Article biographique réalisé par Antonio Gascón et Agustín Guillamón publié dans les numéros de novembre et décembre 2014 de Catalunya, le journal de la CGT de Catalogne.
La traduction a été réalisée en mai 2015 par le Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation (CATS) de Caen (et d’ailleurs). D’autres traductions sont en téléchargement libre sur leur site : http://ablogm.com/cats/
Quelques notes explicatives ont été ajoutées par leurs soins. Il a été envoyé au CATS par un de ses auteurs, Agustín Guillamón, qui a assuré la relecture de la traduction. [1]
Nous renvoyons au texte de Jean-Louis Blanchon publié en 1987 dans les « Annales du Midi : Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale » en 1987 (Volume 99, Numéro 99-177, pp. 87-124) : « Une expérience libertaire en Cerdagne : Puigcerdà sous le pouvoir des anarchistes (juillet 1936-juin 1937) »
Et nous ajoutons cet extrait d’un article de Charles Ridel [Louis Mercier-Vega] intitulé « La mort d’Antonio Martín » publié le 6 mai 1937 dans Le Libertaire :
On pourra aussi consulter notre article sur les activités de la famille Tricheux et de la communauté française à Puigcerdá ici : article 473
Où nous renvoyons au chapitre trois de la thèse d’Edouard Sill, « Ni Franco ni Staline ».
Les giménologues, deux juin 2015
Voici le texte en français d’Antonio Gascón et Agustín Guillamón, suivi de la version espagnole.
MARTÍN ESCUDERO, Antonio (1895-1937) « Le Durruti de la Cerdagne »
Antonio Martín Escudero, plus connu sous le surnom péjoratif de « el Cojo de Málaga » (« le Boiteux de Málaga »), naquit à Belvis de Monroy (Cáceres). Il était le fils de Celestino Martín Muñoz, cultivateur, et d’Ascensión Escudero Jara, « femme au foyer ». À la naissance d’Antonio, tous deux avait 26 ans. La boiterie dont il souffrait était due à une blessure reçue durant les journées révolutionnaires de la Semaine Tragique de Barcelone [2] (1909). Selon d’autres versions, la cause de la boiterie était une ostéite. C’était un contrebandier spécialisé, avec César Flores, dans le passage d’armes par la frontière pour ravitailler les groupes d’action [3] . En 1922, tous deux furent des collaborateurs actifs et habituels du groupe Los Solidarios [4] dont ils faisaient partie.
Exilé en France de 1924 à 1934, il géra une minuscule échoppe de cordonnier dans un recoin à côté d’une charbonnerie auvergnate, sur le Boulevard Montparnasse à Paris. En 1927, résidant à Aubervilliers, il eut avec une compagne, dont nous ne connaissons pas le nom complet, une fille appelée Florida Martín Sanmartín qui survécut après sa mort en 1937. Dans cette ville, il travailla d’abord dans la construction et ensuite dans un garage.
Après les faits révolutionnaires d’octobre 1934 [5] Martín rentra à Barcelone. On ne sait pas si cela relève de sa propre décision ou d’un mandat de l’Organisation, ce qui démontre la fausseté de la légende selon laquelle il aurait été emprisonné durant trois semaines à cause des événements d’octobre, et aussi de celle qui prétend qu’on l’avait vu conspirer dans quelques villages.
Martín décida ensuite de s’installer en Cerdagne, où il travailla dans diverses entreprises et métiers (maçon, journalier, serveur) des deux côtés de la frontière. Il fut ouvrier à la laiterie SALI à Puigcerdá, maçon à Bellver, journalier à Sallagosa, serveur à Font-Romeu, ou piochant la pierre sur la route de Meranges, au forfait selon les mètres cubes extraits, ou dans l’entreprise Py de Osseja, en Cerdagne française.
En mars 1936, il intervint à Puigcerdá comme leader et porte-voix syndicaliste face au patronat, participant à divers meetings locaux. En mai 1936, il assista au Congrès de la CNT à Saragosse, comme délégué pour les syndicats de la Cerdagne. Ces deux faits démontrent qu’il était un militant cénétiste connu.
Il avait un demi-frère, Blanco Martín Milar qui faisait partie au début de la guerre du Conseil de Défense [6] . Il se faisait appeler Rojo au lieu de Blanco, et nous ne savons rien de plus de lui.
En juillet 1936, il n’y eut à Puigcerdá aucun affrontement ni lutte d’importance, étant donné que la fuite des militants de droite vers la France fut très facile. Il est faux d’avancer que Martín sortait de prison en ces journées, comme l’affirment certains, car il n’était pas prisonnier mais client de l’Auberge de Ca l’Aragonais, où logeait également son ami Segundo Jordá Gil, mort prématurément, fusillé à Gérone en 1943.
À partir de la Mutua Puigcerdanesca (La Mutuelle de Puigcerdá), et grâce à diverses collectivisations du commerce et à l’expropriation de diverses industries locales, il se constitua une Coopérative Populaire qui projeta la création d’un monopole commercial à Puigcerdá et aux alentours. On tenta de l’étendre à toute la Cerdagne, avec la création de nouvelles coopératives dans différentes localités.
Le Comité de Puigcerdá, présidé par Antonio Martín, contrôlait la frontière et, par conséquent, le passage d’armes et d’aliments, ainsi que la fuite de curés et de militants de droite et, bien entendu, la fuite de déserteurs de la cause républicaine. Il tenta d’imposer progressivement à toute la Cerdagne un prix juste pour le blé, le lait et la viande produits, avec l’objectif d’empêcher la spéculation des propriétaires et de fournir à une Barcelone affamée une production alimentaire à des prix accessibles.
Le 9 septembre 1936, Martín était en train d’effectuer une tournée en France, collectant argent, armes et aliments pour la Révolution. Par conséquent il ne se trouvait pas à Puigcerdá au moment de la tuerie de 21 militants de droite. Mais quelques jours après, il revendiqua, en assemblée populaire, ces exécutions de fascistes, posant comme alternative, en cas de refus de cette action répressive, la démission en bloc du Comité Révolutionnaire de Puigcerdá. L’assemblée décida la continuité du Comité qui à la fin octobre prit le nouveau nom de Comité Administratif dans lequel Martín avait le portefeuille de l’Intérieur.
Joan Solé, le maire de Bellver, négociant en bétail et petit propriétaire éleveur et cultivateur du canton (une mule, environ 20 vaches et occasionnellement un taureau), prit la tête de la résistance de ce village, dans lequel l’Esquerra (ERC) avait réussi à maintenir sa force en ne participant pas au soulèvement d’octobre 1934. D’autre part, Solé apparaissait sous le couvert d’une entité civique locale : le Bloc Républicain Catalaniste. Joan Solé s’opposait aux prétentions hégémoniques du Comité de Puigcerdá, tentant de défendre ses intérêts économiques particuliers. Comme négociant de bétail, il était partisan du libre marché et il s’opposait viscéralement, comme beaucoup d’autres propriétaires de Bellver, à la politique collectiviste et « monopolisatrice » du Comité de Puigcerdá.
Il n’y avait rien de personnel, ni non plus d’affrontement idéologique. Antonio Martín et le Comité révolutionnaire de Puigcerdá étaient aux yeux des négociants de bétail et des petits propriétaires de Bellver des « étrangers » anarchistes et sauvages qui portaient atteinte à leur mode de vie traditionnel, pour s’enrichir personnellement sur leur dos à eux, catalans, défenseurs de la propriété privée et de l’ordre civilisé « de toujours ».
Ici réside l’origine de la légende noire du « Boiteux de Málaga ». Antonio Martín était un authentique diable pour les propriétaires de Bellver parce qu’il essayait de leur imposer un prix inférieur pour le kilo de viande - 1,25 peseta de moins que ce qu’ils voulaient -, et parce qu’il essayait de faire de même avec le lait et le blé. Il voulait en plus leur enlever une autre source traditionnelle de revenus très lucrative : la contrebande (y compris celle de bétail) et le passage clandestin de personnes par la frontière, opération dont se chargeaient des gens d’Estat Català et du PSUC qui percevaient ainsi d’importantes quantités d’argent.
Le Comité révolutionnaire de Puigcerdá avait créé La Comunal, une coopérative de production et de consommation qui tendait à monopoliser toute la production agricole et de bétail de la Cerdagne, avec l’objectif d’éviter la spéculation et de vendre à des prix bon marché le blé, la viande et le lait à une Barcelone affamée. Ce fut le « grand délit » de Martín le Boiteux : éviter que les petits propriétaires de Bellver ne s’enrichissent en profitant de la faim des travailleurs et travailleuses de Barcelone.
Après l’échec du coup indépendantiste contre Companys [7] en novembre 1936, grâce à l’intervention de la CNT, une des unités qui devait participer à ce coup d’État, le Régiment Pyrénéen N°1 de Catalogne, décida d’envoyer sa compagnie de skieurs à La Molina, en décembre, avec l’objectif d’en finir avec l’hégémonie des anarchistes de Puigcerdá. Sous le prétexte de garder et protéger la frontière, ils établirent des patrouilles permanentes à Bellver, ce qui permit à ce village de créer une série de conflits avec le Conseil de Puigcerdá, conflits derrière lesquels se cachait la défense à outrance des intérêts économiques des propriétaires de bétail. Entre janvier et février 1937 divers groupes armés se concentrèrent à Bellver, sous des prétextes les plus bigarrés. Ils étaient composés de gens d’Estat Catalá, de l’ERC et du PSUC, et d’un groupe de mercenaires commandés par « el Penja-robes », probablement un sympathisant stalinien infiltré parmi les cénétistes de Puigcerdá.
Le 10 février 1937, Joan Solé Cristòfol obtint de nouveau le poste de maire de Bellver, qu’il avait occupé de janvier 1934 à octobre 1936.
À son tour, fatigué de tant d’ingérences et en accord avec les miliciens du POUM en garnison au Sanatorium d’Alp, Martín décida de donner l’assaut au Chalet de La Molina et d’arrêter toute la compagnie de skieurs. L’opération militaire se déroula à l’aube du 1er mars 1937. Le succès fut total, étant donné que, sans tirer un coup de feu, on fit prisonnier tous les skieurs, officiers compris. Ces derniers furent envoyés immédiatement à Puigcerdá, comme otages.
Les officiers retenus, les hommes de Martín expédièrent la troupe en direction de Barcelone, où ce même jour étaient parvenues des nouvelles téléphoniques concernant ce qui s’était produit, grâce à deux skieurs qui s’étaient enfuis du Chalet dans un moment de confusion.
Le samedi 6 mars, Tarradellas et Santillán [8] partirent en auto à destination de Puigcerdá et de Bellver pour s’informer des graves faits qui s’y étaient déroulés. Le 8 mars, Tarradellas informa la presse barcelonaise de son voyage en Cerdagne.
Tarradellas avait engagé précipitamment des négociations avec la CNT pour obtenir la rapide libération des otages. Il avait comme interlocuteurs, en plus de Santillán, le Conseiller de la Défense Francesc Isgleas, et Antonio Martín lui-même. Ils passèrent avec Taradellas un accord entre gentlemen : les officiers ne seraient pas fusillés, comme le menaçait au début le « Consell de Puigcerdá », mais remis en liberté, à la condition que les troupes pyrénéennes ne réapparaissent pas dans ce secteur, la Généralité s’engageant en plus à ne pas envoyer là-bas d’autres forces, de quelque type que ce soit. Les officiers otages furent immédiatement libérés, mais le gouvernement de la Généralité ne tint pas son engagement.
À six heures et demie dans l’après-midi du 8 mars 1937, le Conseil de la Généralité se réunit sous la présidence de Tarradellas, avec l’assistance de tous les Conseillers, à l’exception de celui de la Justice. Tarradellas informa de son voyage en Cerdagne qu’il avait fait en compagnie de Santillán. Il expliqua qu’ils avaient tenu une réunion avec toutes les organisations représentées dans le gouvernement, étant informé de la situation dans la comarque [9]. Accompagnés de Juan Montserrat, délégué à la Défense, et d’une section du Bataillon de la Mort [10] , ils montèrent au Château d’Alp occupé par environ 80 militants du POUM, où « ils s’étaient fortifiés sous l’excuse d’un sanatorium, qui est une espèce d’hôtel de passe, avec des miliciens et de soi disantes infirmières. Tous ces miliciens touchent une solde de la Généralité et terrorisent la comarque ».
Cette calomnie si grossière qui diffamait les Poumistes était rendue possible du fait de leur expulsion du gouvernement, et elle s’ajoutait au processus de marginalisation et de mise en accusation de ce parti, auquel on attribuait toutes les difficultés du gouvernement d’unité antifasciste. Le Château d’Alp était un sanatorium pour les miliciens du POUM. Il s’agissait de discréditer ces militants comme préalable à leur expulsion de la comarque, vu que leur présence affaiblissait les forces contre-révolutionnaires du PSUC, de l’ERC et du gouvernement de la Généralité.
Antonio Martín fut requis à Puigcerdá pour que « soient retirées toutes les forces avec lesquelles il maintenait bloqués différents villages en attendant la requête ». Tarradellas retira du lieu un lieutenant qui, par son comportement et son caractère, tendait à aggraver les conflits et il ordonna la remise en liberté de tous les prisonniers.
Tarradellas informa sur les « innovations irréalisables » qui constituaient « le programme de ceux qui gouvernent Puigcerdá et le canton », qui « sous le prétexte d’une coopérative générale se sont emparé de tout le village et ne se privent pas d’exercer une contraindre pour acheter tous les produits à bas prix et les vendre plus cher à Barcelone », créant un problème économique difficile à solutionner.
Santillán adhéra « à tout ce qu’a manifesté le Premier Conseiller ». Comorera demanda qu’on suspende le paiement des soldes des miliciens qui n’obéissaient pas aux ordres du gouvernement. Isgleas, cénétiste, avertit que le Ministère de l’Intérieur du gouvernement central avait nommé un nouveau commandant des Carabiniers [11] , avec lequel il fallait compter. Il pria ensuite l’UGT de retirer les groupes armés qu’elle avait à Camprodón, Maçanet et d’autres lieux. Valdés déclara que l’UGT le ferait lorsque s’appliqueraient les Décrets d’Ordre Public. Tarradellas proposa « que soient envoyés des Mossos de escuadra [12] à Bellver ». Ainsi fut-il décidé.
Comorera demanda une enquête sur les mauvais traitements reçus par son secrétaire dans le village frontalier de La Jonquera. Aguadé déclara que ce qui manquait c’était régler une fois pour toutes la question des frontières. Ensuite, on débattit sur le caractère fasciste et contre-révolutionnaire du POUM et sur la nécessité de suspendre La Batalla ; seuls quelques Conseillers anarcho-syndicalistes défendirent timidement le POUM.
La position de Santillán était absolument complice des lignes directrices staliniennes et gouvernementales. Finalement, les déclarations d’Isgleas sur l’absence de protection des barcelonais face aux attaques aériennes et maritimes, qui mettaient en accusation uniquement le gouvernement central, ouvrirent une interrogation sur la responsabilité de la Généralité et de toutes les organisations antifascistes face à leur évidente inhibition et leur laisser-aller général quant à la création d’une défense aérienne active. Bien que tout devienne plus compréhensible et rationnel si l’on considère que les bombes et la faim étaient les meilleurs instruments gouvernementaux pour faire plier la révolution.
Du 8 mars jusqu’au 26 avril, le gouvernement de la Généralité accumula des troupes à Bellver et dans les localités voisines, ainsi que dans les environs de la frontière. Le gouvernement de Valence en fit de même avec des carabiniers, dont 500 furent concentrés à Ripoll. Après avoir échoué dans leur tentative d’assaut contre Puigcerdá le 24 avril, ils prirent d’assaut le central téléphonique local, plaçant des mitrailleuses dans la gare et dans d’autres édifices stratégiques, ainsi qu’une barricade sur la route de Barcelone, avec l’appui total du PSUC local, qui augmenta sa capacité en faisant venir une colonne de l’UGT - laquelle jusqu’alors avait été cantonnée à Camprodón.
Vers le 25 avril, Artemi Aguadé envoya un groupe de sept anciens « Escamots [13] » des Juventudes de Estat Catalá (JEREC) avec le mandat explicite d’en finir avec Antonio Martín et le reste des anarchistes dès que possible.
Le 27 avril, aux premières heures de la matinée, un groupe d’anarchistes de La Seu décida de se déplacer à Puigcerdá, avec l’intention de se réunir avec leurs compagnes et compagnons de cette localité pour commenter les nouvelles du déploiement considérable de forces que réalisaient ces derniers jours les Carabiniers, dont 500 hommes cantonnés à Ripoll depuis le 23 avril. En passant devant Bellver, les anarchistes de La Seu furent stoppés par des personnes armées contrôlant la route. Après un bon moment de discussions et un abondant échange de menaces, finalement les gens de La Seu purent reprendre leur marche, arrivant finalement à leur destination.
À leur arrivée à Puigcerdá - étant donné l’état d’esprit échauffé des anarchistes de La Seu - on convoqua une assemblée au cours de laquelle ceux de La Seu expliquèrent à leurs compagnes et compagnons de Puigcerdá le difficile moment vécu lors du contrôle à Bellver, ainsi que leur préoccupation face à l’envoi massif de Carabiniers vers divers lieux de la frontière, ou la présence de gens étrangers dans quelques localités, comme c’était le cas à Bellver même. Pour cette raison, les anarchistes parlaient des constantes provocations auxquelles ils étaient soumis : le contrôle de la route de Bellver, l’invasion massive de Carabiniers en Cerdagne et sur toute la frontière, l’introduction des Milices Pyrénéennes et un long etcetera.
Le 27 avril 1937, à deux heures et quart de l’après-midi, des miliciens anarchistes provenant de La Seu d´Urgell et de Puigcerdá, ainsi que des miliciens poumistes et anarchistes provenant d’Alp et de Das, encerclèrent la localité de Bellver. En l’état actuel des recherches, on peut avancer cette hypothèse concernant ce qui s’est produit : Antonio Martín, de Puigcerdá, et Julio Fortuny, de La Seu d´Urgell et, selon quelques versions, deux autres militants furent assassinés dans une embuscade, lorsque les voitures de la CNT-FAI qui traversaient le pont s’arrêtèrent devant la barricade existant à la bifurcation de la route d’accès à la localité, sur la rive gauche du Segre. En descendant des voitures, au bout du pont, avec l’intention de parlementer, les anarchistes furent criblés de balles à bout portant, depuis le fossé, par un groupe qui y était caché. En entendant ces coups de feu, la fusillade se généralisa entre la muraille et les assiégeants. Julio Fortuny, un jeune de 19 ans, mourut instantanément, Antonio Martín, avec une blessure par balle à la poitrine, agonisa dans la maison située sur la rive droite, à côté du pont, passant là toute la nuit. La provocation avait atteint son objectif.
La légende noire de l’anarchisme catalan, entretenue par les infamies des catalanistes et des staliniens, attribua personnellement à Antonio Martín tous les assassinats, les vols et les actes délictueux qui se produirent en Cerdagne durant la guerre civile, exagérant la quantité de morts violentes (entre 40 et 50, et non pas les centaines ni même les milliers avancés par la légende). La responsabilité de la répression antifasciste collective se réduisait exclusivement « aux anarchistes », alors qu’y avaient participé non seulement la CNT-FAI, mais aussi le PSUC-UGT, l’ERC, le POUM et Estat Catalá. Il existe des indices documentaires qui attribuent la confection de la liste des 21 fusillés du 9 septembre à Puigcerdá à l’ERC et à Estat Catalá.
Mais il ne suffit pas de prouver qu’Antonio Martín ne participa pas à la tuerie du 9 septembre 1936 (21 fusillés) à Puigcerdá, simplement parce qu’il n’était pas là. Il ne suffit pas de signaler que cette tuerie fut un règlement de comptes entre catalanistes et partisans de l’Espagne, membres de l’Union Patriotique, en représailles aux délations et dénonciations correspondantes que déchaîna la répression anti-catalaniste d’octobre 1934. Il ne suffit pas de prouver, documents à l’appui, que les staliniens, les poumistes et les catalanistes avaient également participé à la répression violente contre les fascistes. Il ne suffit pas d’argumenter que la violence révolutionnaire contre ces fascistes et militants de droite était légitime, étant donné qu’ils avaient ouvert, avec leur coup d’État contre le gouvernement républicain, la voie violente comme solution aux conflits sociaux et politiques. Tout s’écroule et s’annule devant l’irrationnelle campagne de diffamation et de criminalisation contre les libertaires, campagne dans laquelle s’allient franquistes, catalanistes et staliniens, qui ont conjointement converti en un dogme indiscutable de leur Histoire Sacrée la légende noire de l’anarchisme catalan, et qui prétendent à nouveau magnifier et sanctifier les martyrs fascistes, un préalable à leur béatification.
Parmi ces infamies, on inclut le surnom péjoratif que les catalanistes et les staliniens donnèrent à Antonio Martín, essayant de le ridiculiser en lui donnant le nom artistique d’un célèbre chanteur de flamenco de l’époque, qui était également boiteux et étranger à la région. Antonio Martín ne fut jamais « le Boiteux de Málaga » parce qu’il n’alla jamais dans cette ville, et n’en était pas originaire. Il fut plutôt « le Durruti de la Cerdagne », un révolutionnaire qui mourut assassiné par ses ennemis au cours d’une embuscade préparée à l’entrée de Bellver, selon les déclarations de témoins des faits.
LA CERDAGNE APRÈS LA MORT DE MARTÍN.
Le cénétiste et coopérativiste Pedro Lozano organisa le 28 mai 1937 un meeting à Puigcerdá qui se tint au cine cooperativista, « local qui appartenait à la dénommée Coopérative Populaire ». Y participèrent Joan Rovira, Miquel Mestre (PSUC) et Francisco Campos, comme représentants de la Fédération des Coopératives de Catalogne. Après l’insurrection victorieuse du 19 juillet 1936 avait été créée La Comunal qui absorba la coopérative dénommée La Mutua Puigcerdanesa , ainsi que quasiment tout le commerce local, « par la contrainte ou sans elle ».
Cette Coopérative populaire « fondée dans la chaleur de la révolution » possédait un grand magasin général de vente de produits comestibles, un autre de vins, plusieurs succursales de vente de viande, de vêtements, de produits de mercerie et d’autres choses. Mais elle manquait de sociétaires inscrits et d’un quelconque règlement, rendu nécessaire par la loi sur les Coopératives. « Elle avait seulement une commission désignée par le peuple et un responsable nommé en la personne de Lozano. C’est-à-dire que plus qu’une coopérative La Comunal était un organisme révolutionnaire confédéral qui avait monopolisé le commerce de Puigcerdá et d’une partie de la Cerdagne.
Le meeting avait pour seule finalité la normalisation de la situation et le lancement d’un processus de liquidation de La Comunal, en rendant aux anciens propriétaires les biens saisis et en différenciant les biens appartenant à l’ancienne Mutua Puigcerdanesa des réquisitions postérieures.
L’œuvre révolutionnaire du canton anarchiste de la Cerdagne conduite par Antonio Martín et matérialisée dans La Comunal devait être détruite pour revenir à la légalité républicaine, en restaurant les propriétés de l’ancienne coopérative La Mutua, et en rendant aux anciens propriétaires privés les biens expropriés.
Mais il ne suffisait pas de détruire La Comunal. La contre-révolution voulait liquider également les révolutionnaires qui l’avaient rendue possible. Il en a toujours été ainsi dans toutes les étapes contre-révolutionnaires dans tous les pays où la révolution avait été défaite. Et mai 1937 [14] avait été une défaite des révolutionnaires.
Un rapport de la Commission Juridique cénétiste explique qu’à neuf heures du matin le 10 juin 1937, alors que « les compagnons José Basagañes, José Anglada, Juan Maranges, Esteban et Jaime - ainsi qu’un oncle de Casagañes »- se trouvaient en train de travailler dans l’édifice connu comme la « La Serradora » (La Scieuse, une scierie), « de nombreuses forces composées de Carabiniers, de Gardes d’Assaut et d’Agents de Vigilance [15]]] » se présentèrent sur le lieu. Suivant « un plan pleinement conçu par le délégué à l’Ordre Public appelé Fernández, elles commencèrent à tirer » contre l’édifice avec l’unique objectif « de provoquer et de voir si les compagnons qui se trouvaient à l’intérieur résistaient », pour pouvoir prétendre ensuite que les forces de l’Ordre Public avaient d’abord été attaquées.
Tous les témoins des faits racontèrent que la version policière avait falsifié les faits, et qu’il n’était pas certain que les cénétistes aient lancé des bombes et tiré avec leurs revolvers, « car, si cela avait été certain, il y aurait eu des blessés et peut-être des morts » parmi la force publique, alors qu’il n’y eut parmi eux aucun blessé, pas même léger. Le docteur Córdoba qui certifia la mort des « compagnons qui furent si vilement assassinés » pourrait « donner des détails sur leur mort ». On a pour preuve de la sauvagerie de l’attaque le fait que deux des compagnons qui étaient restés blessés furent achevés par une rafale de mitrailleuse. Certains des assassinés avaient été membres du Comité Révolutionnaire : c’était là le motif du massacre.
Plusieurs militants cénétistes fuirent de Puigcerdá pour échapper à la brutale répression en cours, « étant détenus postérieurement les compagnons José Catrafel, Ángel Cortés, Pedro Parés, Joaquín Ortas, Felipe Ugalde, Valentín Pous et Antonio Martínez, accusés et jugés pour divers délits que l’on fait retomber sur eux ». Furent détenus Miguel Domengé, Juan Escoriza, José Anglada, Eusebio Meranges, José Sals, Salvador Cinquilla, Julián Gallego, Luciano Durán, le vieux Tricheux (un militant anarchiste français connu) et son gendre, ainsi que deux miliciens de la colonne Durruti qui se trouvaient dans les environs de Puigcerdá.
Fut également détenu, bien qu’hospitalisé, « le militant connu Mariano Puente », de manière complètement arbitraire selon l’opinion populaire.
Le 12 juin 1937, lors d’une session extraordinaire présidée par le délégué à l’Ordre Public, Gerónimo Fernández (le même qui quelques jours auparavant avait dirigé l’assaut et les assassinats à La Serradora), la nouvelle Municipalité fut nommée, constituée selon les Décrets du 9 et 12 octobre 1936, avec la configuration suivante : maire, Josep Clot (ERC) ; premier adjoint au maire, Antoni Junoy (ERC) ; deuxième adjoint au maire, Pedro Lozano (CNT) ; et le reste des Conseillers : Joan Casanovas (Unió de Rabasaires), Agustí Sánchez (CNT), Antonio Gordillo (CNT) et Elisi Font (ERC).
Lors de la session municipale du 30 juin, on créa des impôts sur les bars, le lait produit dans le canton (avec par conséquent une hausse des prix pour les barcelonais qui souffraient de la faim) et l’on municipalisa La Serradora (autogérée depuis sa saisie le 19 juillet 1936 jusqu’aux assassinats du 10 juin).
Lors de la session du 15 juillet 1937, la CNT communiqua son accord pour que soient remplacés ses représentants à la municipalité : Lozano, Sánchez et Gordillo, par les nouveaux représentants désignés par l’Organisation en assemblée : Joan Coll, Pau Porta et Eduardo Martín. L’ERC s’opposa à la nomination d’Eduardo Martín du fait de sa participation aux Événements de Mai.
Après trois sessions qui ne purent avoir lieu du fait de l’absence des Conseillers cénétistes, menacés de mort, se tint finalement la session du 27 juillet au cours de laquelle la CNT communiqua le remplacement d’Eduardo Martín, judiciairement poursuivi, par le docteur Ramón Córdoba. Lors de cette même session, le PSUC nomma ses Conseillers à la municipalité : Juan Salom et Lluís Pubill. À la fin du mois d’août, la Municipalité de Puigcerdá, comme tant d’autres dans la comarque, était pratiquement dissoute et ses fonctions avaient été absorbées par le Comité Exécutif de la Cerdagne.
Le rapporteur de la Commission Juridique cénétiste désignait « comme instigateur principal de la persécution » des militants anarcho-syndicalistes de Puigcerdá « Vicente Climent [PSUC], ainsi qu’un dénommé Juan Bayran Clasli, du PSUC ». Conjointement avec « le maire de Bellver, un Agent de Vigilance, appelé Semper et un autre Agent dont j’ignore actuellement le nom, ces deux derniers appartenant à Estat Catalá ont formé un Comité Exécutif qui s’acharne à persécuter des militants de notre Organisation ».
Comme preuve de la brutalité de ce Comité Exécutif de la Cerdagne, le rapporteur évoquait « l’agression dont fut victime, il y a quelques jours, en place publique, le compagnon Eulalio Oña, lequel fut agressé et giflé par l’agent Samper qui le somma de quitter la localité dans un délai de vingt-quatre heures », sous la menace « qu’ils le feraient disparaître » s’il ne s’exécutait pas.
Ce Comité Exécutif qui avait imposé la terreur à Puigcerdá se réunit pour prendre de « graves accords », parmi lesquels celui de chasser de la Cerdagne tous les militants de la CNT et de la FAI, sous peine de faire disparaître quiconque ne suivrait pas un tel ordre.
Les membres des familles des assassinés de La Serradora étaient constamment harcelés, avec l’objectif explicite de les expulser de la comarque.
Les cénétistes Leocadio Mediavilla, Antonio Gordillo et Agustín Sánchez, anciens Conseillers dans la Municipalité de Puigcerdá, avaient fui devant les menaces et ils étaient « recherchés par le groupe de l’Agent Samper, par des voisins et par le maire de Bellver », qui interrogeaient les militants cénétistes afin de « vérifier où ils se trouvaient pour procéder à leur détention » ou à leur assassinat.
Le rapporteur signalait que le local des Jeunesses Libertaires avait été réquisitionné par les forces de l’Ordre Public, « les forces de Carabiniers s’installant dans celui-ci », et la bibliothèque existante remise à l’UGT, « ou au délégué que la Généralité envoie pour sa remise ». Le local du Syndicat de la CNT avait été pris d’assaut « par un groupe d’individus appartenant à Estat Catalá et au PSUC », pour le rendre à l’ancien propriétaire. Le rapport se terminait par une référence à la Seu d´Urgell qui vivait une persécution similaire à celle de Puigcerdá.
Le résultat de la répression était le retour à Puigcerdá des fascistes et des ennemis de la révolution du 19 juillet : Obiols, le juge poursuivi le 19 juillet, était le même juge qui recevait toutes les plaintes contre les cénétistes, mais qui se déclarait malade pour éviter toute responsabilité concernant les assassinats de cénétistes. Le maire de l’époque de la Dictature de Primo de Rivera était revenu, ainsi que la famille du curé « et de nombreux autres, dont les dénonciations et les réclamations au préjudice de nos militants sont attendues », avec l’objectif unique « de charger toute la responsabilité sur notre Organisation et ses composantes ».
Les forces de l’Ordre Public, les anciennes autorités, les fascistes et la bourgeoisie étaient en train de reconquérir la Cerdagne, déchaînant une répression sauvage et brutale contre les militants anarcho-syndicalistes, qui allait depuis l’assassinat, la prison et l’exil jusqu’à la persécution méthodique des membres des familles et de tous les militants cénétistes, en passant par la saisie des locaux. Et comme complément inévitable et justificatif de cette répression stalinienne, gouvernementale et classiste, se réaffirmait et grandissait la légende noire des anarchistes catalans en général et celle d’Antonio Martín en particulier.
Les perquisitions continuelles, les saisies d’argent et d’ustensiles dans les foyers, l’interruption des correspondances, les tabassages, y compris publics en pleine rue, les menaces faites aux militants et aux membres de leurs familles, et un long etcetera d’abus et de persécution effectués par des policiers et des voisins de Bellver, aboutirent à ce qu’en septembre 1937 la CNT avait disparu comme organisation en Cerdagne. En 1938 Joan Solé fut nommé commissaire municipal de plusieurs villages de la comarque, qu’il gérait sans opposition aucune, tandis que la CNT commençait une timide réorganisation pleine d’obstacles.
LES ARCHIVES CONTRE LES LÉGENDES
Une légende est la narration de faits fabuleux qui se transmet par tradition comme s’ils étaient historiques et réels. Les archives sont des lieux où se conservent des documents qui sont l’osier avec lequel l’historien tresse un récit digne de foi et rigoureux du passé.
Le 1er octobre 1937, Martín Salvat Pujadas, responsable du cimetière de Puigcerdá, dans une réponse écrite au travail reçu, déclara que les inhumations réalisées pour morts violentes, depuis le 19 juillet 1936, atteignaient un total de trente et une victimes. La consultation des enterrements enregistrés au cimetière de cette ville nous permet la classification par dates : les vingt et un fusillés du massacre du 9 septembre 1936, deux femmes rouées de coups contre les murs du cimetière le 30 octobre 1936, les deux anarchistes tombés dans l’affrontement armé de Bellver, le 27 avril 1937 (Antonio Martín et Julio Fortuny), et les six anarchistes assassinés à La Serradora. En résumé, 23 fascistes et 8 anarchistes.
Le mythe des exécutions massives par fusillade au col de Tosas ordonnées par le Comité de Puigcerdá, s’écroule devant la précision et le côté percutant d’un document de la Causa General [16] qui conclut - une fois déterrés et analysés les 26 cadavres trouvés - qu’il s’agissait dans leur majorité de gens très jeunes, quelques-uns identifiés comme militants de droite et déserteurs, qui avaient été abattus par les tirs des Carabiniers en tentant de traverser la frontière. Ni comité, ni exécutions par fusillades, Carabiniers et déserteurs et, en tout cas, morts étrangères à la problématique interne de la Cerdagne. Elles ne doivent donc pas être comptabilisées comme relevant des conflits sociaux et politiques de cette comarque.
Mais la réalité historique ne compte pas, les documents qui détruisent une fabuleuse diffamation non plus. Nous nous trouvons devant un phénomène sociologique et anthropologique très complexe, qui échappe à la science historique, parce que les faits historiques se transforment en légende et en croyances mythiques, qui de plus cimentent une espèce d’orgueilleuse Fuenteovejuna [17] de tout le village de Bellver, uni dans son essence catalane, républicaine et civilisée face à la sauvagerie des étrangers anarchistes et révolutionnaires de Puigcerdá. Peu importe que tout soit faux d’un point de vue historique : il s’agit d’un mythe fondateur et héroïque du village de Bellver, aussi indiscutable qu’irrationnel et religieux.
La légende permet des variations contradictoires : tous ceux et chacun de ceux qui tirèrent depuis la muraille blessèrent mortellement Martín ; mais cela cohabite avec le pacte commun de silence sur l’identité de qui l’a réellement tué (un garde civil à la retraite), et avec ce « plus » héroïque qu’ils le firent « tous en un ».
La légende a également ses dogmes, indiscutables et sans appel :
1.- Il n’y a aucun doute que le Boiteux était un voleur et un assassin, comme tous les anarchistes.
2.- L’objectif du Boiteux, en réquisitionnant le bétail de Bellver, était de s’enrichir personnellement.
3.- Il traversa le pont comme un fou, pour montrer qu’il avait des couilles, sans intention de parlementer, même en sachant que le pont était couvert par de nombreuses personnes armées, retranchées derrière les hautes murailles, et que l’assaut contre Bellver depuis le pont était un acte suicidaire.
Un boiteux courant sur le pont !
4.- Il n’y eut aucune embuscade.
5.- Personne (pas même involontairement ou sous contrainte armée) n’accueillit Martín dans sa maison alors qu’il agonisait de la blessure par balle qu’il avait reçue.
Quand l’histoire se convertit en mythe, et plus encore en mythe identitaire du village de Bellver, l’historien-ne disparaît, avalé par le caractère épique du sacré : les anarchistes ont toujours été, sont et seront toujours coupables d’avoir lutté pour la révolution. Cela, seulement cela - et la haine infinie que cela engendre dans la bourgeoisie - est suffisant pour alimenter et justifier hier, aujourd’hui et toujours la légende noire de l’anarchisme catalan. Pour l’Histoire Sacrée (celle de ces historiens au service du maître qui les paye) peu importe la fausseté ; seule l’intéresse la condamnation irrationnelle des révolutionnaires et de leur « évidente » nature diabolique, criminelle et maligne. Leur crime fut d’imaginer un monde meilleur, juste et sans exploitation. Leur crime fut de combattre pour la liberté, pour décider de leur propre vie, pour la gestion commune des priorités socio-économiques, pour la destruction de l’État, pour le communisme libertaire. Rien de plus, rien de moins.
Version espagnole :
MARTÍN ESCUDERO, Antonio (1895-1937)
“El Durruti de la Cerdaña”
Biografía de Antonio Gascón y Agustín Guillamón
Antonio Martín Escudero, más conocido por el despreciativo apodo de “el Cojo de Málaga”, nació en Belvis de Monroy (Cáceres). Era hijo de Celestino Martín Muñoz, labrador, y de Ascensión Escudero Jara, de “profesión su sexo”. Al nacimiento de Antonio, ambos tenían 26 años de edad. La cojera que padecía se debía a una herida recibida durante las jornadas revolucionarias de la Semana Trágica de Barcelona (1909). Según otras versiones la causa de la cojera fue una osteítis.
Contrabandista especializado, junto con César Flores, en el paso de armas por la frontera para abastecer a los grupos de acción. En 1922 ambos fueron activos colaboradores habituales del grupo Los Solidarios, del que formaban parte.
Exiliado en Francia desde 1924 hasta 1934. Regentó un minúsculo tenderete de zapatero remendón en un rincón anexo a una carbonería auvernesa, en el boulevard Montparnasse de París. En 1927, residiendo en Aubervilliers, tuvo con una compañera cuyo nombre completo desconocemos, una hija llamada Florida Martín Sanmartín, que le sobrevivió a su muerte, en 1937. En esa ciudad trabajó primero en la construcción y luego en un garaje.
Tras los hechos revolucionarios de octubre de 1934, Martín regresó a Barcelona, no se sabe si por propia decisión o por mandato de la Organización, de lo que resulta falsa la leyenda de su encarcelamiento durante tres semanas a causa de los Hechos de Octubre, o la de que se le viera conspirando en algunos pueblos.
Fue entonces cuando decidió instalarse en la Cerdaña, donde trabajó en diversas empresas y oficios (albañil, jornalero, camarero) a ambos lados de la frontera : mozo en la fábrica de leche SALI en Puigcerdá, albañil en Bellver, jornalero en Sallagosa, camarero en Font-Romeu, o picando piedra en la carretera de Meranges, a destajo según los metros cúbicos extraídos, o en la empresa Py de Osseja, en la Cerdaña francesa.
En marzo de 1936 actuó en Puigcerdá como líder y portavoz sindicalista ante la patronal, participando en diversos mítines locales. En mayo de 1936 asistió al Congreso de la CNT en Zaragoza, como delegado por los sindicatos de la Cerdaña. Ambos hechos demuestran que era un destacado militante cenetista.
Tenía un hermanastro, Blanco Martín Milar, que al inicio de la guerra estuvo en la Consejería de Defensa, haciéndose llamar Rojo en lugar de Blanco, y del cual no sabemos nada más.
En julio de 1936 no hubo en Puigcerdá ningún enfrentamiento ni lucha de importancia, puesto que resultaba muy fácil la huida de los elementos derechistas a Francia. Es falso que Martín saliera de la cárcel en aquellos días, como afirman algunos, pues no estaba preso, sino que era huésped en la Fonda de Ca l´Aragonés, donde también se alojaba su malogrado amigo Segundo Jordá Gil, fusilado en Gerona en 1943.
A partir de la Mutua Puigcerdanesca, y gracias a distintas colectivizaciones del comercio y a la expropiación de diversas industrias locales, se constituyó una Cooperativa Popular, que tendió a la creación de un monopolio comercial en Puigcerdá y alrededores, que se intentó ampliar a toda la Cerdaña, con la creación de nuevas cooperativas en distintas poblaciones.
El Comité de Puigcerdá, presidido por Antonio Martín, controlaba la frontera y, por lo tanto, el paso de armas y alimentos, así como la fuga de curas y derechistas, y por supuesto la huida de desertores de la causa republicana. Intentó imponer progresivamente a toda la Cerdaña un precio justo del trigo, la leche y la carne producidas, con el fin de impedir la especulación de los propietarios y facilitar a una Barcelona hambrienta una producción alimenticia a precios asequibles.
El 9 de septiembre de 1936, Martín estaba realizando una gira por Francia, recaudando dinero, armas y alimentos para la Revolución. No se encontraba por lo tanto en Puigcerdá en el momento de la matanza de 21 derechistas. Pero algunos días después reivindicó, en asamblea popular, aquel ajusticiamiento de fascistas, planteando como alternativa al rechazo de aquella acción represiva la dimisión en bloque del Comité Revolucionario de Puigcerdá. La asamblea decidió la continuidad del Comité, que a finales de octubre tomó el nuevo nombre de Comité Administrativo, en el que Martín desempeñaba la cartera de Gobernación.
Joan Solé, el alcalde de Bellver, tratante de ganado y pequeño propietario ganadero y agrícola de la comarca (un mulo, unas 20 vacas y ocasionalmente un toro), encabezó la resistencia de ese pueblo, en el que la Esquerra (ERC) había conseguido mantener su fuerza al no participar en la sublevación de octubre de 1934, Por otra parte Solé aparecía bajo el manto de una entidad cívica local : el Bloc Republicà Catalanista. Joan Solé se enfrentó a las pretensiones hegemónicas del Comité de Puigcerdá, intentando defender sus intereses económicos particulares. Como tratante de ganado era partidario del libre mercado y se enfrentaba visceralmente, como tantos otros propietarios de Bellver, a la política colectivista y “monopolizadora” del comité de Puigcerdá.
No era nada personal, ni tampoco un enfrentamiento ideológico. Antonio Martín y el Comité revolucionario de Puigcerdá eran, a ojos de los tratantes de ganado y pequeños propietarios de Bellver, unos charnegos, anarquistas y salvajes, que atentaban contra su modo de vida tradicional, para enriquecerse personalmente a costa de ellos : catalanes defensores de la propiedad privada y del orden civilizado “de siempre”.
Ahí se origina la leyenda negra del “cojo de Málaga”. Antonio Martín era un auténtico diablo para los propietarios de Bellver, porque trataba de imponerles un precio inferior en 1,25 pesetas por kilo de carne al precio que pretendían, porque intentaba algo similar con la leche y el trigo, y porque además quería cegarles otra fuente de ingresos tradicional, muy lucrativa : el contrabando (incluido el de ganado) y el paso clandestino de personas por la frontera, operación de la que se encargaban gentes de Estat Català y del PSUC, cobrando importantes cantidades de dinero.
El Comité revolucionario de Puigcerdá había creado La Comunal, una cooperativa de producción y de consumo, que tendía a monopolizar toda la producción agrícola y ganadera de la Cerdaña, con el objetivo de evitar la especulación y vender trigo, carne y leche a una Barcelona hambrienta a unos precios baratos. Ese fue el “gran delito” del cojo Martín : evitar que los pequeños propietarios de Bellver se enriquecieran a costa del hambre de los trabajadores barceloneses.
Fracasado el golpe independentista contra Companys, en noviembre de 1936, gracias a la intervención de la CNT, una de las unidades que tenían que haber participado en aquel golpe, el Regiment Pirinenc nº 1 de Catalunya, decidió enviar su compañía de esquiadores a La Molina, en diciembre, con el objetivo de acabar con la hegemonía de los anarquistas de Puigcerdá. Con el pretexto de guardar y proteger la frontera situaron patrullas en Bellver con carácter permanente, lo que permitió a ese pueblo plantear una serie de conflictos con el Consell de Puigcerdá, tras los cuales se encubría la defensa a ultranza de los intereses económicos de los propietarios del vacuno. Entre enero y febrero de 1937 se fueron concentrando en Bellver distintos grupos armados, con las excusas más variopintas, formados por gentes de Estat Catalá, de ERC y del PSUC, e incluso por un grupo de mercenarios capitaneado por “el Penja-robes”, probablemente un simpatizante estalinista infiltrado entre los cenetistas de Puigcerdá.
El 10 de febrero de 1937 Joan Solé Cristòfol consiguió de nuevo la alcaldía de Bellver, que había ostentado antes desde enero de 1934 hasta octubre de 1936.
A su vez, Martín, harto de tantas injerencias y de acuerdo con los milicianos del POUM, de guarnición en el Sanatorio de Alp, decidieron asaltar el Chalet de La Molina y apresar a toda la Compañía de Esquís. La operación militar se desarrolló durante la madrugada del 1 de marzo de 1937. El éxito fue total, ya que sin disparar un solo tiro se apresó a todos los esquiadores, oficiales incluidos. Estos últimos fueron enviados inmediatamente a Puigcerdá, como rehenes.
Retenidos los oficiales, los hombres de Martín despacharon a la tropa con destino a Barcelona, donde aquel mismo día habían llegado noticias telefónicas sobre lo ocurrido, gracias a dos esquiadores huidos del chalet en un momento de confusión.
El sábado 6 de marzo Tarradellas y Santillán salieron en auto con destino a Puigcerdá y Bellver para informarse de los graves hechos allí ocurridos. El 8 de marzo Tarradellas informó a la prensa barcelonesa de su viaje a la Cerdaña
Tarradellas había iniciado precipitadamente negociaciones con la CNT para conseguir la rápida liberación de los rehenes. Sus interlocutores fueron, además de Santillán, el consejero de Defensa Francesc Isgleas y el propio Antonio Martín, que acordaron con Tarradellas un pacto de caballeros : los oficiales no solo no serían fusilados, como en un principio amenazaba el “Consell de Puigcerdá”, sino que serían puestos en libertad, con la condición de que los pirenaicos no volviesen a aparecer por aquel sector, comprometiéndose además la Generalitat a no destinar allí más fuerzas de ningún tipo. Los oficiales rehenes fueron liberados al instante, pero el gobierno de la Generalidad no cumplió su compromiso.
A las seis y media de la tarde del 8 de marzo de 1937 se reunió el Consejo de la Generalidad, bajo la presidencia de Tarradellas, con asistencia de todos los consejeros, a excepción del de Justicia.
Tarradellas informó de su viaje a la Cerdaña, que hizo en compañía de Santillán. Explicó que celebraron una reunión con todas las organizaciones representadas en el gobierno, siendo informados de la situación en la comarca. Acompañados de Juan Montserrat, delegado de Defensa, y por una sección del Batallón de la Muerte, subieron al Castillo de Alp, ocupado por unos ochenta militantes del POUM, donde “se han fortificado con la excusa de un sanatorio, que es una especie de prostíbulo, entre milicianos y pretendidas enfermeras Todos esos milicianos cobran de la Generalidad y tiene aterrorizada la comarca”.
Esa calumnia tan zafia que difamaba a los poumistas sólo era posible por su expulsión del gobierno, y se sumaba al proceso de marginación y culpabilización de ese partido, al que se atribuían todas las dificultades del gobierno de unidad antifascista. El castillo de Alp era un sanatorio para los milicianos del POUM. Se trataba de desprestigiar a esos militantes como paso previo a su expulsión de la comarca, ya que su presencia debilitaba a las fuerzas contrarrevolucionarias del PSUC, de ERC y del gobierno de la Generalidad.
Antonio Martín fue requerido en Puigcerdá para “que retirase todas las fuerzas con las que tenía bloqueados diversos pueblos, atendiendo el requerimiento”. Tarradellas retiró del lugar a un teniente que, por su comportamiento y carácter, tendía a agravar los conflictos, y ordenó la libertad de todos los detenidos.
Informó Tarradellas sobre las “innovaciones irrealizables” que constituyen “el programa de los que gobiernan Puigcerdá y la comarca”, quienes “con el pretexto de una cooperativa general se han incautado de todo el pueblo y no se privan de coaccionar para comprar todos los productos a bajo precio y venderlos más caro a Barcelona”, creando un problema económico de difícil solución.
Tarradellas insistió que, en cumplimiento de la nueva ordenación del Orden Público, y de los Decretos emitidos el 4 de marzo, que reorganizaban esos servicios, todas las fuerzas existentes en aquella comarca debían ser retiradas. Propuso enviar a Martí Feced para resolver las cuestiones económicas de la Cerdaña, proposición que fue aprobada.
Santillán se adhirió “a todo lo que ha manifestado el Primer Consejero”. Comorera pidió que se suspendiera el pago de los salarios de los milicianos que no atendiesen las órdenes del gobierno.
Isgleas, cenetista, advirtió que el Ministerio de Hacienda del gobierno central había nombrado un nuevo comandante de carabineros, con el que había que contar. Rogó, después, que la UGT retirase a los grupos armados que tenía en Camprodón, Maçanet y otros lugares.
Valdés dijo que la UGT lo haría en cuanto se aplicasen los Decretos de Orden Público. Tarradellas propuso “que se envíen mossos de escuadra a Bellver”.
Así se acordó.
Comorera pidió una investigación sobre los maltratos recibidos por su secretario en el pueblo fronterizo de La Jonquera. Aguadé dijo que lo que hacía falta era arreglar de una vez la cuestión de las fronteras.
A continuación se debatió sobre el carácter fascista y contrarrevolucionario del POUM y sobre la necesidad de suspender La Batalla ; sólo algunos consejeros anarcosindicalistas defendieron tímidamente al POUM.
La posición de Santillán era absolutamente cómplice de las directrices estalinistas y gubernamentales. Finalmente, las declaraciones de Isgleas sobre la indefensión de los barceloneses ante los ataques aéreos y marítimos, culpabilizando únicamente al Gobierno central, abren un interrogante sobre la responsabilidad de la Generalidad y de todas las organizaciones antifascistas ante la evidente inhibición y desidia de todos ellos en la creación de una defensa antiaérea activa, aunque todo resulta más comprensible y racional si se considera que bombas y hambre eran los mejores instrumentos gubernamentales para doblegar a la revolución.
Desde el 8 de marzo hasta el 26 de abril el gobierno de la Generalidad fue acumulando tropas en Bellver y en poblaciones próximas, así como en las cercanías de la frontera. El gobierno de Valencia hizo lo mismo con los carabineros, acumulando hasta 500 en Ripoll, que después de fracasar en su intento por asaltar Puigcerdá, el 24 de abril, tomaron por asalto el edificio de la Telefónica local, emplazando ametralladoras en la estación y en otros edificios estratégicos, así como una barricada en la carretera de Barcelona, con el apoyo total del PSUC local, que incrementó su capacidad al unírsele una columna de la UGT, que hasta entonces había estado acampada en Camprodón.
Hacia el 25 de abril Artemi Aguadé envió a un grupo de siete antiguos “escamots” ; de las Juventudes de Estat Catalá (JEREC) con el mandato explícito de acabar con Antonio Martín y el resto de anarquistas, en cuanto fuera posible.
El 27 de abril, a primera hora de la mañana, un grupo de anarquistas de La Seu decidió desplazarse a Puigcerdá, con la intención de reunirse con sus compañeros de aquélla población, para comentar las noticias del aparatoso despliegue que estaban realizando aquellos días los carabineros, pues por ejemplo, en Ripoll, estaban acampados desde el día 23 de abril más de 500 hombres.
Los anarquistas de La Seu, al pasar frente a Bellver, fueron parados en el control de la carretera por gente armada. Tras un buen rato de discusiones y un abundante intercambio de amenazas, finalmente la gente de La Seu pudo reanudar su marcha, llegando finalmente a su destino. ¿Litigio fortuito o premeditada provocación ?
A su llegada a Puigcerdá, y dado el caldeado estado de ánimo de los anarquistas de La Seu, se convocó una asamblea en la que los de La Seo explicaron a sus compañeros de Puigcerdá el lance sufrido en el control de Bellver, así como su preocupación ante el masivo envío de carabineros a distintos lugares de la frontera, o la presencia de gentes extrañas en algunas poblaciones, como era el caso del propio Bellver. Por esta razón los anarquistas hablaban de las constantes provocaciones a que estaban siendo sometidos : el control de la carretera de Bellver, la masiva invasión de carabineros en la Cerdaña y en toda la frontera, la intromisión de las Milicias Pirenaicas, y un largo etcétera.
El 27 de abril de 1937, a las dos y cuarto de la tarde, milicianos anarquistas procedentes de la Seu d´Urgell y de Puigcerdá, así como milicianos poumistas y anarquistas procedentes de Alp y Das, rodearon la población de Bellver. En el estado actual de la investigación, puede avanzarse esta hipótesis de lo ocurrido : Antonio Martín, de Puigcerdá, y Julio Fortuny, de la Seu d´Urgell, y según algunas versiones otros dos militantes, fueron asesinados en una emboscada, cuando los coches de la CNT-FAI que cruzaron el puente se detuvieron ante la barricada existente en la bifurcación de la carretera de acceso a la población, en la orilla izquierda del Segre. Al bajar de los coches, al final de puente, con la intención de parlamentar, los anarquistas fueron tiroteados a bocajarro, desde la cuneta, por el grupo allí oculto. Al oír esos disparos, se generalizó el tiroteo entre la muralla y los sitiadores. Julio Fortuny, joven de 19 años había fallecido al instante. Antonio Martín, con una herida de bala en el pecho, agonizó en la casa existente en la orilla derecha, junto al puente, pasando allí toda la noche. La provocación había alcanzado su objetivo.
La leyenda negra del anarquismo catalán, promovida por las infamias de catalanistas y estalinistas, le atribuyó personalmente a Antonio Martín todos los asesinatos, robos o actos delictivos producidos en la Cerdaña durante la guerra civil, exagerando, por otra parte, la cantidad de muertes violentas (entre cuarenta y cincuenta y no los centenares y hasta millares atribuidos por la leyenda) y reduciendo la autoría de la represión antifascista colectiva exclusivamente a “los anarquistas”, cuando en ella habían participado tanto la CNT-FAI, como el PSUC-UGT, ERC, POUM y Estat Catalá. Existen indicios documentales que atribuyen la confección de la lista de los 21 fusilados del 9 de septiembre en Puigcerdá a ERC-Estat Catalá.
Pero no basta con probar que Antonio Martín no participó en la matanza del 9 de septiembre (21 fusilados) en Puigcerdá, porque sencillamente no estaba allí ; no basta con señalar que esa matanza fue un ajuste de cuentas entre catalanistas de Estat Català y españolistas de Unión Patriótica, en venganza por las delaciones y las denuncias correspondientes que desencadenaron la represión anticatalanista de octubre de 1934 ; no basta con documentar que en la represión violenta de los fascistas en la Cataluña de 1936-1937 habían participado también estalinistas, poumistas y catalanistas y que, por lo tanto, no era exclusiva de los anarquistas ; no basta con argumentar que la violencia revolucionaria contra esos fascistas y derechistas era legítima, puesto que habían abierto con su golpe de estado contra el gobierno republicano la vía violenta como solución a los conflictos sociales y políticos. Todo se derrumba y anula ante la irracional campaña difamatoria y criminalizadora contra los libertarios, campaña en la que se alían y conjuran franquistas, catalanistas y estalinistas, que conjuntamente han convertido en un dogma indiscutible de su Historia Sagrada la leyenda negra del anarquismo catalán, que ahora de nuevo pretenden magnificar y santificar, previa beatificación de los mártires fascistas.
Entre esas infamias se incluye el despreciativo apodo que catalanistas y estalinistas dieron a Antonio Martín, intentando ridiculizarlo al darle el nombre artístico de un famoso cantante flamenco de la época, que también era cojo y charnego. Antonio Martín no fue nunca “el Cojo de Málaga”, entre otras cosas porque jamás estuvo en esa ciudad, ni era natural de ella, sino “el Durruti de la Cerdaña”, un revolucionario que murió asesinado por sus enemigos en una emboscada preparada a la entrada de Bellver, según declaraciones de testigos presenciales.
LA CERDAÑA DESPUÉS DE LA MUERTE DE MARTÍN.
El cenetista y cooperativista Pedro Lozano organizó el 28 de mayo de 1937 un mitin cooperatista en Puigcerdá, que se celebró en el Cine de la Cooperativa, “local que pertenecía a la llamada Cooperativa Popular”. Participaron en el mitin Joan Rovira, Miquel Mestre (PSUC) y Francico Campos, como representantes de la Federación de Cooperativas de Cataluña.
Tras la insurrección victoriosa del 19 de julio de 1936 se había creado La Comunal, que absorbió a la cooperativa llamada La Mutua Puigcerdanesa, así como a casi todo el comercio local, “con coacción o sin ella”.
Esa Cooperativa Popular, “fundada al calor de la revolución” poseía un gran almacén general de venta de comestibles, otro de vinos, varias sucursales de venta de carne, ropas, mercería y otros. Pero tal cooperativa carecía de socios inscritos, de reglamento alguno, necesario según la Ley de Cooperativas, “sólo tenía una comisión designada por el pueblo y un responsable en la persona de Lozano. Es decir, que más que una Cooperativa era un organismo revolucionario confederal (La Comunal) que había monopolizado el comercio de Puigcerdá y parte de la Cerdaña.
La finalidad del mitin no era otra que la de normalizar la situación e iniciar un proceso de liquidación de La Comunal o Cooperativa Popular, devolviendo a sus antiguos propietarios los bienes incautados y diferenciando las pertenencias de la antigua Mutua Puigcerdanesa de las incautaciones posteriores.
La obra revolucionaria del cantón anarquista de la Cerdaña, liderada por Antonio Martín, y materializada en La Comunal, debía ser deshecha para volver a la legalidad republicana, restaurando las propiedades de la antigua cooperativa de la Mutua y devolviendo a los antiguos propietarios privados los bienes expropiados.
Pero no era suficiente con destruir La Comunal. La contrarrevolución quería liquidar también a los revolucionarios que la habían hecho posible. Así se ha hecho siempre en cualquier etapa contrarrevolucionaria, en cualquier país donde la revolución haya sido derrotada. Y mayo de 1937 había sido una derrota de los revolucionarios.
Un informe de la Comisión Jurídica cenetista explicaba que a las nueve de la mañana del día 10 de junio de 1937, mientras “los compañeros José Basagañes, José Anglada, Juan Maranges, Esteban y Jaime, así como un tío de Casagañes” se hallaban trabajando en el edificio conocido como “La Serradora”, se presentaron en el lugar “numerosas fuerzas compuestas por Carabineros, Guardias de Asalto y Agentes de Vigilancia”, que siguiendo “un plan plenamente concebido por el Delegado de Orden Público, llamado Fernández, empezaron a disparar” contra el edificio con el único objetivo “de provocar y ver si hacían resistencia, los compañeros que se encontraban dentro”, para poder justificar que las fuerzas de orden público habían sido atacadas previamente.
Todos los testigos presenciales testimoniaron que el acta policial había falsificado los hechos, y no era cierto que los cenetistas hubiesen lanzado bombas y dispararan sus revólveres, “pues de haber sido cierto habría habido heridos y tal vez muertos” entre la fuerza pública, cuando no hubo entre ellos heridos, ni un herido leve.
El doctor Córdoba que certificó la muerte de los “compañeros que tan vilmente fueron asesinados” podría “dar detalles sobre la muerte de nuestros militantes”.
Del salvajismo del ataque daba pruebas el remate por ráfaga de ametralladora de dos de los compañeros que habían quedado heridos. Algunos de los asesinados habían sido miembros del Comité Revolucionario : ese era el motivo de la matanza.
Varios militantes cenetistas huyeron de Puigcerdá para intentar escapar a la brutal represión en curso, “siendo detenidos posteriormente los compañeros José Catrafel, Ángel Cortés, Pedro Parés, Joaquín Ortas, Felipe Ugalde, Valentín Pous y Antonio Martínez, acusados y procesados por diversos delitos que les achacan”.
Fueron detenidos como gubernativos Miguel Domengé, Juan Escoriza, José Anglada, Eusebio Meranges, José Sals, Salvador Cinquilla, Julián Gallego, Luciano Durán, el anciano Tricheaux (destacado militante anarquista francés) y su yerno, así como dos milicianos de la Columna Durruti que se encontraban en los alrededores de Puigcerdá.
También estaba como detenido gubernativo, aunque hospitalizado, “el destacado militante Mariano Puente”, a todas luces de forma arbitraria, según la opinión popular.
El 12 de junio de 1937 en una sesión extraordinaria, presidida por el delegado de Orden Público Gerónimo Fernández (el mismo que dos días antes había dirigido el asalto y asesinatos de La Serradora), se nombró el nuevo ayuntamiento, constituido según los decretos del 9 y 12 de octubre de 1936, que quedó de esta manera : alcalde, Josep Clot (ERC) ; segundo alcalde, Antoni Junoy (ERC) ; tercer alcalde, Pedro Lozano (CNT) ; y el resto de consejeros : Joan Casanovas (Unió de Rabasaires), Agustí Sánchez (CNT), Antonio Gordillo (CNT) y Elisi Font (ERC).
En la sesión municipal del 30 de junio se crearon impuestos sobre bares, la leche producida en la comarca (con su consiguiente encarecimiento para los barceloneses que pasaban hambre) y se municipalizó La Serradora (autogestionada desde su incautación el 19 de julio de 1936 hasta los asesinatos del 10 de junio).
En la sesión del 15 de julio de 1937 la CNT comunicó su acuerdo de sustituir a sus representantes en el ayuntamiento : Lozano, Sánchez y Gordillo, por los nuevos representantes designados por la Organización en asamblea : Joan Coll, Pau Porta y Eduard Martín. ERC se opuso al nombramiento de Eduard Martin por su participación en los Hechos de Mayo.
Tras tres sesiones que no pudieron celebrarse por ausencia de los consejeros cenetistas, amenazados de muerte, se realizó la sesión del 27 de julio en la que CNT comunicó la sustitución de Eduard Martín, perseguido judicialmente, por la del doctor Ramón Córdoba. En esa misma sesión el PSUC nombró a sus consejeros en el ayuntamiento : Juan Salom y Lluís Pubill.
A finales de agosto el ayuntamiento de Puigcerdá, como tantos otros de la comarca, estaba prácticamente disuelto y sus funciones habían sido absorbidas por el Comité Ejecutivo de la Cerdaña.
El informante de la Comisión Jurídica señalaba como “instigador principal de la persecución” de los militantes anarcosindicalistas en Puigcerdá a “Vicente Climent [PSUC], y un llamado Juan Bayran Clasli, del PSUC”, que junto al “alcalde de Bellver, un agente de Vigilancia, llamado Samper, y otro agente cuyo nombre ignoro en este momento, ambos pertenecientes a Estat Catalá, tienen formado un Comité Ejecutivo que se ensañan con la persecución de militantes de nuestra Organización”.
Como prueba de la brutalidad de ese Comité Ejecutivo de la Cerdaña relataba el informante “la agresión de que fue víctima, hace unos días en la plaza pública, el compañero Eulalio Oña, el cual fue agredido y abofeteado por el agente Samper, conminándole a que en el plazo de veinticuatro horas se ausentase de la población”, bajo amenaza de que si no lo hacía así, “lo harían desaparecer”.
Ese Comité Ejecutivo que había impuesto el terror mediante la persecución de los cenetistas de Puigcerdá, se reunió para tomar “graves acuerdos”, entre los que se contaba el de expulsar de la Cerdaña a todos los militantes de la CNT y de la FAI, bajo amenaza de hacer desaparecer a quienes no cumpliesen tal orden.
Los familiares de los asesinados en La Serradora eran constantemente acosados, con el objetivo explícito de expulsarlos de la comarca.
Los cenetistas Leocadio Mediavilla, Antonio Gordillo y Agustín Sánchez, antiguos concejales en el Ayuntamiento de Puigcerdá, habían huido ante las amenazas de ser detenidos, y estaban siendo “buscados por el grupo del Agente Samper y vecinos y alcalde de Bellver”, que interrogaban a los militantes cenetistas con el fin de “averiguar donde se hallan y proceder a su detención” o asesinato.
Relataba el informante que el local de las JJLL había sido requisado por las fuerzas de orden público, “instalándose en el mismo las fuerzas de Carabineros”, y la biblioteca existente entregada a la UGT, “o al Delegado que la Generalidad envíe para su entrega”.
El local del Sindicato de la CNT había sido asaltado “por un grupo de individuos pertenecientes a Estat Catalá y PSUC”, para entregarlo al antiguo propietario. El informe terminaba con una referencia a la Seo d´Urgell, que vivía una persecución similar a la de Puigcerdá.
El resultado de la represión era el regreso a Puigcerdá de los fascistas y enemigos de la revolución del 19 de julio : Obiols, el juez perseguido el 19 de julio, era el mismo juez que admitía todas las denuncias contra los cenetistas, pero que se ponía enfermo para eludir toda responsabilidad por los asesinatos de cenetistas ; había regresado el alcalde de la Dictadura de Primo de Rivera ; la familia del cura “y otros muchos, a los cuales se les atiende en sus denuncias y reclamaciones en perjuicio de nuestros militantes”, con el único fin “de cargar toda la responsabilidad sobre nuestra Organización y sus componentes”.
Las fuerzas de Orden Público, las antiguas autoridades, los fascistas y la burguesía estaban reconquistando la Cerdaña, desencadenando una represión salvaje y brutal contra los militantes anarcosindicalistas, que iban desde el asesinato, la cárcel y el destierro hasta la metódica persecución de los familiares y de todos los militantes cenetistas, pasando por la incautación de locales y las amenazas de muerte o la efectiva eliminación física. Y como complemento inevitable y justificativo de esta represión estalinista, gubernamental y clasista se reafirmaba y crecía la leyenda negra de los anarquistas catalanes en general y de Antonio Martín en particular.
Los continuos registros, las incautaciones de dinero y utensilios en los hogares, la ruptura de la correspondencia, las palizas, incluso públicas en plena calle, las amenazas de muerte o desaparición, hechas a los militantes y a sus familiares, y un largo etcétera de desmanes y persecución, efectuado por policías y vecinos de Bellver, consiguieron que en septiembre de 1937 la CNT hubiera ya desaparecido como organización en toda la comarca de la Cerdaña.
En 1938 Joan Solé fue nombrado comisario municipal de varios pueblos de la comarca, que regía sin oposición alguna, mientras la CNT iniciaba una tímida reorganización llena de obstáculos.
ARCHIVOS CONTRA LEYENDAS
Leyenda es la narración de sucesos fabulosos que se transmite por tradición como si fuesen históricos y reales. Los archivos son lugares donde se custodian documentos, que son los mimbres con los cuales el historiador construye un relato fidedigno y riguroso del pasado.
El 1 de octubre de 1937, Martín Salvat Pujadas, encargado del cementerio de Puigcerdá, en respuesta escrita al oficio recibido, declaró que las inhumaciones realizadas por muertes violentas, desde el 19 de julio de 1936, sumaban un total de treinta y una víctimas. La consulta de los entierros registrados en el cementerio de esa ciudad nos permite su clasificación por fechas : los veintiún fusilados en la matanza del 9 de septiembre de 1936, dos mujeres apaleadas en las tapias del cementerio el 30 de octubre de 1936, los dos anarquistas caídos en el enfrentamiento armado de Bellver, el 27 de abril de 1937 (Antonio Martín y Julio Fortuny), y los seis anarquistas asesinados en La Serradora. En resumen, 23 fascistas y 8 anarquistas.
El mito de los fusilamientos masivos en la collada de Tosas, ordenada por el Comité de Puigcerdá, se desmorona ante la precisión y contundencia de un documento de la Causa General que concluye, una vez desenterrados y analizados los veintiséis cadáveres hallados, que se trataba en su mayoría de personas muy jóvenes, identificados algunos como derechistas y desertores, que habían sido abatidos por disparos de los carabineros al intentar cruzar la frontera. Ni comité, ni fusilamientos ; carabineros y desertores, y en todo caso muertes ajenas a la problemática interna de la Cerdaña que no deben contabilizarse como fruto de los conflictos sociales y políticos de esa comarca.
Pero la realidad histórica no importa, los documentos que destruyen una fabulosa difamación, tampoco. Nos encontramos ante un fenómeno sociológico y antropológico muy complejo, que escapa a la ciencia histórica, porque los hechos históricos se transforman en leyenda y creencias míticas, que además cimientan una especie de orgullosa Fuenteovejuna de todo el pueblo de Bellver, unido en su esencia catalana, republicana y civilizada frente al salvajismo de los charnegos anarquistas y revolucionarios de Puigcerdá. No importa que todo sea falso desde un punto de vista histórico : se trata de un mito fundacional y heroico del pueblo de Bellver tan indiscutible como irracional y religioso.
La leyenda permite variaciones contradictorias : todos y cada uno de los que dispararon desde la muralla hirieron mortalmente a Martín ; pero eso convive con el pacto común de silencio de no revelar el nombre de quien realmente lo mató : un guardia civil retirado, y con el más heroico de que fueron todos a una.
La leyenda tiene también sus dogmas, indiscutibles e inapelables :
1.- No cabe duda de que el cojo era un ladrón y un asesino, como todos los anarquistas.
2.- El objetivo del cojo, al requisar el ganado de Bellver, era el de enriquecerse personalmente.
3.- Atravesó el puente a lo loco, por cojones ; sin ánimo de parlamentar, aún a sabiendas de que el puente estaba batido por numerosa gente armada, atrincherada en las altas murallas, y que el asalto a Bellver desde el puente era un acto suicida. ¡Un cojo corriendo por el puente !
4.- No hubo ninguna emboscada.
5.- Nadie (ni siquiera involuntariamente y bajo amenaza armada) cobijó a Martín en su casa, agonizante por la herida de bala recibida.
Cuando la historia se convierte en mito, y aún más, en mito identitario del pueblo de Bellver, el historiador desaparece tragado por la épica de lo sagrado : los anarquistas siempre han sido, son y serán culpables de haber luchado por la revolución. Y eso, sólo eso, y el odio infinito que genera en la burguesía, es suficiente para alimentar y justificar ayer, hoy y siempre la leyenda negra del anarquismo catalán. A la historia sagrada (de esos historiadores al servicio del amo que les paga) no le importa su falsedad ; sólo le interesa la irracional condena de los revolucionarios y de su “evidente” naturaleza diabólica, criminal y maligna. Su delito fue el de imaginar un mundo mejor, justo y sin explotación. Su crimen : fue combatir por la libertad, por el poder de decidir sobre su propia vida, por la gestión común de las prioridades socioeconómicas, por la destrucción del Estado, por el comunismo libertario. Nada más y nada menos.