a répondu qu’il pouvait le promettre, et il pensait aussi que le syndicat suédois enregistrerait Jack.
Après l’ablation de mon œil, quand je me suis trouvé un peu fortifié, il n’y avait plus grand-chose à faire à Tarragone, et je suis parti pour Barcelone. »

Nisse Lätt, Göteborg 1982

Nisse Lätt (1907-1988), « En svensk anarkist berättar. Minnesbilder ur Nisse Lätt liv som agitator och kämpe för de frihetliga idéerna » (Un anarchiste suédois raconte. Mémoires de Nisse Lätt comme agitateur et combattant pour les idées libertaires), Göteborg, Nittorp, Nisse Lätts Minnesfond, 1993.

C’est un manuscrit conservé dans un fonds d’archives, qui a été mis à disposition sur internet :
http://www.yelah.net/books/ ou
http://altemark.status.nu/literatrix/En%20anarkist%20ber%E4ttar,%20Nisse%20L%E4tt/En%20anarkist%20ber%e4ttar.htm pour le texte entier en suédois
Papperskopior av Nisse Lätts memorarer kan beställas från : Nisse Lätts Minnesfond, c/o Forshult, Skanstorget17, 411 22 Göteborg, tel 031-774 23 46, eller genom att sättain 100 :- på postgiro 2 76 02-2.

« Des miliciens et des agriculteurs dans les collectivités en Espagne :
21 pages en suédois.