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ITINERAIRES D’UN ANARCHISTE
Alphonse TRICHEUX (1880-1957)
Editions Loubatières, Toulouse 2011

Le compañero Juanito Marcos, des éditions du Coquelicot, nous a fait part de la sortie de son nouveau livre réalisé avec sa sœur Violette Marcos.


ITINERAIRES D’UN ANARCHISTE
Alphonse TRICHEUX (1880-1957)
Editions Loubatières, Toulouse 2011


Voici le texte complet de l’

AVANT-PROPOS de « Itinéraires d’un anarchiste. Alphonse Tricheux »


« Toulouse, dans l’Entre-deux-guerres, n’est pas un gros bourg ! C’est une petite ville où s’implante progressivement de nouvelles industries.
Le bel canto n’est pas le seul chant qui fait vibrer la ville ! L’Internationale et Le Temps des cerises font aussi partie du répertoire toulousain.
Rompre avec de telles représentations poussiéreuses ou plutôt tenter de nuancer le tableau de la ville et faire entendre d’autres sonorités, d’autres clameurs, celles du travail, de l’exploitation et de la révolte, voilà un des propos de ce livre. Il n’est pas le seul. L’histoire sociale, politique, est portée par des hommes et des femmes dont on a perdu, très souvent, toute trace, tout souvenir et parfois à jamais.
La chance nous a été donnée de retrouver la piste d’un de ces inconnus, un de ces personnages engloutis dans le passé.
Cette recherche a débuté comme un roman policier, par une énigme.
Il y a quelques années, une archiviste du Centre international de recherches sur l’anarchisme de Lausanne (CIRA) nous confiait la photocopie d’une lettre manuscrite, datée de 1924 et signée par un anarchiste toulousain, Alphonse Tricheux. Celui-ci informait un correspondant suisse de la création à Toulouse d’une coopérative libertaire.
Qui était cet inconnu ? À quel groupe appartenait-il ? Quelles activités les anarchistes menaient-ils dans la ville ?
Cette découverte fut le point de départ d’une longue liste de questions, d’un grand étonnement : dans l’Entre-deux-guerres, Toulouse n’était donc pas cette bourgade bucolique, éloignée des conflits sociaux et des violences politiques ?
Deux fils rouges tressés devaient conduire nos investigations : Alphonse Tricheux et la ville.
D’abord l’homme, un inconnu, ou plutôt un de ces « petits », de ces « sans grade » ignoré de tous, dont le souvenir semblait gommé par le temps si ce n’est dans la mémoire vacillante de quelque petit-fils, aujourd’hui qui plus est disparu.
Le travail en archives devait permettre de résoudre en partie l’énigme. Pas à pas, de centres d’archives en services d’état civil, en passant par des compagnies de transports transatlantiques dont les dossiers avaient sombré à jamais, nous avons essayé de suivre le personnage à la trace. Nous avons ainsi pu découvrir le mécontentement des paysans des Corbières, la grève générale des planteurs de tabac à La Havane et les manifestations de soutien à Sacco et Vanzetti à Toulouse. Des publications diverses, cubaines, françaises et bien sûr toulousaines ont enrichi les luttes, les meetings et les innombrables réunions.

La richesse des archives permettait de recréer le puzzle de la vie militante d’Alphonse Tricheux d’autant plus qu’il ne fut pas un inconnu pour tout le monde. De son vivant il avait fait l’objet d’investigations « rapprochées ». Il avait été suivi, surveillé, fiché par les Renseignements généraux qui avaient amassé sur lui et ses amis de nombreux rapports et comptes rendus, entreposés aujourd’hui à Toulouse ou à Paris.
C’est en croisant ces documents, en les soumettant à la critique, que l’assemblage des traces pouvait permettre de recomposer le puzzle politique et social du groupe libertaire dans la ville.

Mais point de triomphalisme car à mesure que nous avancions dans nos recherche Alphonse Tricheux s’avérait de plus en plus mystérieux. Les événements les plus simples et les plus déterminants de sa vie restaient un mystère : Pourquoi quittait-il sa ville natale et plus tard Cuba ? Pourquoi ses silences, ses non-dits ? Sans parler de sa vie privée.
Faisons la part de l’époque et du milieu. C’était un militant pour qui vie privée et vie publique étaient drastiquement séparées. Les RG, quant à eux, dans leur langage codé, se contentaient – peut-on le déplorer – de ne noter que des informations bureaucratiques. Rien ou presque rien, dans les archives ne nous livrait le privé, l’intime.

Pour mieux le décrire, il fallait tenter de faire une histoire en creux : dresser les éléments du décor qui permettaient de recréer le possible, le probable de cette vie. C’est ainsi que Toulouse, après Cuba et les Corbières, devait nous permettre de comprendre ce qui gravitait autour de lui. Les compagnons de lutte, les amis et les adversaires bien sûr mais aussi les groupes sociaux et politiques, ce milieu dans lequel non seulement il vivait et travaillait mais qu’il voulait changer. Car le militant qu’il était donnait à voir et à entendre ses convictions, ses opinions.

À travers Alphonse Tricheux notre souci était de rendre compte, loin des photos sépia, d’une société dans laquelle, pendant l’Entre-deux-guerres, les hommes ont été confrontés à l’injustice sociale et politique, à l’espoir aussi. Car Alphonse Tricheux a fait partie de ces militants qui ont essayé de transformer « le monde » par leurs luttes, leurs espérances.
Ce livre fera-t-il perdre au Toulouse de l’Entre-deux-guerres son petit goût acidulé de ville provinciale ? Il voudrait recréer, en tout cas, une ville où travailler et tenter de changer le monde allaient de pair. »

Les Giménologues, 19 mars 2011 (à suivre)