Présentation des éditeurs : Web Syllepse : https://www.syllepse.net/barcelone-mai-1937-_r_76_i_1047.html
Ce livre donne une nouvelle vision, inédite, des événements de mai 1937, très originale et totalement différente de celle que propose, jusqu’à ce jour, l’historiographieacadémique.
Il se base, c’est ce qui le caractérise avant tout, sur un travail rigoureux de recherche dans des archives, et sur les entretiens avec plusieurs de ses protagonistes.
Ce n’est pas un livre de livres, ces habituels bouquins imbuvables faits d’extraits et de données repris dans d’autres livres et que nous proposent les maisons d’édition commerciales. Il s’agit ici du récit complet, parfois inespéré, des faits qui se sont produits au cours des sanguinaires journées du 3 au 7 mai, faits racontés du point de vue des insurgés qui en furent les protagonistes et à travers une documentation rigoureuse et indiscutable.
Nombreuses sont les nouveautés, totalement inconnues avant l’édition de ce livre, et qui à partir de maintenant seront reproduites et irrémédiablement mal comprises dans le petit monde plagiaire du copier/coller universitaire.
Nous allons faire, ci-dessous, un bref résumé du livre, mais inévitablement, nous n’y retrouverons pas toute la fraîcheur, toute la complexité et toute la richesse qu’il y a dans l’ouvrage dans son ensemble.
Les décrets de la Generalitat [gouvernement autonome de Catalogne] du 4 mars
1937 créèrent un Corps Unique de Sécurité (formé par la garde d’Assaut et la Garde
Civile) et ils annoncèrent la dissolution (dans un futur immédiat) des Patrouilles de
Surveillance. Ces décrets entraînèrent la réorganisation des comités de défense qui
hibernaient jusqu’alors, la démission des conseillers cénétistes [ministres de la
Generalitat de la CNT] et une grave crise de gouvernement.L’assemblée de la Fédération Locale (de Barcelone) des Groupes Anarchistes
du 12 avril 1937, radicalisée par la présence des Jeunesses Libertaires et des délégués
des comités de défense qui y furent invités, exigea le retrait de tous les cénétistes des
postes municipaux ou gouvernementaux, et créa un comité insurrectionnel. Dans cette
radicalisation jouèrent un rôle important Julián Merino, Pablo Ruiz et Juan Santana
Calero.
Le 15 avril, après une longue et laborieuse négociation, Companys et Manuel
Escorza del Val se mirent personnellement d’accord sur une résolution de la crise et la
formation d’un nouveau gouvernement (avec l’entrée comme conseller du cenetiste
Aurelio Fernández).
L’assassinat d’Antonio Martin à Bellver de Cerdanya, le 27 avril 1937, entraîna
la rupture de l’accord si laborieusement obtenu. Manuel Escorza mit les comités de
défense en alerte, en révélant l’information sur un prochain coup de force du bloc contre-
révolutionnaire. Escorza provoqua l’étincelle, mais il s’opposa à un soulèvement
qu’il considérait comme prématuré et sans préparation suffisante, sans objectifs ni
coordinationes adéquats.
La provocation du 3 mai, lorsque le stalinien Eusebio Rodriguez Sala prit
d’assaut le central téléphonique, mobilisa les comités de défense qui, en deux heures,
déclarèrent la grève révolutionnaire, prirent en mains tous les quartiers ouvriers et
dressèrent des barricades dans le centre de la ville et à des endroits stratégiques. Les
comités supérieurs cénétistes (représentés alors par Dionis Eroles et Josep Asens)
essayèrent de contrôler les comités de défense, mais, sans y parvenir, ils furent
débordés.
Le 4 mai, dans la matinée, Julian Merino, secrétaire de la Fédération Locale
(barcelonaise) de la FAI, convoqua une réunion du comité régional de Catalogne, en
parvenant à former un Comité Révolutionnaire secret de la CNT (formé par Julian
Merino, Lucio Ruano et le sergent Manzana) et deux commissions pour coordonner
et étendre la lutte dans les rues, une Place Espagne et une autre au Centre-Parallèle. À
cette réunion, fut également nommée une délégation cénétiste dirigée par Santillan, pour
négocier une issue au Palais de la Generalitat. Ruano dirigea les canons de Montjuic
sur la Place San Jaime.
La CNT jouait un double jeu : l’insurrectionnel et le négociateur. Companys
(président de la Generalitat) et Comorera (secrétaire du PSUC) ne jouait que le jeu de
la provocation dans le but très clair d’arriver à annihiler les insurgés, affaiblir la CNT afin
de l’annuler et de former un gouvernement fort.
Le 4 mai, dans l’après-midi, les travailleurs barcelonais armés sur les
barricades et prêts au combat, ne furent pas vaincus par le PSUC, par ERC ou/et par
les forces de l’ordre du gouvernement de la Generalitat. Ces travailleurs finirent par se
plier aux messages pacificateurs de la radio. La tentative révolutionnaire de coordonner
et de donner un objectif précis à l’insurrection échoua. Alors que l’ensemble de
Barcelone était plein de barricades, les ouvriers armés furent vaincus et humiliés
par les prédications radiophoniques des comités supérieurs de la CNT, et plus
particulièrement par le discours des « embrassades » de Joan García Oliver (celui-ci
appelait les ouvriers des barricades à embrasser les gardes d’assaut comme des frères).
Le 5 mai, vers midi, Sesé, secrétaire de l’UGT, se fit tirer dessus depuis le
Syndicat des Spectacles de la CNT lorsque la voiture dans laquelle il se trouvait refusa
de s’arrêter à un contrôle de barricade. Celui-ci allait prendre son poste de conseiller
(ministre Generalitat). En représailles, Companys ordonna à plusieurs reprises à
l’aviation de bombarder les casernes et édifices aux mains de la CNT. Les Amis de
Durruti lancèrent un tract qui essayait de donner des objectifs concrets à l’insurrection :
substitution de la Generalitat par une Junte révolutionnaire, exécution des coupables de
la provocation (Rodriguez Sala et Artemi Aguadé), socialisation de l’économie,
fraternisation avec les militants du POUM, etc. Les comités supérieurs désavouèrent
immédiatement ce tract, qui avait eu la vertu de relancer la lutte sur les barricades.Les 5 et 6 mai furent l’apogée de la lutte dans la rue. Le bloc contre-révolutionnaire profita des tentatives de trêve ou d’abandon des barricades suite aux consignes radiophoniques et dans la presse pour consolider ses positions ; les révolutionnaires reprenaient alors les combats et retournaient aux barricades.
Le 7 mai, il était évident que le soulèvement avait échoué. Les travailleurs commencèrent à défaire les barricades. Les troupes envoyées de Valence défilèrent avenue Diagonal et occupèrent la ville. Les jours suivants, les comités supérieurs de la CNT essayèrent de cacher ce qui s’était passé, de retoucher les procès-verbaux en cours de rédaction et en définitive d’éviter au mieux la répression prévisible des staliniens et du gouvernement contre leur Organisation et contre les protagonistes les plus en vue. Le POUM était le bouc émissaire nécessaire qui allait tout prendre sur le dos
S’il fallait résumer mai 37 en une phrase, il faudrait y expliquer que les travailleurs armés sur les barricades et totalement décidés furent vaincus par les appels au cessez le feu émis par la radio. La révolte à Barcelone fut vaincue par la radio.
Conclusion
Pour la première fois dans l’histoire, une insurrection a commencé et a perduré contre la volonté des leaders de l’organisation à laquelle appartenait l’immense majorité des insurgés. Mais même si une mutinerie peut être improvisée, une victoire en aucun cas (Escorza) ; et d’autant moins lorsque toutes les organisations ouvrières antifascistes se montrent hostiles au prolétariat révolutionnaire, de l’UGT jusqu’aux comités supérieurs de la CNT.
Les comités supérieurs jouèrent un double jeu, en même temps qu’ils permettaient la formation d’un Comité Révolutionnaire de la CNT, ils formaient une délégation pour aller négocier au palais de la Generalitat. Ils laissèrent très vite tomber la carte de l’insurrection pour miser sur le cessez le feu qui assurait leur avenir comme bureaucrates.
UGT et comités supérieurs de la CNT, ERC et gouvernement de la Generalitat, staliniens et nationalistes transformèrent la magnifique victoire militaire des révolutionnaires, à portée de main (selon Julián Merino de la FAI et Rebull du POUM) en une désastreuse défaite politique qui ouvrit la voix à une répression féroce. Ils le firent
tous ensemble, mais de façon différente, pour jouer efficacement leur rôle. Staliniens et
républicains directement sur les barricades de la contre-révolution. Anarchosyndicalistes
et Poumistes dans l’ambigüité « d’avoir l’air sans avoir l’air du tout », de « se dire
révolutionnaire sans l’être » ; les premiers en recommandant la fin de la lutte et l’abandon
des barricades ; les deuxièmes en pratiquant « l‘audacieux » suivisme envers les
premiers.
Deux petites organisations seulement, les Amis de Durruti et la SBLE (Section Bolchevique Léniniste d’Espagne), essayèrent d’éviter la défaite et de pourvoir le soulèvement d’objectifs clairs et précis. Le prolétariat barcelonais, essentiellement anarchiste, lutta pour la révolution, même contre ses propres organisations et contre ses dirigeants, dans un combat qu’il perdit en juillet 36, à partir du moment où il laissa l’appareil d’État sur pied et qu’il remplaça la lutte de classes par le collaborationnisme et l’unité antifasciste.
Mais il y a des batailles perdues qu’il faut livrer en faveur des générations futures,
sans autre objectif que de montrer qui est qui, de quel côté de la barricade se trouvent
les uns et les autres, de déterminer les frontières de classe, le chemin à suivre et les
erreurs à éviter.
Agustín Guillamón