Commentaire de Miguel Amorós sur l’actualité électorale récente en Espagne [1]
Podemos : « Le temps politique a connu une accélération. Ceux d’en bas se sont sentis réinvestis et la notion de caste est devenue un sujet courant de conversation. Nous avons inséré dans le discours des mots que tout le monde comprend, nous avons converti la douleur et la souffrance en un problème politique. » [2]
Les giménologues, premier juin 2015.
« La peste citoyenne
La classe moyenne et ses angoisses
Que l’économie et la politique marchent main dans la main est une chose connue. La conséquence logique d’une telle relation est que la politique réelle se doit d’être fondamentalement économique : à l’économie de marché correspond une politique de marché. Les forces qui dirigent le marché mondial, dirigent de facto la politique des États, à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur, ainsi qu’au niveau local. La réalité est la suivante : la croissance économique est la condition nécessaire et suffisante pour la stabilité sociale et politique du capitalisme. En son sein, le système de partis évolue selon le rythme du développement. Lorsque la croissance est importante, le système tend vers le bipartisme. Lorsqu’elle ralentit ou entre en récession, comme si elle obéissait à un mécanisme homéostatique, le panorama politique se diversifie.
Le capital, qui est une relation sociale initialement basée sur l’exploitation du travail, s’est approprié toutes les activités humaines, envahissant toutes les sphères : culture, science, art, vie quotidienne, loisirs, politique... Que le moindre recoin de la société soit envahi par la marchandise signifie que tous les aspects de la vie fonctionnent selon des directives marchandes ou, ce qui revient au même, que toute activité humaine est gouvernée par la logique capitaliste. Dans une société-marché ayant de telles caractéristiques, il n’y a pas de classes au sens classique du terme (mondes séparés qui s’affrontent), mais plutôt une masse plastique où la classe capitaliste - la bourgeoisie - s’est transformée en strate exécutive sans titre de propriété, tandis que son idéologie s’est universalisée. Ses valeurs dirigent toutes les conduites sans exception. Cette forme particulière de déclassement général ne se traduit pas par une inégalité sociale diminuée, bien au contraire, elle est beaucoup plus accentuée, mais même avec l’aiguillon de la pénurie, l’inégalité est perçue de façon moins intense et donc n’entraîne pas de conflits. Le mode de vie bourgeois a inondé la société, annulant la volonté de changement radical. Les salariés ne veulent pas d’un autre style de vie, ni d’une autre société, tout au plus souhaitent-ils une meilleure position sociale avec un pouvoir d’achat accru. L’antagonisme violent se déplace dans les marges : la contradiction majeure est moins dans l’exploitation que dans l’exclusion. Les protagonistes du drame historique et social ne sont plus les exploités du marché, mais les expulsés et ceux qui refusent d’y entrer : ceux qui se situent hors du "système" en tant qu’ennemis.
La société de masse est une société uniformisée, mais fortement hiérarchisée. L’élite dirigeante n’est pas formée par une classe de propriétaires ou de rentiers, mais par une véritable classe de gestionnaires. Le pouvoir dérive donc de la fonction, non de la propriété. Le pouvoir de décision se concentre tout en haut de la hiérarchie sociale ; la dépossession, sous forme d’emploi précaire et d’exclusion, se concentre dans la partie la plus basse. Les couches intermédiaires, enfermées dans leur vie privée, ne sentent ni ne souffrent, simplement elles consentent. Cependant, quand la crise économique les atteint, elle les tire vers le bas. Alors, ces strates appelées classes moyennes par les sociologues sortent de cet immobilisme qui est la base du système des partis, contaminent les mouvements sociaux et prennent des initiatives politiques qui se concrétisent par l’apparition de nouveaux partis. L’objectif n’est évidemment pas l’émancipation du prolétariat, ni une société libre de producteurs libres, ni le socialisme. L’objectif est bien plus prosaïque puisqu’il s’agit uniquement de venir au secours de la classe moyenne, c’est-à-dire d’enrayer sa déprolétarisation par la voie politico-administrative.
L’expansion du capitalisme, sur le plan géographique et social, entraîna l’expansion de secteurs salariés liés à la rationalisation du processus de production, à la tertiarisation de l’économie, à la professionnalisation de la vie publique et à la bureaucratisation étatique : fonctionnaires, conseillers, experts, techniciens, employés, journalistes, professions libérales, etc., dont le statut reposait sur la préparation académique, et non sur la propriété de leurs moyens de travail. La social-démocratie allemande classique avait vu dans ces nouvelles "classes moyennes" un facteur de stabilité qui rendait possible une politique réformiste, modérée et graduelle, et il est clair, un siècle plus tard, que leur expansion a permis que le processus de globalisation atteigne sa limite sans trop de difficultés. La croissance exponentielle du nombre d’étudiants a été le signe le plus éloquent de leur prospérité, alors que le chômage des diplômés a été l’indicateur le plus clair de la dévalorisation des études et, en conséquence, le thermomètre de leur soudaine prolétarisation. Leur réponse à cette dégradation n’adopte évidemment pas des traits anticapitalistes, totalement étrangers à sa nature. Elle se concrétise dans une modification modérée de la scène politique qui ravive le réformisme d’antan, centriste ou social-démocrate, appelé pompeusement "assaut contre les institutions".
La classe moyenne, qui se trouve au centre de la fausse conscience moderne, ne peut donc pas se contempler en tant que telle, selon elle, sa condition est générale. Elle voit tout selon sa propre optique particulière exacerbée par la crise, ses intérêts sont ceux de toute la société. Sociologiquement, tout le monde appartient à la classe moyenne, ses idéologues s’expriment dans le langage en papier mâché de Negri, Gramsci, Foucault, Deleuze, Derrida, Baudrillard, Bourdieu, Zizek, Mouffe, etc. Selon eux, le "grand événement", la faillite du régime capitaliste, est une chose qui n’arrivera jamais. La révolution est un mythe auquel il vaut mieux renoncer en faveur d’une contestation réaliste qui fomente la participation citoyenne à travers les réseaux sociaux, c’est-à-dire la rabâchée "dialectique de contre-pouvoir", mais qui ne doit pas stimuler le changement révolutionnaire. Politiquement, tout le monde est citoyen, donc membre d’une communauté électrovirtuelle d’électeurs et en conséquence, doit se passionner pour les élections et les nouvelles technologies. Crétinisme idéologique postmoderne d’un côté, crétinisme parlementaire technologiquement assisté de l’autre, mais crétinisme qui croit au pouvoir. Sa conception du monde l’empêche de contempler les conflits sociaux comme lutte des classes, pour elle, ceux-là sont un simple problème de redistribution, une question d’ajustement budgétaire dont la solution est du ressort de l’État, et qui, par conséquent, dépend de l’hégémonie politique des formations qui la représentent. La classe moyenne postmoderne reconstruit son identité politique en opposition, non pas au capitalisme, mais à la "caste", en d’autres termes, à l’oligarchie politique corrompue qui a fait de l’État son patrimoine. Les autres protagonistes de la corruption, banquiers, entrepreneurs et syndicalistes, restent au second plan. La classe moyenne est une classe couarde, tenaillée par la peur, ce qui fait qu’elle cherche à se faire des amis plutôt que des ennemis, mais avant tout elle cherche à ne pas déséquilibrer les marchés, l’ambition et la vanité apparaîtront avec la sécurité et le calme que dispensent le pacte politique et la croissance. En se constituant sujet politique, son ardeur de classe se consume en entier devant la perspective du parlementarisme, la bataille électorale est la seule qu’elle pense livrer, et celle-ci se déroule dans les medias et dans les urnes. Dans ses schémas il n’y a pas de place pour la confrontation directe avec ce qui est à l’origine de sa peur et de ses angoisses - le pouvoir de la "caste" - puisqu’elle ne souhaite que rétablir son statut d’avant 2008, réforme qui passe par une réappropriation des institutions, non par leur liquidation.
Le concept de "citoyenneté" offre un succédané identitaire là où la communauté ouvrière a été détruite par le capital. La citoyenneté est la qualité du citoyen, un être doté du droit de vote dont les adversaires semblent n’être ni le capital, ni l’État, mais plutôt les vieux partis majoritaires et la corruption, les grands obstacles au sauvetage administratif de la classe moyenne reléguée. L’idéologie citoyenniste, à l’avant-garde du recul social, n’est pas une variante rénovée de l’ouvriérisme stalinoïde, il s’agit plutôt de la version postmoderne du radicalisme bourgeois. Elle ne se reconnaît même pas dans l’anticapitalisme, qu’elle considère périmé, mais plutôt dans le libéralisme social plus ou moins populiste. C’est ainsi parce qu’elle a pris comme point de départ la vie dégradée des classes moyennes et ses aspirations réelles, même si elle s’appuie sur les masses en voie d’exclusion, trop désorientées pour agir de façon autonome et sur les mouvements sociaux, trop faibles pour croire possible, et encore moins désirable, une réorganisation de la société civile en marge de l’économie et de l’État. Sur ce point, le citoyennisme est le fils putatif du néostalinisme raté et de la social-démocratie bloquée. Le programme citoyenniste est un programme de parvenus, très malléable et politiquement correct jusqu’à la nausée, un programme idéal pour arrivistes frustrés et aventuriers politiques au chômage. Les principes n’ont pas d’importance, sa stratégie est consciemment opportuniste, avec des objectifs uniquement à court terme, parfaitement compatibles avec des pactes qui le jour précédant les élections, auraient été considérés comme contre nature.
Dans aucun programme citoyenniste ne figurent la socialisation des moyens pour la vie, l’autogestion généralisée, la suppression de la spécialisation politique, l’administration par les conseils, la propriété communale ou la distribution équilibrée de la population dans le territoire. Les partis et alliances citoyennistes ne proposent qu’une simple répartition des revenus afin d’élargir la base bourgeoise, ils luttent pour des budgets institutionnels qui freineraient les privatisations, élimineraient les coupes budgétaires et atténueraient la précarité du travail, que ce soit par la création de petites entreprises ou par la cooptation d’une majorité sous-employée de diplômés dans les tâches administratives, intentions qui ne sont pas rupturistes. Ils n’arrivent pas dans l’arène politique en tant que subversifs, mais comme animateurs, ils ne sont pas sérieux lorsqu’ils disent vouloir changer la Constitution de 1978. Ils n’ont pas encore mis un pied dans l’arène que déjà ils font étalage de réalisme et de modération, brandissant le drapeau monarchique et tendant la main à la "caste" vilipendée. Ils sont conscients qu’une fois consolidés comme organisations et en possession d’un capital médiatique suffisant, l’étape suivante sera une gestion de ce qui existe plus claire et efficace qu’auparavant. Aucune mesure déstabilisatrice ne leur convient, car les leaders citoyennistes doivent prouver que l’économie fonctionnera plus harmonieusement si ce sont eux qui sont aux commandes du vaisseau étatique. Forcément, ils doivent se présenter en espoirs de sauvetage pour l’économie, c’est pourquoi leur projet identifie progrès avec productivité et postes de travail. Il s’agit donc d’un projet productiviste qui cherche la croissance industrielle et technologique, créant des emplois, redistribuant les revenus et augmentant les exportations, soit en recourant à des réformes du système fiscal, soit en exploitant de façon intensive les ressources territoriales, tourisme inclus. Le moins important est que les emplois soient utiles socialement et répondent à des besoins authentiques. Le réalisme économique commande et complète le réalisme politique : rien ne doit rester en dehors du champ politique et rien en dehors du marché, tout pour le marché.
Le relatif essor du citoyennisme, avec ses variantes nationalistes, démontre la profondeur insuffisante de la crise économique. Loin d’éclairer les divisions sociales et les causes de l’oppression donnant lieu à une protestation consciente et organisée qui se proposerait la destruction du régime capitaliste, elle a permis à d’autres de les dissimuler grâce à une fausse opposition qui, loin de questionner le système de domination, le renforce. Une crise qui est donc restée à mi-chemin, sans déchaîner des forces radicales. Cependant, les crises vont continuer ; à long terme, leurs conséquences ne pourront pas se dissimuler derrière la question politique, et elles finiront par émerger comme question sociale. Tout dépendra du retour de la lutte sociale véritable, éloignée des médias et de la politique, parcourue d’initiatives nées dans les secteurs les plus déracinés parmi les masses, parmi ceux qui ont peu à perdre s’ils décident de couper les liens qui les rattachent au destin de la classe moyenne. Mais ces secteurs -potentiellement antisystème- paraissent aujourd’hui épuisés, sans force pour s’organiser de façon autonome, incapables de s’ériger en sujet indépendant, et c’est ainsi que le citoyennisme a le champ libre, frappant doucement à la porte des parlements et des mairies afin qu’on le laisse entrer. C’est la tragi-comédie de notre temps.
[Traduit et publié par le collectif de la revue Argelaga ; traduction revue par les Giménologues, avec accord de l’auteur le premier juin 2015].
Version espagnole
LA PESTE CIUDADANA
La clase media y sus pánicos
Que la economía y la política vayan a la par es algo elemental. La consecuencia lógica de tal relación es que la política real ha de ser fundamentalmente económica : a la economía de mercado corresponde una política de mercado. Las fuerzas que dirigen el mercado mundial, dirigen de facto la política de los Estados, la exterior, la interior y la local. La realidad es ésta : el crecimiento económico es la condición necesaria y suficiente de la estabilidad social y política del capitalismo. En su seno, el sistema de partidos evoluciona de acuerdo con el ritmo desarrollista. Cuando el crecimiento es grande, el sistema tiende al bipartidismo. Cuando se detiene o entra en recesión, como si obedeciera a un mecanismo homeostático, el panorama político se diversifica.
El capital, que es una relación social inicialmente basada en la explotación del trabajo, se ha apropiado de todas las actividades humanas, invadiendo todas las esferas : cultura, ciencia, arte, vida cotidiana, ocio, política... Que hasta el último rincón de la sociedad se haya mercantilizado significa que todos los aspectos de la vida funcionan según pautas mercantiles, o lo que es lo mismo, que cualquier actividad humana es gobernada por la lógica capitalista. En una sociedad-mercado de éstas características no existen clases en el sentido clásico del término (mundos aparte enfrentados), sino una masa plástica donde la clase del capital -la burguesía- se ha transformado en un estrato ejecutivo sin títulos de propiedad, mientras que su ideología se ha universalizado y sus valores han pasado a regular todas las conductas sin distinción. Esta forma particular de desclasamiento general no se traduce en una desigualdad social menguada ; bien al contrario, es mucho más acentuada, pero incluso con el aguijoneo de la penuria ésta se percibe con menor intensidad y, por consiguiente, no induce al conflicto. El modo de vida burgués ha inundado la sociedad, anulando la voluntad de cambio radical. Los asalariados no quieren otro estilo de vida ni otra sociedad esencialmente diferente ; a lo sumo, una mejor posición dentro de ella mediante un mayor poder adquisitivo. El antagonismo violento se traslada a los márgenes : la contradicción mayor radica más que en la explotación, en la exclusión. Los protagonistas principales del drama histórico y social ya no son los explotados en el mercado, sino los expulsados y quienes se resisten a entrar : los que se sitúan fuera del “sistema” como enemigos.
La sociedad de masas es una sociedad uniformizada, pero tremendamente jerarquizada. En la cúspide dirigente no la conforma una clase de propietarios o de rentistas, sino una verdadera clase de gestores. El poder deriva pues de la función, no del haber. La decisión se concentra en la parte alta de la jerarquía social ; la desposesión, principalmente en forma de empleo basura, precariedad laboral y exclusión, se ceba en la parte más baja. Las capas intermedias, encerradas en su vida privada, ni sienten ni padecen ; simplemente consienten. Sin embargo, cuando la crisis económica las alcanza, las tira hacia abajo. Entonces, dichos estratos, denominados por los sociólogos clases medias, salen de ese inmovilismo que era basamento del sistema de partidos, contaminan los movimientos sociales y toman iniciativas políticas que se concretan en nuevas formaciones. Su finalidad no es evidentemente la emancipación del proletariado, o una sociedad libre de productores libres, o el socialismo. El objetivo es mucho más prosaico, puesto que no apunta más que al rescate de la clase media, o sea, a su desproletarización por la vía político-administrativa.
La expansión del capitalismo, geográfica y socialmente, comportó la expansión de sectores asalariados ligados a la racionalización del proceso productivo, a la terciarización de la economía, a la profesionalización de la vida pública y a la burocratización estatal : funcionarios, asesores, expertos, técnicos, empleados, periodistas, profesiones liberales, etc. Su estatus se desprendía de su preparación académica, no de la propiedad de sus medios de trabajo. La socialdemocracia alemana clásica vio en esas nuevas “clases medias” un factor de estabilidad que hacía posible una política reformista, moderada y gradual, y desde luego, un siglo más tarde, su ampliación permitió que el proceso globalizador llegara al límite sin demasiadas dificultades. El crecimiento exponencial del número de estudiantes fue el signo más elocuente de su prosperidad ; en cambio, el desempleo de los diplomados ha sido el indicador más claro de la desvalorización de los estudios y, por lo tanto, el termómetro de su abrupta proletarización. Su respuesta a la misma, por supuesto, no adopta rasgos anticapitalistas, ajenos completamente a su naturaleza, sino que se materializa en una modificación moderada de la escena política que reaviva el reformismo de antaño, centrista o socialdemócrata, pomposamente denominada “asalto a las instituciones”.
La clase media se halla en el centro de la falsa conciencia moderna por lo que no se contempla a sí misma como tal ; para ella su condición es general. Todo lo ve bajo su óptica particular exacerbada por la crisis, sus intereses son los de toda la sociedad. Sociológicamente, todo el mundo es clase media ; sus ideólogos se expresan en el lenguaje de cartón piedra de Negri, Gramsci, Foucault, Deleuze, Derrida, Baudrillard, Bourdieu, Zizek, Mouffe, etc. Para ellos el “gran acontecimiento”, la quiebra del régimen capitalista, es algo que nunca sucederá. La revolución es un mito al que conviene renunciar en aras de una contestación realista a la crisis que fomente la participación ciudadana a través de las redes sociales, o sea, la cacareada “dialéctica de contrapoder”, no que impulse el cambio revolucionario. Políticamente, todo el mundo es ciudadano, o sea, miembro de una comunidad electrovirtual de votantes, y en consecuencia, ha de apasionarse con las elecciones y las nuevas tecnologías. Cretinismo ideológico posmoderno por un lado, cretinismo parlamentario tecnológicamente asistido por el otro, pero cretinismo que cree en el poder. Su concepción del mundo le impide contemplar los conflictos sociales como lucha de clases ; para ella aquellos son simplemente un problema redistributivo, un asunto de ajuste presupuestario cuya solución queda en manos del Estado, y que por consiguiente, depende de la hegemonía política de las formaciones que mejor la representan. La clase media posmoderna reconstruye su identidad política en oposición, no al capitalismo, sino a “la casta”, es decir, a la oligarquía política corrupta que ha patrimonializado el Estado. Los otros protagonistas de la corrupción, banqueros, constructores y sindicalistas, permanecen en segundo plano. La clase media es una clase temerosa, espoleada por el miedo, por lo que busca hacer amigos más que enemigos, pero ante todo busca no desequilibrar los mercados ; la ambición y la vanidad aparecerán con la seguridad y la calma que proporciona el pacto político y el crecimiento. Al constituirse como sujeto político, su ardor de clase se consume todo ante la perspectiva del parlamentarismo ; la contienda electoral es la única batalla que piensa librar, y ésta discurre en los medios y las urnas. En sus esquemas no cabe la confrontación directa con la fuente de sus temores y sus ansias -el poder de “la casta”- ya que sólo pretende recuperar su estatus de antes de 2008, reforma que pasa por la despatrimonialización de las instituciones, no por su liquidación.
El concepto de “ciudadanía” ofrece un sucedáneo identitario allí donde la comunidad obrera ha sido destruida por el capital. La ciudadanía es la cualidad del ciudadano, un ente con derecho a papeleta cuyos adversarios parece que no sean ni el capital ni el Estado, sino los viejos partidos mayoritarios y la corrupción, los grandes obstáculos del rescate administrativo de la clase media desahuciada. La ideología ciudadanista, a la vanguardia del retroceso social, no es una variante pasada por agua del obrerismo estalinoide ; es más bien la versión posmoderna del radicalismo burgués. No se reconoce ni siquiera de boquilla en el anticapitalismo, al que considera caducado, sino en el liberalismo social de corte más o menos populista. Esto es así porque ha tomado como punto de partida la existencia degradada de las clases medias y sus aspiraciones reales, por más que se apoye en las masas en riesgo de exclusión, demasiado desorientadas para actuar con autonomía, y asimismo en los movimientos sociales, demasiado débiles para creer y mucho menos desear una reorganización de la sociedad civil al margen de la economía y del Estado. En ese punto, el ciudadanismo es hijo putativo del neoestalinismo fracasado y de la socialdemocracia obstruida. El programa ciudadanista es un programa de advenedizos, extremadamente maleable y tan políticamente correcto que da arcadas, ideal para arribistas frustrados y aventureros políticos en paro. Los principios no importan ; su estrategia es conscientemente oportunista, con objetivos únicamente a corto plazo, perfectamente compatibles con pactos que el día antes de las elecciones hubieran sido considerados contra natura.
En ningún programa ciudadanista figurarán la socialización de los medios de vida, la autogestión generalizada, la supresión de la especialización política, la administración concejil, la propiedad comunal o la distribución equilibrada de la población en el territorio. Los partidos y alianzas ciudadanistas se proponen simplemente un reparto de ingresos que amplíe la base mesocrática, es decir, pugnan por unos presupuestos institucionales que detengan las privatizaciones, eliminen los recortes y reduzcan la precariedad laboral, sea por la creación de pequeñas empresas, o por la cooptación de una mayoría subempleada de titulados en las tareas administrativas, intenciones que no son nada rupturistas. No llegan a la arena política como subversivos sino como animadores ; lo de cambiar la constitución de 1978 no va en serio. Todavía no han puesto el pie en el ruedo y ya exhiben realismo y moderación a raudales, enarbolando la bandera monárquica y tendiendo puentes a la denostada “casta”. Son conscientes de que una vez consolidados como organizaciones y en posesión de un capital mediático suficiente, el paso siguiente será una gestión de lo existente más clara y eficaz que la anterior. Ninguna medida desestabilizadora les conviene, pues los líderes ciudadanistas han de demostrar que la economía se desenvolverá menos críticamente si son ellos quienes están al timón de la nave estatal. Forzosamente han de presentarse como la esperanza de la salvación por la economía, por eso su proyecto identifica progreso con productividad y puestos de trabajo, o sea, es desarrollista. Persigue entonces un crecimiento industrial y tecnológico que cree empleos, redistribuya rentas y aumente las exportaciones, bien recurriendo a reformas del sistema impositivo, bien a la explotación intensiva de los recursos territoriales, incluido el turismo. Lo de menos es que los empleos sean socialmente inútiles y respondan a necesidades auténticas. El realismo económico manda y completa al realismo político : nada fuera de la política y nada fuera del mercado, todo para el mercado.
El relativo auge del ciudadanismo, con sus modalidades nacionalistas, viene a demostrar el deficiente calado de la crisis económica, que lejos de sacar a la luz las divisiones sociales y sacar a la luz las causas de la opresión, dando lugar a una protesta consciente y organizada que se plantee la destrucción del régimen capitalista, ha permitido a otros disimularlas y oscurecerlas, gracias a una falsa oposición que lejos de cuestionar el sistema de la dominación lo apuntala y refuerza. Una crisis que se ha quedado a mitad de camino, sin desencadenar fuerzas radicales. No obstante, las crisis van a continuar y a la larga sus consecuencias no podrán camuflarse como cuestión política y terminarán emergiendo como cuestión social. Todo dependerá del retorno de la lucha social verdadera, ajena a los medios y a la política, recorrida por iniciativas nacidas en los sectores más desarraigados de las masas, aquellos que tienen poco que perder si se deciden a cortar los lazos que les atan al destino de la clase media y bajan de su carro. Pero dichos sectores potencialmente antisistema hoy parecen agotados, sin fuerzas para organizarse autónomamente, incapaces de erigirse en sujeto independiente, y por eso el ciudadanismo campa a sus anchas, llamando suavemente a la puerta de los parlamentos y consistorios municipales para que le dejen entrar. Esa es la tragicomedia de nuestro tiempo.
Argelaga, 28 mai 2015