Traduction par ELSA QUERE
Les anarchistes dans la ville
Révolution et contre-révolution à Barcelone (1898-1937)
Agone 2021
Nous saluons la sortie en France de ce livre de Chris Ealham, somme de travail incontournable pour qui s’intéresse au processus révolutionnaire mis en oeuvre et entretenu par la population des quartiers ouvriers de Barcelone des années trente.
Il s’agit de la traduction de l’édition intégrale parue en anglais en 2010, revue, corrigée et augmentée, notamment à propos du pouvoir révolutionnaire en juillet 1936.
Pour nos propres travaux, nous avons abondamment puisé dans l’édition espagnole La lucha por Barcelona. Clase, cultura y conflicto 1898-1937, parue en 2005 chez Alianza Editorial. Nous avons rendu compte en 2014 d’une première traduction en français de deux articles du même auteur.
On peut consulter ici les articles placés dans notre rubrique « Quartiers ouvriers de la révolution » :
http://gimenologues.org/spip.php?rubrique54
http://gimenologues.org/spip.php?article656
Et aussi lire cette autre recension :
http://www.zones-subversives.com/2015/01/insurrections-urbaines-a-barcelone.html
Nous avons le plaisir de laisser aujourd’hui la plume à un aficionado attentif à la stratégie déployée par ceux et celles « qui se sont associés pour conquérir de force leur droit à la vie ».
Les Giménologues, 26 juin 2021
CHRIS EALHAM : Les Anarchistes dans la Ville.
Les sanglots longs des guitares de l’automne ont longtemps bercé l’histoire de la Révolution espagnole d’une langueur monotone. Saluons déjà le beau titre français du livre de Chris Ealham : Les Anarchistes dans la Ville.
Pendant quelques mois, au cours de plusieurs années, les anarchistes furent en effet dans la ville. Mais pas seulement en défilant en bleu de travail sur les Ramblas, le fusil à l’épaule, un bras autour de la taille de leurs compagnes. Cela, c’était pour les photographes et beaucoup s’y sont laissés prendre.
Les anarchistes étaient dans la ville à la manière d’une valse manouche qui jaillit dans la rue, fleur de pavé ou plutôt rose des sables, car bien des rues des quartiers populaires n’étaient pas goudronnées. On ne pouvait pas partir plus près de la base que ne le fait l’auteur : les Murciens – nom méprisant donné aux immigrants, s’installèrent à même le sol. Mais ce coin de terre, étayé de quelques planches, fut âprement défendu au point que les barricades élevées en Juillet 36 visaient avant tout à écarter les intrus. Quand la misère se défend ainsi, ce n’est plus la misère.
Si les usines ne trouvaient pas sur place la main d’oeuvre requise, c’est parce que les locaux s’étaient détournés de leurs fumées. Sur l’enclume des forces, le marteau frappait à coups redoublés sur le travail mais aussi les loyers. Comment faire pour que la vie ne soit plus un privilège ?
Les anarchistes de Barcelone ont tenté d’y répondre. Bien des solutions furent trouvées, fragiles, certes, mais bien réelles. « Ne travaillez jamais » n’est pas un mot d’ordre révolutionnaire. Bien plus réaliste, parce que plus imaginatif, est celui tracé sur les murs des usines : « Ici finit la Liberté ». La question à résoudre est au coeur même de la production, qui décide du mode de vivre, comme le montrent les travaux de Moishe Postone dont maints anarchistes feraient bien de s’inspirer.
Sans doute le livre de Chris Ealham parle de toute autre chose. C’est bien sa qualité. Comme elle l’est aussi de lire ses pages comme une nouvelle aventure de Pepe Carvalho, une dérive inespérée dans Barcelone d’un autre âge, mais où le détective aurait sans doute vu avec plaisir que le Ritz était devenu après Juillet 36 un restaurant communautaire, fièrement rebaptisé Hôtel Gastronomique Numéro Un.
Ce qui sans doute l’a moins réjoui, c’est de voir les touristes se repaître de la Californie catalane qui s’est érigée entre les deux Olympiades de 1936 et de 1992. Il est vrai que Barcelone avait déjà son Disneyland, l’oeuvre du sinistre Gaudí, avec la Sagrada Familia comme épicentre.
Alain SEGURA