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Les Portugais et la guerre d’Espagne. Engagement militant, solidarités et mémoires
Dernier numéro de la revue "Exils et Migrations ibériques aux XXe et XXIe siècles"

Nouvelle série (1) numéro double 11-12, hiver 2020. En librairie depuis le 28 janvier 2021
Revue co-éditée par le Centre d’étude et de Recherche sur les Migrations Ibériques (CERMI) et la revue Riveneuve Continents.

Les Portugais et la guerre d’Espagne. Engagement militant, solidarités et mémoires

Ouvrage coordonné par Cristina Clímaco et Marie-Christine Volovitch-Tavares (2) en collaboration avec Odette Martinez-Maler et Sandrine Saule.

La revue Exils et migrations ibériques aux XXe et XIXe siècles (3) se distingue par la qualité de sa fabrication. Dans un format 21/14 adapté, ses cinq-cents pages bien aérées n’apparaissent pas insurmontables au lecteur qui peut les feuilleter aisément. En cahier ou en pleine page, les photos sont d’une netteté remarquable.
Après une rapide mise en contexte de la situation au Portugal, quinze articles soigneusement référencés se succèdent (voir le sommaire ci-dessous).
Un résumé de chaque article et une notule sur chaque auteur complètent l’ouvrage.
Et nous saluons la naissance d’une nouvelle rubrique "La fabrique des archives", qui « souhaite appréhender le plus large spectre des sources sur les migrations ibériques en interrogeant tous les types d’archives, écrites ou orales, iconographiques ou ausiovisuelles. »

Nous nous permettons de signaler qu’un index des noms ne serait pas de trop…

Présentation

Dessin Franco Salazar 1946

"Destin partagé avec les républicains Espagnols, les Portugais ont été doublement vaincus : par l’histoire et par la mémoire. Le présent ouvrage entend leur rendre hommage. "

Cet ouvrage collectif vient aussi combler un vide flagrant.

Comme Marie-Christine Volovitch-Tavares et Cristina Clímaco l’indiquent dans leur présentation, il s’agit d’explorer « un volet resté longtemps ignoré ou très peu connu de cette guerre ayant donné à voir l’étroite imbrication et l’histoire espagnole et portugaise des deux côtés d’une frontière qui lie autant qu’elle sépare.
Il a fallu attendre plusieurs années, même après la fin des deux dictatures (l’Estado Novo(4) en 1974 et le franquisme en 1975), pour que des recherches historiques, à la fois côté portugais et côté espagnol, s’intéressent à cette composante de la guerre d’Espagne, recherches qui s’entrecroisent et se complètent.
Les quinze articles […] nous permettent d’aborder ce sujet sous divers angles (situations locales, parcours individuels et collectifs, biographies) avec, en conclusion, un bilan historiographique de la mémoire antifasciste liée à la guerre d’Espagne et un aperçu des enjeux de mémoire sur le conflit espagnol, des deux côtés de la frontière.
Les textes que nous présentons mettent en évidence la participation des Portugais à la guerre d’Espagne, ainsi que l’importance et la complexité de l’implication du Portugal et des Portugais dans la guerre civile espagnole, et ils soulignent combien cette guerre fut, dès ses débuts, plus largement, un affrontement ibérique, à la fois politique, idéologique et sous certains angles, militaire, au-delà des combats sur le seul territoire espagnol.
Les recherches historiques, comme les récits mémoriels que nous présentons, mettent en évidence l’étroite imbrication des enjeux pour les deux pays et leurs populations pour les années 1936-1939, mais aussi pour les années qui ont précédé et qui ont suivi. »

« Le Portugal et la Guerre d’Espagne : mise en contexte »

Dans cet article Cristina Clímaco pose rapidement les points forts de la collusion entre conservateurs portugais et espagnols dans la mise en œuvre d’une stratégie contre-révolutionnaire entre 1931 et 1936 – où « l’interventionnisme » – toujours discret – du gouvernement anglais est patent :

« Dès le début de la guerre civile espagnole, Salazar lie son sort et la pérennité du régime à celui des nationalistes espagnols. En effet, le succès du Front Populaire aux élections espagnoles de février 1936 relance l’idée du péril communiste et ravive le souvenir de 1931, lorsque la Seconde république espagnole était devenue une plateforme arrière de l’opposition portugaise à la dictature portugaise, d’autant plus que la presse du Front populaire affiche son hostilité envers le régime portugais. La conséquence immédiate de la victoire électorale du Front populaire est l’arrivée au Portugal d’une vague de réfugiés issus de la droite conservatrice espagnole. Ainsi, l’Estoril, ville dans les environs de Lisbonne où le général Sanjurjo s’était installé en 1934, devient un pôle dynamique de conspiration. Le gouvernement portugais et la police politique ne cherchent pas à contrarier l’activité sur son territoire des exilés espagnols, qui complotent à leur guise contre la Seconde République.
À la fin mai 1936, Salazar aurait même reçu en secret la visite d’un délégué officiel du gouvernement anglais et d’un représentant du parti conservateur espagnol, pour l’entretenir de l’éventualité d’un important mouvement communiste dans les provinces espagnoles limitrophes du Portugal. Ils auraient insisté sur la nécessité pour le gouvernement portugais de prendre rapidement des mesures de sécurité aux frontières, en n’excluant pas la possibilité d’une intervention armée si la situation l’exigeait. C’est avec la connivence des autorités portugaises et l’aide apportée par des éléments liés au régime, que les exilés espagnols préparent la rébellion nationaliste. Le général Sanjurjo se préparait à prendre le commandement de la rébellion quand il décède dans un accident d’avion dans les environs de Lisbonne lors de son départ pour l’Espagne. Néanmoins, le quartier-général des insurgés, installé à Estoril, reste en liaison permanente avec les troupes nationalistes soulevées. […]
La guerre d’Espagne devient ainsi le théâtre de la confrontation armée entre l’Estado Novo et l’opposition portugaise, qui se battent par camps interposés pour la victoire de leur projet politique. Dans ces conditions, la guerre d’Espagne est une guerre civile ibérique, menée certes sur le territoire espagnol, mais dont l’issue déterminera l’avenir politique du Portugal."
souligne Cristina Clímaco.

"Des bateaux du IIIe Reich, chargés d’armes et de matériel de guerre pour les rebelles, sont déchargés à Lisbonne, mais le gouvernement allègue qu’ils sont destinés à l’armée portugaise. Et des facilités sont concédées par le gouvernement portugais aux rebelles pour l’achat d’armes et de matériel de guerre qui se fait soit par le bais d’entreprises portugaises, soit par l’accréditation d’agents de la Junte de Burgos qui achètent directement auprès des fournisseurs étrangers. Du matériel de fabrication portugaise est également vendu aux nationalistes et acheminé vers les zones rebelles. Outre l’achat d’armes et de matériel de guerre, le gouvernement portugais concède des facilités logistiques, permettant aux insurgés d’utiliser les bases aériennes et les aérodromes portugais pour leurs opérations de guerre, notamment le bombardement des villes espagnoles frontalières du Portugal. Malgré les dénonciations qui parviennent aux ambassades des pays antifascistes, à propos des agissements des insurgés, l’état-major rebelle a carte blanche au Portugal."

Les "volontaires " portugais dans la guerre d’ Espagne :
"Si Salazar envoie des volontaires combattre dans le camp de l’Espagne nationaliste, les viriatos, des précautions sont prises pour présenter leur départ comme une décision individuelle. Dispersés dans la Légion étrangère espagnole, la Phalange, les réquetés, et même dans l’armée régulière, ils ne constitueront pas une légion portugaise. Les agents recruteurs parcourent le Portugal et cherchent à enrôler des volontaires, en ayant parfois recours à des pratiques mensongères. Un certain nombre de volontaires vont se retrouver enrôlés dans l’armée nationaliste alors qu’ils avaient signé un contrat pour travailler en Espagne. D’autres volontaires partent en toute connaissance de cause, motivés par l’esprit d’aventure, pour échapper à la justice ou par conviction politique, croyant lutter contre le communisme et pour la Patrie. […] Après la signature du contrat, les volontaires sont acheminés vers les Banderines de engache en Espagne où a lieu l’incorporation."(5)

Ainsi
"L’intervention de Salazar a lieu à un moment où le soutien étranger est indispensable à la victoire de l’insurrection et au moment où l’on discute en Europe de la Non-intervention des pays étrangers dans le conflit.
Salazar s’engage dans la question espagnole jusqu’aux limites de la marge de manœuvre que lui laisse son statut de neutralité."

Du côté de l’opposition portugaise, la guerre d’Espagne l’oblige à se redéfinir au niveau idéologique et à se restructurer, mais sa marge d’action va se réduire :
"C’est la période des dernières tentatives de soulèvement dans l’armée fomentées par l’opposition républicaine et de ses derniers sursauts en exil. En effet, l’activité de l’opposition est intense pendant la période 1936-1939, mais c’est aussi celle où l’action déployée a le moins de succès. Le dispositif défensif de l’Estado Novo est déjà mis en place, la Police de surveillance et de défense de l’État (PVDE) contrôle les agissements de l’opposition grâce à un réseau qui, malgré ses défauts, la maintient informée de ce qui se passe à l’intérieur du pays et en exil. Et la guerre d’Espagne apporte au régime la consolidation qui lui manquait, par l’adhésion et la mise sous contrôle des Forces armées."

La gauche portugaise passe quand même à l’action :
"En avril 1937, le gouvernement républicain espagnol, par le biais de son ambassadeur à Paris, Luis Araquistaín, concède un emprunt de six millions de francs à l’opposition portugaise, représentée par le Comité d’Action du Front Populaire Portugais (FPP), une partie des fonds est employée pour la publication à Paris du périodique Unir, l’autre est réservée pour les préparatifs révolutionnaires. Unir (1937-1939), introduit clandestinement au Portugal, publie périodiquement des nouvelles de la guerre d’Espagne, et prétend être une tribune d’information alternative à la presse officielle portugaise sur l’évolution du conflit espagnol. Un deuxième périodique publié à Paris, Liberdade (1938-1939), financé par la Confédération National du Travail-Fédération anarchiste ibérique (CNT-FAI) et proche du FPP, porte également une attention particulière à la Guerre civile ; en mai 1939 il devient un journal bilingue avec une rubrique dédiée aux réfugiés intitulée España expatriada."

L’insatisfaction règne également chez les paysans et dans le prolétariat ouvrier : trois actions ont acquis une forte charge symbolique dans l’aide à l’Espagne républicaine […] : la révolte des navires de guerre en septembre 1936, fomentée par l’Organisation Révolutionnaire de la Marine (ORA), liée au Parti Communiste Portugais (PCP). les attentats à la bombe de janvier 1937 contre des cibles nationalistes espagnoles à Lisbonne, et l’attentat contre Salazar.

"L’affaire des bombes qui explosent à Lisbonne, contre des cibles nationalistes espagnoles, en janvier 1937, est l’action qui a le plus de répercussion sur les événements d’Espagne. Elle est préparée par José Maria Ferreira (Silva da Madeira) et l’anarchiste Godinho, agents de liaison de Jaime de Morais, qui arrivent au Portugal fin décembre 1936. Les attentats sont exécutés par des groupes anarchistes et des éléments du groupe Action Anticléricale et Antifasciste (AAA), bras armée de la Maçonnerie, chapeautés par le Front Populaire Portugais (FPP) de l’intérieur. Quelques communistes y participent également, à titre individuel, dont Fernando Tavares de la direction du PCP. L’action est financée par la FAI [Fédération Anarchiste Ibérique] , qui donne 50 mille francs aux Budas, les exilés républicains de Barcelone. […]
Le succès de l’opération de janvier 1937 et son effet moral sur la population encouragent les intervenants à poursuivre ce type d’actions. L’objectif est double : empêcher le soutien du Portugal aux nationalistes espagnols et provoquer une crise du régime salazariste. C’est ainsi que naît l’idée de l’attentat contre Salazar, à la préparation et à l’exécution duquel participent des anarchistes de la CGT [ Confédération Générale du Travail] et de la FARP [ Fédération anarchiste de la Région Portugaise], des éléments républicains liés à Silvino Ferreira et à Silva da Madeira, et des communistes. Une première tentative a lieu le 28 février 1937, mais mal préparée, elle échoue. Une bombe finit par exploser, le 4 juillet, mais Salazar sort indemne de l’attentat et l’Estado Novo se pérennise."

"La fabrique des archives"

Sandrine Saule : « Ouvrir la boite noire de ce que les chercheurs et les chercheuses appellent les sources, tel est le propos de cette nouvelle rubrique. »
Elle rappelle que si des ethnologues ont collecté la parole de témoins au début du XXe siècle, les historiens et historiennes n’ont eu recours à ces sources orales qu’après la Seconde Guerre mondiale, et qu’un pas fut franchi dans les années 1980 avec le concept « d’archives orales ». Elle ajoute : « Néanmoins les résistances et les critiques demeurent fortes aujourd’hui encore au sein de la communauté historienne » – ce que nous avions constaté par nous-mêmes au cours de nos pérégrinations d’historiens amateurs.
La « fabrique des archives » présentera dans chaque numéro un article où l’auteur ou l’autrice remonte le cours des « sources » pour interroger les modalités de construction des fonds d’archives. Le texte sera accompagné de reproductions de documents originaux.

Cette première édition de la « fabrique des archives » met en résonnance le travail d’Odette Martinez-Maler sur les archives de l’OFPRA :
" L’accueil des guérilleros antifranquistes de Léon-Galice réfugiés en France entre 1948 et 1953"
avec le témoignage de son père, le guérillero Francisco Martínez López :
" El Quico, L’exil et l’asile en France en 1951".

Nous suivons depuis lontemps le travail de collecte et d’archivage impressionnant d’Odette Martinez-Maler en syntonie avec le parcours et la démarche de son père « el Quico » qui aboutit, entre autres, à la publication de la lettre ouverte nous avons relayée en septembre 2016 : « Espagne : ce passé qui ne doit pas sombrer dans l’oubli. Lettre ouverte de Francisco Martínez López à la direction du PCE » pour dénoncer les crimes staliniens commis dans la guérilla antifranquiste entre 1945 et 1951 :
http://gimenologues.org/spip.php?article682

Les guerilleros réfugiés en 1951 . "Quico" est en haut à droite

Il semblerait qu’il attende toujours de son parti - le PCE – "qu’il reconnaisse publiquement les méthodes répugnantes auxquelles il a eu recours pendant les années de guérilla et qu’il réhabilite tous ceux qui les ont subies et particulièrement les victimes d’exécutions sommaires commanditées par la direction de ce parti. Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour qu’il le fasse ? "

NOTES

(1) La revue Exils et migrations ibériques au XXe siècle est apparue en 1993 comme un bulletin de recherche sur l’exil et l’immigration espagnols, créé à l’Université de Paris-7. Depuis 2013, la revue est publiée en association avec la revue Riveneuve Continents.

(2) Elle est aussi l’autrice de l’article « L’immigration des Portugais en France, une histoire de paradoxes et de contrastes », paru en 2006 dans le n°2, de la revue Exils et migrations ibériques au XXe siècle. Espagnols et Portugais en France au XXe siècle. Travail et politiques migratoires, pp. 57-102 . Consultable ici : https://www.persee.fr/doc/emixx_1245-2300_2006_num_3_2_1082

(3) Voir nos articles sur le riche numéro précédent : Écritures de la Révolution et de la guerre d’Espagne, parus en février 2019 :
http://gimenologues.org/spip.php?article822
http://gimenologues.org/spip.php?article823
http://gimenologues.org/spip.php?article824

(4) : Rappel : Oliveira Salazar s’appuyait sur la constitution de 1933 qui instaura un régime personnel, autocratique et répressif : l’Estado Novo. Plus que le président de la République, qui continue à être élu au suffrage universel et direct, Salazar était devenu le vrai chef de la nation.

(5) D’autres volontaires portugais s’engagèrent pour combattre en faveur de l’Espagne républicaine : trois articles traitent la question s’appuyant sur les récits tel celui de Pedro Batista da Rocha.

Les Giménologues, 26 février 2021



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