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Biographie de Elías Manzanera Estellés
Membre de la Colonne de Fer de Valencia

Miquel Amorós a rédigé cette rapide biographie (récemment actualisée) pour présenter l’ouvrage de Elías Manzanera publié en 2012 aux « Ediciones Octubre del 36 » de Segorbe :

« Documento histórico de la Columna de Hierro » [1]

En attendant une éventuelle traduction en français de ce court texte sur le parcours extrêmement intéressant des hommes de cette colonne, nous renvoyons à l’ouvrage en castillan de Miguel sur José Pellicer [2] , et à la « Chronique passionnée de la Colonne de Fer » d’Abel Paz, parue en français chez Nautilus en 2002.

Les giménologues, 11 octobre 2015.

Nous savons peu de choses sur Elías Manzanera Estellés car il a toujours été très avare en paroles s’agissant de sa personne, et il est à peine plus prolixe concernant ceux qui l’ont connu. Les informations qu’on a de lui sont très limitées, et nous ne pouvons pas en certifier la rigueur ni l’exactitude. Il est né en 1908 à Valence, fils de Elías et Teresa. Il a appris le métier d’ébéniste et, comme l’immense majorité des ouvriers de l’époque, ce fut un autodidacte. Sa formation anarchiste il l’a acquise par la fréquentation assidue des ateneos libertaires durant la courte période où ils ont été ouverts à Valence, entre fin 1931 et début 1933. Il a tout de suite fait partie d’un groupe de la FAI. Il a été détenu dans la deuxième quinzaine d’août 1931 pour avoir imprimé dans un local du chemin de Jésus un manifeste qui, selon la police, incitait à la rébellion armée contre le pouvoir, et cela lui a valu de la part du juge la grave accusation de conspiration en vue d’une sédition. Il adhéra également au Syndicat Unique du Bois de Valence au moment de sa fondation en 1930. Ce syndicat a été l’un des premiers à se réorganiser en impulsant une importante grève entre novembre et décembre 1930, qui se conclut par la reconnaissance du syndicat et de quelques-unes de ses bases par le patronat. Cette victoire a été ternie par les affrontements de 1932 et 1933, d’abord entre la CNT et l’UGT, ensuite entre les « syndicalistes purs » regroupés autour de la direction modérée et politique, et la section des charpentiers et ébénistes, radicale et anarchiste.

Les réformistes et politiciens, déjà appelés « Trentistes » ou simplement « pompiers », étaient majoritaires dans les postes de direction des syndicats de la CNT, à l’exception des secteurs de la Construction et de l’Alimentation. La tentative des ouvriers révolutionnaires pour les déloger des comités a engendré de fortes tensions qui se sont soldées par une scission. Le syndicat du Bois a été le premier à cesser de verser sa cotisation au Comité Régional, aux mains des révolutionnaires ; mais les ébénistes, fidèles à ce dernier, se sont refusés à faire de même et ils se sont séparés du syndicat pour le refonder. Entre temps, Manzanera et son compagnon Salvador Pla Paula ont dû se présenter devant les tribunaux pour répondre de l’accusation de conspiration retenue contre eux en 1931. Ils adoptèrent une défense risquée : ils ont reconnu être les auteurs de la proclamation, arguant qu’ils ne le faisaient pas pour décharger les autres camarades de leur responsabilité. Ils ajoutèrent que tous les concepts exprimés dans ces feuillets s’accordaient à leurs idéaux, et qu’en les diffusant ils n’avaient d’autre objectif que d’exposer les doctrines de l’organisation, sans qu’ils soient animés par l’envie d’inciter les « masses » à une quelconque rébellion (« La correspondance de Valence », 4 avril 1933). Les jurés, impressionnés par leur plaidoirie, les déclarèrent innocents obligeant ainsi le juge à ordonner leur liberté. Il est probable qu’à partir de ce moment Manzanera a rempli les fonctions de secrétaire général du nouveau Syndicat du Bois et de délégué dans la Fédération Locale de Valence. Le syndicat se réunifia avec son homologue « Trentiste » en 1936, quelques jours avant le Congrès Extraordinaire de Zaragoza.
Lors du soulèvement militaire du 18 juillet, Manzanera se serait mis à la disposition des comités de défense naissants. Il a pris part à la libération des prisonniers de San Miguel, à l’assaut des casernes de la Alameda, et enfin à celui du couvent de las Salesas où les comités de défense de la CNT constitueront la colonne qui plus tard s’appellera « la colonne de fer ».

Les souvenirs publiés en 1981, son « document historique », témoignent de sa participation aux faits qu’il relate, mais ils se réfèrent strictement à la courte période de 1936, entre fin juillet et début décembre. Ils ne sont pas bien structurés, comportent quelques erreurs et de nombreuses omissions, et n’offrent pas une vision cohérente. Cela est sûrement dû au fait que son rôle dans la Colonne de Fer a été épisodique, et qu’il n’a pu raconter que ce qu’il a vu. Ou alors son attachement à l’orthodoxie de Montseny ne l’a pas autorisé à trop parler des conflits entre ladite Colonne et la direction nouvellement collaborationniste de la CNT. Ajoutons qu’il n’a commencé à raconter l’épopée belliqueuse des anarchistes de Valence que tardivement, dans les années 70, quand il y a été incité par Nestor Romero, fils d’un militant bien connu, et par Salvador Cano Carrillo, l’ancien secrétaire du comité Régional de la FAI et directeur de « Nosotros », dans sa meilleure période gouvernementale. Manzanera a fait ce qu’il a pu, et il a eu au moins le mérite d’être le seul parmi les fondateurs survivants de la Colonne à avoir laissé des traces écrites. D’autres, comme Segarra, Serna, Morell ou Gimeno ont préféré ne pas le faire. C’est le premier qui nous parle des fondateurs supposés de la Colonne de Fer. Dans ses notes de 1975, il dit que ce sont Rafael Martí, les frères Pellicer, Armando, Ángel Gómez de la Higuera, Diego Navarro et José Segarra. Ce n’est pas tout à fait vrai car la Colonne a été créée à partir du Comité de Défense de la CNT, principalement à l’initiative du Syndicat de la Construction et du groupe « Nosotros », mais il est vrai que les militants cités plus haut figurent parmi les plus impliqués. D’autre part, Diego Gómez et Pellicer appartenaient à la Construction. Manzanera se présente également comme fondateur, ce qui est un peu exagéré. Il n’était pas en relation avec le groupe de José Pellicer, et - ce qui semble peu correspondre au rôle supposé d’organisateur - il n’attendit pas que la colonne soit préparée un minimum puisqu’il partit au front avec les « impatients », dont le charismatique « Pancho Villa » - qui est le surnom donné à Rafael Martí, natif d’Alcoy, pour illustrer son courage. Il narre par le menu les batailles de Sarrión et de Puerto Escandon où ce dernier a trouvé la mort. La colonne a dû s’organiser plus sérieusement et, début septembre, Manzanera entra au comité de guerre en tant que délégué au ravitaillement. Il n’a pas dû être présent à l’enterrement de Tuburcio Ariza, lors du massacre des miliciens de la Plaza Tetuán, car il décrit les événements de façon peu fidèle, de même qu’il ne semble pas avoir participé aux descentes à l’arrière garde de la Colonne. En octobre son rôle dans la Colonne a dû se compliquer car il a partagé sa fonction de responsable avec Morell. Il contredit avec raison Peirats sur les supposés affrontements « sanglants », et mentionne des détails peu connus mais réels. Par exemple il attribue la création de « Nosotros » (l’hebdomadaire et non pas le quotidien) à Pellicer et Segarra, et mentionne les entretiens entre les délégués de la colonne et Largo Caballero. Lors de la réorganisation de décembre décidée lors de l’assemblée de délégués de centuries, la section du ravitaillement comptait aussi avec Diego Navarro. Mais à la fin du mois, Manzanera abandonna la Colonne de Fer : son nom ne figure plus dans le rapport de réorganisation présenté par le comité de guerre, et ses souvenirs ne mentionnent plus aucun fait, à part celui de l’assemblée plénière pour décider de la militarisation, où il n’aurait pas été présent.
Nous ignorons les raisons pour lesquelles Manzanera passa à l’arrière-garde et abandonna la Colonne. Bien que d’autres l’aient aussi fait au même moment parce qu’on n’accordait plus de permission avant l’offensive contre Teruel, tout ce que nous pourrions dire relèverait de spéculations. Il aurait rempli des tâches matérielles jusqu’à son entrée dans l’Armée Populaire « sur mandat de l’Organisation », sans doute vers la fin 1937. Il a été nommé commissaire intérimaire de compagnie dans le Bataillon de Puentes N°1 de l’Armée du Levant cantonné à Alfafar, et composé dans sa majorité de membres de la CNT. Le poste de commissaire du Bataillon étant tenu de façon provisoire, son syndicat proposa le 14 janvier 1938 qu’il occupe officiellement cette charge. Le Comité Régional ainsi que le Comité National de la CNT en firent la demande, mais en septembre, elle n’avait pas encore abouti. Nous doutons qu’il ait été nommé à ce poste : sur une liste de la Section d’Information du Quartier Général insurgé de Burgos datée du 7 août 1939, on note que José Vicedo Payal était affecté à ce poste. Il est possible que Manzanera ait été fait prisonnier à la fin de la guerre, car il ne s’est pas exilé en France avant 1943.

Il a passé la plus grande partie de son exil à Paris. En 1979 il a visité Valence et rencontré de vieilles connaissances dont l’une lui a suggéré de rédiger l’histoire de la Colonne de Fer. C’est ce qui est devenu son « document historique », compilation de quelques souvenirs, du manifeste de la Colonne de Fer reproduit par Peirats, du rapport du comité de guerre pour l’assemblée plénière paru dans « La Fragua social », de l’article qu’il écrivit pour « Línea de Fuego », et de deux autres écritures journalistiques de l’exil.

Il est revenu à Valence au début des années 80, et Abel Paz l’interviewa pour documenter le livre qu’il écrivait sur la Colonne ; mais il ne collabora pas à son rédaction. On perd sa trace dans les dernières années de sa vie car il n’a pas été souvent en contact avec la CNT, et l’on ne garde pas de souvenirs précis de lui. On ne lui connaît pas non plus de familiers, juste une compagne occasionnelle avec qui il vécut à Valence.

Manzanera est mort en juillet 1990. Deux notes nécrologiques publiées dans le « Cenit » et « CNT » en attestent.

Miquel Amorós
Barcelone le 15 novembre 2010. Avec des additifs du 20 août 2015
(Traduction de Juliette que nous remercions)