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Disparition de notre chère amie Engracia Galvan-Cherpeau
à Tours le 18 avril 2023

Disparition de notre chère amie Engracia Galvan-Cherpeau

Ce fut l’une des personnes qui a donné vie au livre A Zaragoza o al charco suite à la rencontre que nous fîmes avec elle et Emilio Marco le 5 décembre 2006, à Tours. Tous les deux intervinrent lors de notre présentation des Fils de la nuit, et Engracia adressa un vibrant hommage aux Hijos de la Noche qui avaient exfiltré son père et d’autres militants cachés à Saragosse.
C’est ainsi que nous devînmes amis.
Acracia a collaboré avec enthousiasme à la réalisation d’une notice sur l’histoire de ses parents, afin que ses enfants et petits-enfants sachent la vie qu’ils ont menée, et leur implication dans le mouvement libertaire et le processus révolutionnaire espagnol.

Nous la nommerons désormais Acracia puisque c’était le prénom que lui donnèrent ses parents Florentino Galván et Carmen Mingotes, lorsqu’elle naquit à Saragosse le 21 avril 1933.
Le premier mai suivant, Carmen emmena sa fille à l’excursion habituelle des Jeunesses Libertaires, tandis que Florentino voyageait à Madrid et Séville pour organiser le soulèvement cénétiste prévu pour le 8 décembre 1933 – à la suite duquel il sera arrêté.
Libéré début 1934, il continuera ses activités de militant orateur. En février 1936, Florentino devient membre du Comité Régional d’Aragon. Il est chargé de réorganiser les syndicats paysans, et de préparer le congrès de Saragosse du mois de mai.

Autant dire que cette famille avait de quoi s’inquiéter lorque le 19 juillet 1936 les militaires insurgés envahirent la capitale de l’Aragon. Comme tant d’autres militants, Florentino dut se cacher, en espérant la venue prochaine des colonnes anarchistes parties de Barcelone les 24 et 25 juillet pour reprendre Saragosse.
Mais le régime des nacionales perdura, et lors des perquisitions, la petite Acracia devait désormais dire qu’elle s’appelait Engracia.

À la mort de sa mère en 1992, Acracia a écrit quelques notes sur cet intense moment de terreur que la famille a vécu, comment du plus jeune au plus vieux ils ont dû se cacher sous les lits, dans les placards de la maison d’une famille amie, qui elle-même risquait, de ce fait, la mort.

Le grand-père maternel (républicain) et l’oncle d’Acracia, Benito, furent jetés en prison ; ils seront libérés plus tard ; Acracia se souvient d’être allée les visiter avec une amie de sa mère. La police recherchait activement Florentino et venait chez lui à chaque instant. Le 24 juillet, les phalangistes y trouvèrent Jacinto Mingotes1, le frère de Carmen qu’ils prirent pour Florentino. Malgré les protestations, ils l’emmenènent, et au bout de quelques jours, on le fusilla.
Un document du Centro penitenciario de preventivos de Zaragoza, dont la famille a obtenu copie en 1987, stipule que « dans les archives de ce centre, il existe un “ dossier des sorties ” dans lequel il apparaît que Florentino Galván Trias […], incarcéré dans ce centre le 24 juillet 1936 à la disposition du gouverneur civil de la province, a été mis en liberté le 26 du même mois sur ordre du gouverneur ».
C’est là que tout chercheur apprend à cultiver l’art de se méfier des documents officiels : ici, on comprend que celui que les autorités prenaient pour Florentino Galván a été assassiné le 26 juillet, et que son corps devait se trouver dans la fosse commune aménagée derrière le cimetière, près de la prison avec ceux des autres fusillés. Tenu pour mort, Florentino prit alors le risque de se cacher carrément chez sa mère, précise Acracia :

« Il était caché dans le quartier de Las Delicias, dans la maison de ma grand-mère María. Ma tante Engracia, sa sœur, ne voulait pas que maman aille le voir. Elle disait : “ Tu es très imprudente, ils peuvent te suivre et ramener la police à la maison. ” Mais maman estimait que pour la police, papa était mort. »

Carmen porta alors le deuil de Florentino. Elle avertit sa fille qu’en cas de visite de la police, elle ne devait pas prononcer le moindre mot ! Ne pas dire son vrai prénom et surtout ne pas parler de son père, voilà ce qu’était l’existence de cette petite fille de trois-quatre ans.
Acracia : « Papa fut exfiltré par des « fils de la nuit » venus de Fuendetodos, sous le contrôle de la centurie anarchiste conduite par Saturnino Carod. Il passa de l’autre côté le 12 octobre 1936, le jour de la fête du Pilar. » Il participera activement au Conseil d’Aragon à Caspe, échappera aux persécutions des staliniens en aôut 1937, et combattra dans l’armée républicaine jusqu’en février 1939.

Mais Carmen et Acracia ne purent rejoindre Florentino. Traverser les lignes avec un enfant en bas âge était dangereux, car les pleurs pouvaient alerter les franquistes. Acracia se souvient de gens à qui c’était arrivé, notamment d’une amie, María : tout le groupe où elle se trouvait avec son enfant fut fusillé. Les compañeros vinrent plusieurs fois lui proposer de passer les lignes, mais Carmen refusa de partir sans sa fil

Après bien des déplacements, la famille Galván se réunit en Allemagne, et survécut à la guerre. Elle s’installa à Vierzon dans le courant de l’été 1946. Florentino continua de participer aux activités de la CNT et à ses meetings, et il écrivait beaucoup. Nous avons publié certains de ses articles dans notre livre.

Acracia se maria avec un Tourangeau en octobre 1960 et s’installa à La Riche, près de Tours. Florentino mourrut à son domicile des suites d’une congestion cérébrale le 27 janvier 1966 à Méreau, près de Vierzon, et Carmen ira vivre avec sa fille en 1977.

Par ces lignes, nous avons accompagné Acracia qui a toujours entièrement partagé les choix de ses parents et apprécié la vie engagée qu’ils ont menée.
Elle est la dernière des protagonistes et/ou fils de protagonistes libertaires qui nous ont accompagnés avec passion et amitié. Petra Gracia a disparu en 2008, Isidro Benet en septembre 2011, Emilio Marco en janvier 2013 et Helios Peñalver en décembre 2013.
Grâce à elles et à eux nous avons pu contribuer un peu à l’articulation des histoires particulières et l’analyse des questions collectives.

Les Giménologues, 27 avril 2023

Pour en savoir plus :
http://gimenologues.org/ecrire/?exec=article&id_article=375

Et bien sûr notre livre, toujours disponible en français, et qui vient de paraître en Espagne, revu et augmenté
http://gimenologues.org/spip.php?article1045