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PERDIGUERA IN MEMORIAM
de Constantino Escuer

Costán, l’un des amis de Perdiguera qui nous a beaucoup aidé dans les recherches et la rédaction de la notice sur Isidro Benet sur ce site [1], ainsi que dans ¡A Zaragoza o al charco ! nous a fait savoir qu’il avait mis en ligne quatre textes avec des photos pour rappeler les circonstances dans lesquelles les franquistes fusillèrent pendant la guerre 41 habitants de Perdiguera (sur une population de 800 habitants) [2].

Voici les deux premiers textes.


IN MEMORIAM
« Priez Dieu dans la charité pour ces quatre êtres innocents qui, en des temps chaotiques, donnèrent leur vie pour l’Espagne. Manuel Escuer – Saturnino Alfranca – Benito Bailo – Segundo Arruga. »
En ces termes est gravée la prière sur la pierre tombale que nous trouverons dans le cimetière de Perdiguera, à peine sa porte franchie.

Ce 28 août 2016, jour pour jour, est le quatre-vingtième anniversaire de l’assassinat de ces quatre habitants de Perdiguera qui, avec l’instituteur de Lanaja dont le nom m’est inconnu, furent fusillés sur les enceintes du cimetière. Ce n’étaient pas les premiers à être passés par les armes après le soulèvement militaire du 18 juillet 1936, puisque auparavant, et devant les murs du cimetière de Torrero, le secrétaire de mairie de Perdiguera, Félix Lamata Sanz, et le médecin du village, Martín Serrano Díaz avaient été fusillés. Et après, le maître d’école de garçons Victoriano Tarancón Paredes le fut également.


Pour une raison quelconque, le marbrier qui réalisa l’inscription sur la pierre tombale a commis une erreur au moment d’écrire l’un des noms de famille. Les quatre personnes qui ont été fusillées pour le seul délit d’appartenir à la Unión Republicana sont :
Manuel Escuer Doñate, 52 ans. Quant aux causes de sa mort, il est noté dans le registre des décès de la mairie : « Mort à cause des circonstances actuelles ».
Saturnino Arruga Alfranca, 51 ans, dont le décès a les mêmes causes.
Benito Bailo Arruga, 40 ans, est « mort à cause de la guerre ».
Et enfin Segundo Arruga Alfranca, 29 ans, qui est « mort pour avoir été fusillé ».

Ce dernier, Segundo, fut secrétaire de la Unión Republicana, un Parti qui tenait un petit cercle dans l’actuelle rue de Las Plazas, et qui fut fermé après le coup d’État militaire. Jusqu’alors c’était un centre de réunion et de débat politique. Comme preuve de cela, dans une carte adressée au gouverneur civil, le maire informait que dans le Centre de la Unión Republicana avait eu lieu le 17 janvier 1936 à huit heures du soir une assemblée politique :
« Il me plait de préciser à V.E. que la réunion se tint dans le plus grand ordre, sans aucun incident, les assistants étant au nombre de 80 à 100, et que les orateurs qui prirent part à l’assemblée Don Joaquín Centelles, Don Carmelo Esques ? D. Saturnino Guallar ? et D. Casimirio Sarría traitèrent des points en relation avec la prochaine campagne électorale des Cortes. »

Après ces élections gagnées par le Frente Popular, et en raison de trois démissions, trois nouveaux conseillers municipaux de la mairie de Perdiguera furent désignés : Hilario Murillo Castelreanas, Casto Lopez Expósito et le même Segundo Arruga Alfranca. Ils occupèrent leurs postes en mars 1936 et Hilario fut élu maire. Son mandat dura peu puisque le 21 juillet, trois jours après le coup d’État, le sergent de la garde civile du poste de Leciñena « Par ordre supérieur », prononça la fermeture de la Commission Gestionnaire de la mairie.

De ces trois conseillers, nous savons déjà comment Segundo Arruga a fini, fusillé avec ses trois camarades et l’instituteur de Lenaja, dans un acte criminel auquel assistèrent de nombreux spectateurs, parmi eux beaucoup d’enfants de l’école, dont l’un d’eux endurera de terribles cauchemars jusqu’à sa mort. D’autres enfants, plus âgés, disaient se souvenir du maître d’école de Lenaja lançant des « Vive la République » pendant que le peloton d’exécution les abattait. Casto dut s’enfuir et il finit sa vie au Venezuela. Hilario, après plusieurs vicissitudes échappera à la mort. Il faut ajouter à ces trois conseillers un quatrième, Pascual Murillo López, qui avec son vote donna la majorité suffisante pour qu’Hilario soit désigné maire, et qui mourut également fusillé.

J’espère écrire plus tard et avec plus de détails sur les événements qui ont entouré la fuite forcée d’Hilario et de Casto pour échapper à la mort, ainsi que sur les faits horribles qui ont eu lieu à Perdiguera à la fin de septembre 1936. Mais aujourd’hui en ce 28 août 2016, quatre-vingt ans plus tard, j’adresse mon particulier et sincère hommage à Manuel, à Saturnino, à Benito et à Segundo, habitants de Perdiguera, pour leur engagement politique et leur lutte à la réalisation d’une société plus juste. Et également au maître d’école de Lanaja symbole de tant d’agents de la fonction publique qui comme Félix, Victoriano et Martín, furent assassinés en défendant les idéaux de la République.


DE SANG-FROID
Peu de gens auraient imaginé que ce 27 septembre 1936 se produiraient des faits qui constituent la page la plus noire et la plus tragique de l’histoire de Perdiguera.
Ce dimanche-là, dans un village pris depuis le début de la guerre par les militaires insurgés, un groupe de gardes civils sous commandement du lieutenant de la caserne de Movera, après avoir bien mangé et bien bu, selon ce que racontèrent ceux qui s’en souvenaient, se consacrèrent à parcourir le village en arrêtant 31 habitants qui furent embarqués, les mains liées, à l’arrière d’un camion. Plus tard ils furent transportés à la limite de Perdiguera en direction de Villamayor, où sur les murs d’une ancienne maisonnette de cantonniers bordant la route, ils furent fusillés et enterrés dans une fosse qu’ils creusèrent là-bas.
Sans aucun doute, l’enlèvement était préparé à partir d’une liste de personnes qu’il fallait supprimer en raison de leurs idées politiques, bien qu’il soit possible que, selon certains témoignages, dans l’ivresse de l’action, on en arrêta quelques-unes qui ne figuraient pas sur la liste, mais qui eurent la malchance de croiser leur chemin.

Il est impossible de citer au cas par cas la tragédie de chacun des fusillés, mais en revanche, j’ai des témoignages comme celui de Rogelia, la fille cadette de Pedro Escanero et de Juliana Vinues, qui avait alors 16 ans, et qui me raconta en larmes qu’après avoir assassiné ses parents, ils essayèrent de la faire descendre sur la place pour danser avec les soldats, quelques jours après l’exécution, et qu’ils la laissèrent en paix grâce à l’intervention d’un cadre de l’armée qui logeait dans la maison.

Ou le cas de Estefanía Castelreanas, mère d’Hilario, maire et président de Izqiuerda Republicana, qui n’a pas voulu fuir avec son fils, convaincue qu’à son âge, étant une chrétienne dévote et aidant aux travaux de la chapelle, il ne pouvait rien lui arriver. Et bien comme ils n’ont pas trouvé le fils, ils s’en sont pris à elle.

Ou celui de Pascual Murillo (fils), âgé de 16 ans, qui voyant qu’on emmenait son père Pascual courut derrière le camion en criant, Père, père, père ! jusqu’à ce qu’ils arrêtent le véhicule et l’embarquent avec le reste des détenus.

Ou celui de Petra Cugota [3], âgée de 32 ans et dans son dernier mois de grossesse, dont l’état évident n’a pas été suffisant pour qu’ils compatissent au moins envers l’enfant qui allait naître.

Ou celui des deux autres adolescents âgés de 16 ans, Elías Arruga et José Alfranca, qui ont été tués avant même d’avoir pu découvrir la vie.
J’aimerais dédier quelques mots à chacun de ceux assassinés, mais malheureusement je manque d’information suffisante pour pouvoir le faire. Mon respect et mon souvenir pour chacun d’eux.

Après la guerre, les corps furent exhumés de la fosse où ils se trouvaient et enterrés dans le cimetière municipal dans une tombe commune située tout à côté de l’entrée sur la droite.


Si un jour vous entrez dans le cimetière de Perdiguera, dédiez au moins une pensée à ces 31 personnes qui furent les victimes innocentes d’une machinerie de terreur qui tenta d’anéantir tous ses adversaires politiques, et les protagonistes involontaires d’une tragédie qui a encore des conséquences dans le village où ils vécurent.

Omar de Castro, neveu de Casto López, me raconte que selon les dire de sa mère Rosario à Emiliano Pontaque, cousin de la femme de Casto, il a été fusillé pour ne pas avoir voulu rendre les mules que Casto lui avait prêtées au moment de s’enfuir du village avec son fils Antonio.

À suivre

Les Giménologues, 13 février 2017