Antonio Gimenez est sur le front d’Aragon, où il a subi la première épreuve du feu.
Quatrième épisode : Le groupe des Internationaux de la colonne Durruti
Antonio Gimenez est sur le front d’Aragon, où il a subi la première épreuve du feu.
La création de sections internationales au sein des colonnes réparties sur le front d’Aragon, bien avant l’arrivée des Brigades Internationales en octobre 1936, est un des éléments de réponse du prolétariat européen et américain. De nombreux antifascistes étrangers, allemands et italiens surtout, se trouvent déjà à Barcelone en juillet, soit en tant que réfugiés, soit pour participer aux « Olympiades du Travail », organisées en contrepoint aux jeux Olympiques de Berlin.
Mais cette solidarité impliquée reste essentiellement individuelle. Aucun dirigeant du prolétariat international n’appelle à la grève pour empêcher l’asphyxie dont est victime la révolution espagnole. On ne dira jamais assez comment le Front populaire français a saboté les efforts de son homologue espagnol pour repousser le déferlement des troupes factieuses, aidées par l’Italie et l’Allemagne. Le 19 juillet, le gouvernement Giral envoie un télégramme à Blum : “Surpris par dangereux coup d’Etat militaire. Vous demandons de nous aider immédiatement par armes et avions. Fraternellement vôtre”. Blum y répond favorablement... puis se soumet à la pression anglaise. Dès le 27 juillet, avant même que la non-intervention ne soit déclarée, la France bloque à sa frontière les armes achetées et payées par la République espagnole. Début août, Londres et Paris font pression sur le gouvernement de Madrid pour qu’il évacue la rade de Tanger. La voie étant libre, les premiers contingents massifs de Marocains, enrôlés souvent de force par Franco, débarquent au sud de l’Espagne. Tout contribue à précipiter la chute des villes du Nord, où les troupes de Franco vont massacrer la population ouvrière.
De leur côté, Hitler et Mussolini envoient rapidement à Franco armes, avions, bateaux de guerre et troupes. Quant à l’Etat soviétique, cette révolution est un acte inopportun qui dérange son jeu diplomatique fait de rapprochements avec les démocraties bourgeoises. Mais surtout, ce qui se passe en Catalogne et en Aragon lui échappe totalement, et l’oblige à révéler sa vraie nature de patrie de la contre-révolution. Il suffit de lire l’article édifiant d’André Marty, un des secrétaires du Komintern, rédigé en août 36 et qui se termine ainsi : « Dans un pays comme l’Espagne (...) la classe ouvrière et tout le peuple ont (...) comme seule tâche possible non pas de réaliser la révolution socialiste mais de défendre et de consolider la révolution bourgeoise démocratique ». La stratégie du « grand camouflage » avec sa cohorte de calomnies et d’assassinats est en route.
Sur le plan national, en août 1936, les positions du front se stabilisent ; les milices ne manquent pas d’hommes, mais en deux semaines de guerre, les munitions sont épuisées et non renouvelées. A l’arrière, les Républicains, de plus en plus dans l’orbite des staliniens du Parti Communiste Espagnol, tentent de réoccuper les postes qu’ils avaient abandonnés, n’hésitant pas à saboter et freiner ce qui fonctionne sans eux. Le 4 septembre 1936, le nouveau Président du conseil et ministre de la guerre, Largo Caballero -qui a vite oublié ses accents révolutionnaires de l’été- constitue un nouveau gouvernement central à majorité socialiste, avec participation des communistes. Au programme : en finir avec le pouvoir ouvrier, nationaliser l’industrie de guerre et rétablir la petite propriété privée.
Récit : du chapitre Berthomieu à la fin du chapitre Conchita.
Au cours du récit (juste avant le début du chapitre Conchita), une voix off dit :
« Charles Ridel, Charles Carpentier et Simone Weil, évoqués par Gimenez, ont fait connaître leur expérience sur le front à leur retour en France. Ils s’exprimèrent notamment sur leur propre appréhension de l’usage de la violence révolutionnaire, la fin ne justifiant pas les moyens à leurs yeux, et une polémique naquit sur d’éternelles et compréhensibles questions d’éthique révolutionnaire. »
Fin du récit :
Il existe quelques rares autres témoignages sur le Groupe International de la colonne Durruti. Charles Ridel, membre de l’Union Anarchiste, témoigne de son expérience sur le front en envoyant des articles au Journal français le Libertaire.
En août 36, un Comité Pour l’Espagne Libre se constitue avec Louis Lecoin comme permanent, et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir fleurir à Paris des affiches exigeant des « armes, des canons, des avions pour l’Espagne » de la part de militants pacifistes de toujours. Comme ce Scolari que cite Gimenez, beaucoup d’autres volontaires sur le front ou engagés en France ne supportent pas de voir tant de camarades sacrifiés dans une lutte inégale, et aident au combat militaire.
Meetings et expositions se succèdent et depuis août, chaque semaine, des camions partent de Paris pour Barcelone, pleins de vivres, de vêtements mais surtout d’armes et de munitions, que des douaniers complices laissent passer. Mais cela est largement insuffisant dans une guerre de classes où Franco se déclare prêt à fusiller la moitié de l’Espagne pour rétablir l’ordre.
Le 4 septembre, avec la chute d’Irun où les miliciens se sont battus avec des revolvers, le ton monte à l’égard de Blum dans une adresse de l’anarchiste André Prudhommeaux, diffusée dans la presse et à la radio : « Merci Monsieur Blum pour le savant cours de droit international que vous avez donné du haut de la tribune de Luna-Park (Voix off : le 6 septembre, Blum a tenté de justifier publiquement sa politique de non-intervention). Nous vous prions de bien garder en mémoire ce petit discours pour pouvoir le servir aux hommes de main du fascisme français, le jour où ils viendront vous chercher à domicile ( voix off : Triste prémonition quand on sait que Léon Blum fut livré par Vichy aux nazis en 1940). En s’emparant d’Irun, les factieux se sont assuré la possession d’une des voies d’accès par laquelle le capitalisme français pourra, sous le couvert de votre « neutralité », les ravitailler en obus, en gaz asphyxiants et en torpilles aériennes. Il est grand temps que les ouvriers français qui fabriquent ce matériel de guerre « sous votre contrôle » fassent savoir pour qui ils entendent travailler, puisque vous-même semblez n’avoir pas d’opinion en la matière. Laissez-les contrôler la production, la vente et le transport des munitions, en liaison étroite avec leurs frères d’Espagne, et ne vous occupez pas du reste ! ».