Barcelone – nous rappelle l’historien Chris Ealham dans la revue Cultura Libertaria – jouit d’une longue tradition de contestation urbaine qui continue d’inspirer de nouveaux livres, suscite des débats et impulse des critiques pratiques. Dans ce compte-rendu que nous partageons, il se réfère à quelques-uns de ceux qui s’inscrivent (ou que nous inscrivons) avec leurs traces et visages dans la mémoire collective de notre passé proche ou lointain, et que nous couchons sur le papier dans l’intention de vivre ensemble notre présent dans les Barcelones des quartiers qui défient la Barcelone du pouvoir et de l’argent de toujours.
[Pere López, auteur de Rastros de Rostros en un prado rojo (y negro)]
La « tradition barcelonaise » sous la plume de Chris Ealham [1]
La riche tradition barcelonaise de contestation urbaine continue à inspirer de nouveaux livres. Par exemple, celui de Manuel Aisa, La grève des loyers et le comité de défense économique. Barcelone avril-décembre 1931. En ces temps de pauvreté et d’injustice croissantes (appartements vides, expulsions, malnutrition), cette étude est particulièrement bienvenue car elle nous donne à voir les tactiques de lutte créatives et originales développées par l’éphémère Comité de défense économique, qui a disparu sous les coups de la répression « démocratique » de la IIe République. Créé au sein du Syndicat de la Construction de la CNT – qui regroupait les secteurs les plus pauvres de la classe ouvrière locale – le Comité de défense économique (quelquefois appelé Commission) a politisé la réflexion des ouvriers concernant les problèmes quotidiens de consommation. Il a lutté pour changer la structure de la ville et établir une Barcelone plus solidaire. Le Comité rend bien compte du syndicalisme communautaire de la CNT de l’époque. Depuis sa naissance, elle a essayé d’organiser dans les quartiers des groupes luttant sur les problèmes de consommation, ce qui illustre l’objectif du syndicat d’étendre ses activités à tous les aspects de la vie ouvrière. Juste après la naissance de la République, le Comité a impulsé la fameuse grève des loyers qui s’est généralisée à tout Barcelone. Après des années d’inflation du prix des loyers et une véritable dictature des propriétaires, des milliers d’habitants refusèrent de les payer espérant que la démocratie soutiendrait leur droit à la contestation. Presque immédiatement les habitants rebelles et leurs dénonciations publiques de rue se sont heurtés à la nouvelle législation répressive (la Loi de Défense de la République) c’est-à-dire à la loi Mordaza des années 30, et aux matraques « démocratiques » des Gardes d’assaut, la nouvelle police paramilitaire. Les conflits qui se produisirent informèrent les ouvriers des limites de la démocratie, et marquèrent la fin de la courte lune de miel républicaine. Quant au Comité, déjà avant son interdiction il avait vu certains de ses activistes les plus en vue devenir des « presos gubernativos » [des prisonniers sans inculpation ni jugement].
Avec les montages actuels Pandora et Piñata, les autorités nous rappellent que cette tradition étatique demeure intacte : face à la contestation, on emprisonne l’anarchiste.
L’expérience de ces années-là fournit des enseignements importants à ceux qui aujourd’hui continuent à se battre contre les expulsions et pour un logement décent.
Un autre livre intéressant sur l’histoire de Barcelone est celui de Dolors Marín, La Semaine Tragique, Barcelone en feu, la révolte populaire et l’École Moderne. La culture libertaire est le fil conducteur du travail de Marín, et dans cette étude minutieuse elle recrée l’univers culturel prolétarien d’une époque cruciale dans le développement de l’ouvriérisme catalan. Elle analyse également la créativité dans les rues de ce qui fut une contestation variée et complexe : l’insurrection de 1909 a éclaté contre « la guerre des banquiers » au Maroc, mais également contre l’Église, contre le militarisme, contre l’impérialisme et contre la structure urbaine de la ville. Ce fut une « semaine tragique » pour les élites et pour les nombreuses victimes de la répression qui a suivi, parmi lesquelles un gamin handicapé mental, accusé de danser avec une momie. Ce fut une « semaine glorieuse » pour les révolutionnaires, un exemple de ce qui pouvait être obtenu, une démonstration de la force de la révolte du prolétariat.
Le mois de juillet 1909 a été le premier des deux juillet chauds de la Barcelone du XXe siècle. Pour comprendre comment l’auto organisation et l’urbanisme prolétarien barcelonais ont évolué lors des décennies suivantes, il faut se référer au magnifique travail de Agustín Guillamón, La révolution des comités, une étude pointue sur les uniques organes de pouvoir véritablement révolutionnaires qui ont émergé à partir de juillet 1936. L’oeuvre de Guillamón est indispensable pour comprendre l’apogée et le déclin de la révolution à Barcelone et dans d’autres zones pendant la première année de la Guerre Civile.
Le livre le plus significatif sur le passé révolutionnaire barcelonais est à mon avis celui de Pere López Sánchez, Un été avec des milliers de juillets et autres étapes. Barcelone : de la Réforme intérieure à la révolution de juillet 1909 (Madrid, 1993), hélas aujourd’hui épuisé ( cet ouvrage est encore disponible en le commandant par internet ici : viruseditorial.net). López Sánchez nous offre deux aspects de l’histoire d’en bas : en premier lieu une histoire sociale « spacialisée » des dépossédés ; en deuxième lieu, une histoire des rues qui se penche sur la problématique de la ville et les réponses socio-politiques en rapport qui surgissent d’en bas et d’en haut.
López Sánchez nous a offert, il y a peu, une autre excellente étude – Traces de visages dans un pré rouge (et noir) - avec les histoires des locataires des Maisons à Bon Marché de Can Tunis, près du port de Barcelone. Dans ce qu’on pourrait appeler la micro histoire d’une petite communauté, l’auteur montre la capacité des déshérités de Can Tunis de dépasser leur marginalisation géographique et économique au point de devenir les maîtres de leur propre histoire. Ainsi à des moments critiques, par exemple lors de la grève des loyers en 1931 ou pendant la révolution de 1936, les habitants des Maisons Bon Marché se sont mobilisés pour résister à l’oppression quotidienne grâce à l’intense solidarité locale, ancrée dans de solides liens de voisinage. Ainsi des individus ayant peu de ressources en apparence se sont-ils révélés immensément riches dès lors qu’ils se sont transformés en grévistes, collectivistes, miliciens et ensuite, durant le long hiver franquiste, en maquisards. Traces de visages est un livre très humain, une histoire des quartiers et de leurs gens, et il est enrichi par des entretiens entre habitants qui parlent de leurs vies, de leurs désirs et leurs défis. Il s’agit par conséquent de la mémoire historique de quelques déshérités qui ont osé créer des rêves collectifs dans des circonstances hostiles.
Comme c’est bien connu, l’histoire continue... Le livre de Stefano Portelli vient de paraître, La ville horizontale : urbanisme et résistance dans un quartier de Maisons Mon Marché de Barcelone (Barcelone, Éditions Bellaterra, 2015), une ethnographie sur les Maisons Mon Marché du quartier Bon Pastor, autre berceau de révolutionnaires avec une longue histoire de contestation, à la façon barcelonaise. Portelli centre son analyse sur la lutte récurrente entre l’appropriation populaire de l’espace, d’en bas, et la réappropriation d’en haut à travers l’urbanisme bourgeois, un phénomène universel qui jouit toujours de l’appui des moyens de communication officiels, complices dans la tentative de criminaliser les espaces rebelles et les quartiers les plus pauvres. Dans la situation concrète de Bon Pastor, on a procédé à la destruction des espaces de mémoire de la communauté locale, cadre d’une histoire d’autonomie et d’autogestion. Mais la même dynamique de lutte perdure, avec des habitants qui résistent aux projets de spéculation de la Mairie. Ainsi ce n’est sans doute qu’une question de temps pour que paraissent de nouvelles études sur la tradition barcelonaise de contestation urbaine. »
Traduction de Juliette
Les giménologues 18 février 2016
Version espagnole
LA “TRADICIÓN BARCELONESA” DE PROTESTA URBANA. RESEÑA
junio 15, 2015 rastrosderostros
Barcelona, nos recuerda el historiador Chris Ealhman, en la revista Cultura Libertaria, goza de una larga tradición de protesta urbana que sigue inspirando nuevos libros, que alienta debates, que impulsa críticas prácticas. Se refiere, en esta reseña que compartimos, a algunos de los que rasgan (o rasgamos) con sus rastros y rostros en la memoria colectiva de nuestro anteayer o ayer, y que la pasamos al papel con la intención de vivir juntos nuestro hoy en las Barcelonas de los barrios que desafían la Barcelona del poder y del dinero de siempre.
La “tradición barcelonesa”Chris Ealham
La rica tradición barcelonesa de protesta urbana sigue inspirando nuevos libros. Por ejemplo, el de Manel Aisa, La huelga de alquileres y el comité de defensa económica. En nuestros tiempos de pobreza e injusticia crecientes (pisos vacíos, desahucios, malnutrición), este estudio resulta especialmente bienvenido porque nos muestra las creativas y originales tácticas de lucha desarrolladas por el efímero Comité de defensa económica, que desapareció blanco de la represión ‘democrática’ de la II República. Creado en el seno del Sindicato de Construcción de la CNT, que agrupaba a los sectores más pobres de la clase obrera local, el Comité de defensa económica (a veces llamado Comisión) politizó la opinión obrera respecto a los problemas cotidianos de consumo y luchó por cambiar la estructura de la ciudad para establecer una Barcelona más solidaria. El Comité constituye un buen ejemplo del sindicalismo comunitario de la CNT de la época, que desde su nacimiento intentó organizar en los barrios grupos que luchasen en temas relacionados con el consumo, lo que refleja el propósito del sindicato de extender sus actividades a todos los ámbitos de la vida obrera.El Comité inspiró la famosa huelga de alquileres que, justo después del nacimiento de la República, se generalizó en el área metropolitana de Barcelona. Después de años de precios inflados en los alquileres y de una autentica dictadura por parte de los propietarios, miles y miles de inquilinos se negaron a pagar a los caseros, confiando en que la democracia ampararía su derecho de protesta. Casi de inmediato, los inquilinos rebeldes y sus “escraches avant la lletre” chocaron con la nueva legislación represiva (la Ley de defensa de la República), o sea la ley mordaza de los años 30, y con las porras ‘democráticas’ de los Guardias de asalto, la nueva policía paramilitar. Los conflictos que tuvieron lugar mostraron a los obreros los límites de la democracia y marcaron el final de la corta luna de miel republicana. Respecto al Comité, se sufrió ya entonces, incluso antes de su ilegalización, el encarcelamiento de algunos de sus activistas más visibles, que pasaron a ser presos gubernativos.
Tal como nos enseñan las autoridades hoy en día con los montajes judiciales Pandora y Piñata, esa tradición estatal está intacta : ante la protesta, encarcela al anarquista (Contra la democracia)… La experiencia de aquellos años contiene lecciones importantes para los que hoy siguen luchando contra los desahucios y a favor de una vivienda digna.Otro libro sugerente sobre la historia de Barcelona es el de Dolors Marín, La Semana Trágica. Barcelona en llamas, la revuelta popular y la Escuela Moderna. El hilo conductor del trabajo de
Marín es la cultura libertaria y en este estudio minucioso recrea el universo cultural proletario de una época clave en el desarrollo del obrerismo catalán. También analiza la creatividad en las calles, en lo que fue una protesta variada y compleja : la insurrección de 1909 estalló contra “la guerra de los banqueros” en Marruecos, pero también contra la iglesia, contra el militarismo, contra el imperialismo y contra la estructura urbana de la ciudad. Fue una “semana trágica” para las élites y para las muchas víctimas de la represión posterior, entre otros un chaval con discapacidad mental, acusado de bailar con una momia ; fue “semana gloriosa” para los revolucionarios, un ejemplo de lo que podía llegar a conseguirse, una muestra del poder de la rebeldía del proletariado.
El mes de julio de 1909 fue el primero de los dos julios calientes de la Barcelona del siglo XX. Para entender como la autoorganización y el urbanismo proletario barcelonés evolucionaron en las siguientes décadas, conviene considerar el magnífico trabajo de Agustín Guillamón, La revolución de los comités, un agudo estudio sobre los únicos órganos de poder verdaderamente revolucionarios surgidos a partir de julio de 1936. La obra de Guillamón es imprescindible para entender el auge y el ocaso de la revolución en Barcelona y en otras zonas durante el primer año de la Guerra Civil.El libro más revelador sobre el pasado revolucionario barcelonés es, en mi opinión, el de Pere López Sánchez, Un verano con mil julios y otras estaciones. Barcelona : de la Reforma Interior a la Revolución de Julio de 1909 (Madrid, 1993), ahora lamentablemente agotado. López Sánchez nos ofrece dos aspectos de la historia desde abajo : en primer lugar, una historia social espacializada de los desposeídos ; en segundo, una historia de las calles que examina la problemática de la ciudad y las consiguientes respuestas sociopolíticas que surgen desde abajo y desde arriba.
López Sánchez hace poco nos ha brindado otro estudio excelente –Rastros de rostros en un prado rojo (y negro) – con historias sobre los inquilinos del grupo de Casas Baratas de Can Tunis, cerca del puerto de Barcelona. En lo que podría denominarse como la microhistoria de una comunidad pequeña, el autor muestra la capacidad de los desheredados de Can Tunis para superar su marginación espacial y económica hasta llegar a ser los dueños de su propia historia. Así, en momentos críticos, por ejemplo durante la huelga de inquilinos del 31 o en la revolución del 36, los habitantes de las Casas Baratas se movilizaron para resistir la opresión cotidiana gracias a una intensa solidaridad local, anclada en los fuertes lazos de vecindario. De esta manera, individuos de pocos recursos en apariencia, resultaron ser inmensamente ricos a la hora de convertirse en huelguistas, colectivistas, milicianos y después, durante el largo invierno franquista, en maquis. Rastros de rostros es un libro muy humano, una historia de los barrios y sus gentes, y está enriquecido con entrevistas a vecinos que hablan de sus vidas, sus deseos y sus desafíos. Se trata, por tanto, de la memoria histórica de unos desheredados que se atrevieron de crear sueños colectivos en las circunstancias más adversas.
Como es bien sabido, la historia sigue… Acaba de salir el libro de Stefano Portelli, La ciudad horizontal : urbanismo y resistencia en un barrio de casas baratas de Barcelona (Barcelona : Edicions Bellaterra, 2015), una etnografía sobre las Casas Baratas del barrio de Bon Pastor, otra cuna de revolucionarios con un largo historial de protesta al estilo barcelonés. Portelli centra su análisis en la lucha recurrente entre la apropiación popular del espacio, desde abajo, y la reapropiación desde arriba, a través del urbanismo burgués, un fenómeno universal que siempre goza del apoyo de los medios de comunicación oficialistas, cómplices en la intención de criminalizar los espacios rebeldes y los barrios más pobres. En el caso concreto de Bon Pastor, se han ido destruyendo los espacios de memoria de la comunidad local, escenario de una historia de autonomía y autogestión. Pero la misma dinámica de lucha sigue en pie, con los vecinos resistiendo los planes especulativos del Ayuntamiento.Así, es solo cuestión de tiempo que aparezcan nuevos estudios sobre la tradición barcelonesa ¿de protesta urbana ?