Giuditta et Francisco Ferrer m’avaient présenté à María Ascaso, sœur de Francisco Ascaso, mort le 19 juillet pendant l’attaque de la caserne d’Atarazanas.
Giuditta et Francisco Ferrer m’avaient présenté à María Ascaso, sœur de Francisco Ascaso, mort le 19 juillet pendant l’attaque de la caserne d’Atarazanas. Durruti, Ascaso, Jover, trois noms, trois hommes célèbres en Espagne et dans toute l’Europe. Tous les journaux avaient parlé de leurs faits et gestes à la suite du meurtre du Cardinal Soldevila et de l’attentat contre le roi Alphonse XIII.
Francisco est mort le premier, Buenaventura quelques mois après, seul Jover en réchappera et viendra se réfugier en France.
On me conta chez María cette anecdote sur Ascaso qui témoignait de sa détermination et de son courage : dans un café d’une petite ville de Catalogne, des phalangistes, autour d’une table, déblatéraient sur la F.A.I. et la C.N.T. et se vantaient de donner une bonne raclée à tout cénétiste qui se présenterait. L’endroit était fréquenté presque exclusivement par des phalangistes. Je dis “ presque ” car ce soir-là s’y trouvait quelqu’un qui alla répéter tout de suite les propos qu’il venait d’entendre à Francisco, qui ne se trouvait pas loin. Ascaso entra dans le café, s’approcha de la table où les quatre amis continuaient leurs rodomontades, déclina son nom et ses qualités puis tira, sans sortir son arme de la poche, et disparut avant que les présents ne se fussent ressaisis.
Dans tous les villages, bourgs, hameaux de la péninsule ibérique, on parlait d’eux avec admiration et respect. Je me souviens qu’une fois, en 1935, dans une gare où un contrôleur m’avait arrêté car j’avais omis d’acheter mon billet, des paysans m’offrirent l’hospitalité pour la nuit. C’était en Castille, entre Madrid et Tolède, le hameau se trouvait à une dizaine de kilomètres de la gare où ces paysans venaient se ravitailler en eau potable à un wagon-citerne, avec un bourricot chargé de deux barils. L’animal connaissait si bien le chemin que l’on n’avait pas besoin de le surveiller, on le suivait, et par la nuit la plus noire il nous aurait conduits à la maison. Chemin faisant, on parla de la C.N.T. et le nom de Durruti vint à mes lèvres : ce fut comme si j’avais nommé un héros de légende, un chevalier de la table ronde qui allait par les routes du monde, pourchassant les puissants et se penchant sur les misères du petit peuple pour le soulager. À leurs yeux, moi qui partageais ses idées, j’étais devenu une espèce d’apôtre.
Braves gens, pauvres paysans de Castille. Dans cette famille de plus de dix personnes, une seule savait à peine lire et écrire : une jeune femme estropiée par un coup de pied de mulet lorsqu’elle était encore enfant, et qui vivait dans l’établissement où elle était soignée.