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Les Gimenologues
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Chapitre 38 . Souvenir macabre .

Ce fut au début du mois de mars, si mes souvenirs sont bons, que commença la débâcle.

J’avais à peine récupéré mes forces lorsque le groupe, que j’avais réintégré le soir même de ma course, fut jeté dans la bagarre.

Les franquistes attaquaient sur tout le front.
Combien de temps sommes-nous restés sur cette position ? 24, 36, 48 heures ? Je n’en sais absolument rien. Je me souviens que nous arrivâmes sous un déluge d’obus à la tombée de la nuit. Les copains espagnols achevaient de repousser un assaut de l’infanterie adverse. Les équipes de brancardiers s’affairaient à évacuer les blessés. Aviation... Artillerie... Fantassins montant à l’assaut. Crépitements des mitrailleuses, fusils, éclatements des grenades, explosions des obus et des bombes. Nous avions perdu toute notion de temps. Ivres de fatigue, de poudre, d’alcool, nous nous accrochions à cette parcelle de terre avec une seule idée en tête : no pasarán. Bientôt, il ferait nuit et les avions ne pourraient plus nous voir. Quelqu’un sauta dans une tranchée en demandant le commandant. Une voix lui répondit : “ Il est mort. ” “ Vite, enchaîna l’inconnu qui arborait sur son képi deux galons dorés, il faut évacuer la position, nous allons être encerclés. Regardez là-bas ! ”. L’artillerie avait concentré son tir sur notre terrain. Fuyant le tir des batteries, nous nous dispersâmes. Un de mes copains espagnols me suivit et nous nous retrouvâmes, complètement épuisés, au pied d’une espèce de falaise.

On n’y voyait goutte. Nous suivîmes la paroi à tâtons, cherchant un passage lorsque mon copain me dit : “ Oye, hay cuevas (il y a des grottes), je ne vais pas plus loin car celle-ci est trop petite pour deux. ” Il n’avait pas fini de parler que ma main rencontrait le vide. C’était une grotte, petite aussi, le sol encombré de bois mort, de bouts de branches et de pierres. La grotte me convenait pour attendre la levée du jour. Je la débarrassai de tout ce qui pouvait me gêner et je me glissai, les pieds vers l’intérieur. Ma musette, que j’avais posée sur deux grosses pierres, me servait de coussin. Un rayon de soleil me réveilla et ce que je vis me renseigna sur l’endroit où j’avais passé la nuit : un cimetière ravagé par un bombardement. Les monuments funéraires brisés, les saints renversés, les ossements dispersés autour des cratères des bombes et des obus témoignaient de son intensité. La grotte dans laquelle j’avais dormi était un caveau d’où j’avais expulsé son premier et légitime occupant. J’appelai mon copain : “ Eh ! , amigo. ” Je le vis jaillir de son trou comme un boulet en disant : “ Virgen santisima madre de Dios ” et pendant que d’une main il saisit son fusil, de l’autre il se signa.

Le choc éprouvé en constatant qu’il avait violé une tombe était si fort qu’il avait aboli tout raisonnement logique et fait resurgir la peur atavique et les préjugés gravés dans le subconscient par deux mille ans de croyances judéo-chrétiennes. Nous ne nous attardâmes pas dans ce macabre endroit


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