Nous reprenons la rédaction des biographies de chacun des 117 ex combattants italiens (anarchistes ou pas) dont le nom se trouve sur la liste « Libertá o Morte » du camp d’Argelès sur Mer, dressée par la police politique italienne le 8 août 1939.
Cela s’inscrit dans le cadre de notre collaboration à la base de données sur le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer, réalisée par Grégory TUBAN, de Perpignan : http://www.memorial-argeles.eu/fr/
https://www.memorial-argeles.eu/fr/1939/1939-2eme-periode-du-camp-avril-juin-1939/le-camp-des-brigadistes.html
Toutes les notices sont le fruit d’un travail de recherche en collaboration avec Tobia Imperato de Turin et Rolf Dupuy de Paris.
La traduction et la rédaction sont réalisées par Jackie, giménologue.
Angiolo BRUSCHI, Mario Vittorio, dit Angelo, alias Ernesto TORRES, fils d’Ettore et de Romilda Camici, est né à Livourne le 3 août 1900 dans une famille de six enfants. Les parents ont une petite fabrique artisanale de roues pour véhicules tractés par des chevaux.
Angiolo Bruschi passe son adolescence à Vezzano en Ligurie (La Spezia) où sa famille s’installe en 1915. À partir de 1917 il commence à fréquenter les militants anarchistes de la région dont les frères Renato et Nello Olivieri, Silvio Casella, Umberto Marzocchi et Pasquale Binazzi . En juillet 1919, en plein Bienno Rosso, alors qu’est organisée la réquisition de marchandises et leur distribution à la population par les Bourses du travail, il participe au pillage de magasins à La Spezia. Cela lui vaut d’être arrêté et inculpé avant d’être finalement amnistié. Selon la police, il milite pendant deux ans au PCI puis retourne dans le mouvement anarchiste.
Après avoir fait son service militaire dans la Marine royale à bord du Pisa, il retourne à Livourne où ses parents tiennent une petite trattoria, et il travaille comme peintre sur les chantiers du bâtiment. Angiolo Bruschi s’enfuit en France le 22 décembre 1922 pour échapper à une arrestation de la police fasciste. À la gare de Livourne, vêtu d’un casque et d’un manteau militaire, il se mêle à une escouade de carabiniers pour éviter les fascistes qui contrôlent les voyageurs.
Angiolo s’installe à la Seyne-sur-Mer (Var), où il est abonné à la revue Pensiero e Volonta éditée à Rome par Errico Malatesta. Il est soupçonné par la police d’être « le chef du groupe anarchiste communiste italien », et le 29 juin 1925 on lui notifie un arrêté d’expulsion. Il part à Paris et réside au 229 de la rue de Crimée. Après une visite clandestine à l’un de ses frères début 1926 à Vezzano Ligure, il est arrêté le 24 mai 1926 lors d’une manifestation à Paris contre la célébration à l’Arc de triomphe du 11ème anniversaire de l’entrée en guerre de l’Italie. On le reconduit à la frontière belge.
Il va vivre ensuite et pendant plusieurs années tantôt à Bruxelles et tantôt au Luxembourg. Entre 1927 et 1929 il anime avec Pietro Bruzzi le groupe anarchiste d’Esch-sur-Alzette (Luxembourg), et il habite à l’hôtel-café Solazzi. Il diffuse alors des journaux et brochures antifascistes et récolte des fonds en faveur des prisonniers politiques. C’est sans doute à cette époque qu’il croise au Luxembourg le compagnon Luigi Ballarin, selon les recherches de sa petite-fille Nathalie Masseboeuf. Entre temps, le 10 février 1928, Angiolo a été condamné à Paris à deux mois de prison pour infraction à l’arrêté d’expulsion, et on le rechercha en vain dans le Var à l’automne 1928.
En juin 1930, à la suite d’un attentat commis en mai par le compagnon Gino D’Ascanio contre le chancelier de la légation italienne, il quitte le Luxembourg et rejoint Bruxelles, où il réside 2, rue de la Paille. Il continue à fréquenter les militants anarchistes qui se réunissent au café Au Roy ainsi que la librairie de Marcel Dieu dit Hem Day. Le 10 juin 1931 il participe au meeting public organisé à Bruxelles par le Comité pour le droit d’asile pour protester contre l’exécution en Italie de Michele Schirru, auteur d’un attentat contre Mussolini. En septembre 1931 il est condamné par le Tribunal de Mons à huit jours de prison ferme, trois ans de conditionnelle et 182 frs. d’amende pour « port illégal d’arme ».
C’est à cette époque qu’il serait allé à Barcelone avec Pietro Bruzzi et Luiggi Damiani ; tous les trois auraient été membres d’un groupe appelé « Office libertaire de correspondance », dirigé par l’anarchiste espagnol Rafael Martínez.
De retour en Belgique, le 25 octobre 1932 il est arrêté pour « infraction à l’arrêté d’expulsion ». On le reconduit à la frontière luxembourgeoise où il est immédiatement arrêté par les gendarmes et reçoit une contravention. Privé de subsistances il est alors contraint de revenir clandestinement en France puis à Bruxelles. Au début de l’année 1933, il est inscrit en Italie au « Registre des personnes recherchées » et « à arrêter en tant que communiste ». Le 25 janvier 1933, il est arrêté à Bruxelles sous la fausse identité d’Ernesto Torres. La police trouve lors de la perquisition de son domicile des documents attestant de ses rapports avec Carlo Castagna, Virgilio Gozzoli, Pasquale Agari, Mario Mantovano et Hem Day, tous considérés comme très dangereux. Il est incarcéré à partir du 8 mars à la prison de Forest. À sa libération au cours de l’été 1933, il retourne à Paris où il continue à militer, notamment dans le Comité d’aide aux victimes politiques. Il soutient en particulier le compagnon Amleto Astolfi, l’un des condamnés pour l’attentat commis en mars 1921 au théâtre Diana de Milan.
À l’été 1935, Angiolo est à nouveau arrêté pour non respect de l’arrêté d’expulsion, condamné à deux mois de prison et incarcéré le 9 octobre. Après sa libération, il participe les 1er et 2 novembre 1935 au congrès italien tenu en France à Sartrouville où est fondé le Comite anarchico d’azione rivoluzionaria. En 1936 il tient une permanence du Comité provisoire pour le droit d’asile, 8 rue Mathurin Moreau.
Le 31 juillet 1936, il part comme volontaire en Espagne, s’enrôle dans la section italienne de la Colonne Ascaso, et participe aux combats du Monte Pelato, de Tardienta et d’Almudevar sur le front d’Aragon. Il se lie d’amitié avec Luigi Ballarin rencontré auparavant au Luxembourg. En 1937 il fait la navette entre l’Espagne et la France, s’occupant de l’enrôlement de volontaires dans la colonne libertaire. Puis il se serait intégré au Bataillon Garibaldi des Brigades internationales. Blessé en 1938, il est hospitalisé à Vic (Catalogne), où il aurait été arrêté en novembre.
Passé en France lors de la Retirada en février 1939, il est interné au camp d’Argelès où il fait partie du groupe anarchiste Liberta o Morte. Il parvient à s’évader et gagne la région parisienne où il est arrêté le 30 avril 1939 ; il se voit condamné à quatre mois et quinze jours de prison pour infraction au décret d’expulsion datant de juin 1925. Il est libéré de Fresnes trois jours après la déclaration de guerre.
Début 1941, Bruschi est pris dans une rafle. Figurant sur l’une des listes de suspects de la Sureté nationale, il est interné le 20 février à la caserne des Tourelles du boulevard Mortier. En janvier 1942, il est mobilisé comme travailleur forcé dans le cadre de la politique de l’Ostland pour exploiter les terres des pays occupés. Il travaillera comme ouvrier agricole dans le village de Boulzicourt (Ardennes). En juin 1944, lors d’une permission à Paris, il adhère au Comité italien de libération nationale de Vincennes-Saint Mandé.
À la Libération, Angiolo revient à Paris et adhère au mouvement antifasciste Italia Libera. Après la mort Luigi Ballarin en février 1948, il n’oublie pas la promesse faite à son ami de s’occuper de sa famille. L’année suivante il devient le compagnon d’Elisa Ballarin avec laquelle il va vivre 37 ans et élever ses enfants et petits-enfants comme s’ils étaient les siens. Angiolo Bruschi meurt à Paris le 8 août 1986.
Sources :
http://militants-anarchistes.info/spip.php?article547 http://www.bfscollezionidigitali.org/entita/13252-bruschi-angiolo/
Recherches de Nathalie Masseboeuf et Laurence Ballarin sur Luigi Ballarin - leur grand-père biologique - et sur Angiolo Bruschi – leur « grand-père de cœur » - rassemblées dans un écrit publié à compte d’auteur en 2011 : « Le roman d’Elisa... ».
Voir la recension du 2 février 2018 d’Isabelle Felici « Elisa. À l’ombre des anarchistes italiens en exil » : http://atelierdecreationlibertaire.com/blogs/anarchistes-italiens/2014/03/06/elisa-a-lombre-des-camarades-anarchistes-italiens-en-exil/#more-447
Photo de Bruschi : http://www.bfscollezionidigitali.org/entita/13252-bruschi-angiolo/#/&gid=1&pid=1
Fiche de recherche de la police italienne (doc joint)
Photo de Ballarin (doc joint) Famille Ballarin
Sur Luigi Ballarin :
https://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article155803&id_mot=9654
http://www.militants-anarchistes.info/spip.php?article7598#