Christophe Castellano, Henri Melich, Guérilleros, France 1944 – Une contre-enquête, Spartacus, 2020, 206 p.
Cet ouvrage en prolonge un autre, 1944, Les dossiers noirs d’une certaine Résistance… Trajectoires du fascisme rouge (1984), du Groupe Puig Antich de la Fédération anarchiste de Perpignan. Il rassemble de nombreux témoignages, dont celui d’Henri Melich, sur les crimes des staliniens espagnols de l’Agrupación de Guerrilleros Españoles (AGE), organisée en Brigades départementales à l’été 1944 sous l’obédience de l’Unión Nacional Española (UNE), créée en France en novembre 1942 par le PCE.
La même année paraissait Jours de gloire. Jours de Honte. Le parti communiste d’Espagne en France de David W. Pike. On y trouve le chiffre « d’au moins deux cents réfugiés espagnols assassinés dans le Midi » par des guérilleros entre septembre et décembre 1944, selon une estimation de Jordi Arquer, du POUM. Soixante-neuf sont désormais identifiés : des anarchistes, socialistes, poumistes et communistes.
L’UNE occupe alors politiquement et militairement une position de force et se présente comme la seule organisation espagnole en exil représentative de l’opposition. Elle décide de « se défaire de tous les éléments qui ne semblaient pas assez sûrs ».
La police n’enquêta pas sur ces mises à mort considérées comme « des règlements de compte entre Espagnols » au moment de l’épuration. Les rescapés, familiers et amis des victimes, s’attaquèrent seuls à la doxa communiste. Car pour les staliniens d’hier et d’aujourd’hui, et leurs historiens aux ordres , si exécutés il y eut, c’étaient forcément « des agents de Franco ».
Henri Mélich, 96 ans, témoin et rescapé, et Christophe Castellano, 51 ans, « contre-enquêteur », ont repris le dossier d’une femme et de douze hommes, dont cinq faisaient partie de la 5ème Brigade (AGE), disparus dans l’Aude. Ils ont établi leur identité, leur parcours et les circonstances de leur liquidation par des guérilleros de ladite Brigade.
En 1953, suite à une attaque de touristes sur la frontière, le SRPJ de Montpellier arrêta sept ex-guérilleros. Interrogés sur les meurtres de 1944, ils en avouèrent treize, à l’encontre de « traîtres », sur ordre de leur hiérarchie militaire. Cette affaire aboutit à un non-lieu en 1957 mais fit grand bruit en ces temps de guerre froide.
Nos auteurs replacent ces crimes dans le contexte des relations entre le PCE et les révolutionnaires espagnols en Espagne et en France.
En septembre 1944, les guérilleros de l’AGE lancent l’offensive « Reconquête de l’Espagne ». Au cours des quelques semaines où ils sont largement maîtres du côté français de la frontière, ils éliminent des opposants réels ou supposés.
Le jeune Henri Melich – ne sachant trop où il met les pieds – s’enrôle dans la 5ème Brigade. Au retour de l’une des incursions, il apprend que le commandement de la Brigade a fait exécuter plusieurs de ses amis, dont Ramon Mialet Guiteras – auquel ce livre est dédié.
Ce militant libertaire chevronné avait, lui, très bien connu les méthodes expéditives des staliniens en Espagne. Son choix étonnant d’intégrer l’AGE indique que certains réfugiés espagnols ne supportaient plus d’attendre pour attaquer le régime franquiste. Il illustre le débat au sein du MLE en exil qui opposait ceux qui refusaient de participer à la « guerre impérialiste en cours », et les partisans de l’engagement dans la Résistance – dont un nombre non négligeable intégra, individuellement, l’UNE.
Myrtille Gonzalbo
Henri Mélich nous a quittés cet été 2021