La solidarité avec l’Espagne, pendant la guerre civile, a été très active en Suède. Des social-démocrates aux communistes, dans les milieux anarchistes et syndicalistes révolutionnaires (la SAC, Sveriges Arbetares Centralorganisation), on ne compte pas le nombre de « klubbar » (groupes locaux) qui ont organisé des séances de propagande et des collectes.
On envoyait du matériel, de l’aide humanitaire et médicale, on finançait des maisons d’enfants en Espagne et en France, on passait des films de la CNT, on invitait des orateurs, comme Augustin Souchy ou Horacio Prieto.
Le journaliste Axel Österberg se trouvait par hasard à Barcelone le 19 juillet 1936 ; il envoya immédiatement des correspondances au journal de la SAC, Arbetaren.
Resté sur place pendant plusieurs mois, il était responsable des émissions en suédois de la radio de la CNT-FAI. La radio émettait dans plusieurs langues, et l’on pouvait l’écouter sur les ondes courtes dans toute l’Europe. Österberg publia en octobre une brochure illustrée de photos, Bakom Barcelonas Barrikader (« Derrière les barricades de Barcelone »), qui suscita l’enthousiasme et encouragea sans doute quelques jeunes hommes à partir comme volontaires.
On dénombre environ 520 volontaires suédois dans les troupes républicaines espagnoles, dont la plupart rejoignirent les Brigades internationales. Mais d’autres s’engagèrent dans les milices, comme Olov (Olle) Jansson, président de la Jeunesse syndicaliste de Stockholm (SAC) qui a passé plusieurs mois au front, probablement depuis le mois d’octobre ou novembre 1936. Il figure sur les listes du Groupe DAS (Deutsche Anarcho-Syndicalisten) au sein du Groupe international de la colonne Durruti en janvier 1937, aux côtés de Nils Lätt.
Trois autres anarcho-syndicalistes au moins firent partie du Groupe international de la colonne Durruti : Harry Norrblom,Yngve Andersson et Eilert Hagberg. Ils ont envoyé des lettres aux copains, dont plusieurs ont été publiées.
Ils venaient tous trois d’une banlieue ouvrière de Stockholm et faisaient partie des Jeunesses socialistes, une scission du Parti socialiste sur une ligne syndicaliste révolutionnaire.
Partis le 11 février 1937 de Suède, ils débarquent à Paris pour obtenir des laissez-passer pour l’Espagne, où ils espèrent rejoindre une colonne du POUM. Mais, selon le témoignage de Hagberg, ils y rencontrent un communiste qui leur affirme que ces milices ont été dissoutes et qu’ils doivent rejoindre les Brigades internationales. Hagberg lui confie imprudemment sa lettre de recommandation de la SAC, qu’il ne reverra plus.
Ils prennent alors un train spécial pour Perpignan, avec un millier de volontaires communistes. La frontière passée, ils ont la chance de rencontrer un militant de la CNT à Port-Bou, qui leur donne les indications nécessaires pour parvenir à Barcelone. C’est là qu’ils rencontrent Olle Jansson, qui les pilote.
Equipés des « uniformes » de miliciens, les espadrilles, le capet et la salopette bleue (à l’exception de Norrblom, qui est si grand qu’on ne trouve pas de vêtements à sa taille, et qui doit donc garder les siens), ils partent retrouver le Groupe international à Pina del Ebro.
Avaient-ils une formation militaire antérieure ? Ils semblent vite se débrouiller avec les armes disponibles, des fusils dont certains datent de 1891, des pistolets qui circulent on ne sait trop comment.
Le plus grave combat auquel ils participent tous, c’est la terrible bataille de Santa Quitería dont parlent Nils Lätt ou Antoine Gimenez.
Harry Norrblom était avec Nils Lätt, Rudolf Michaelis et trois miliciens espagnols ; il a été blessé à une jambe. Eilert Hagberg, alors que tombaient les obus, a passé son bras autour du cou d’Yngve Andersson, lui sauvant ainsi probablement la vie : Yngve a été blessé au cou par un éclat d’obus, Eilert au bras, évidemment. Après l’ambulance à Sariñena, ils se retrouvent au dispensaire de Lérida.
Reparti au front, Yngve raconte la bataille suivante, presque aussi rude…
À la fin mai, les voilà en permission pour deux semaines à Barcelone, où ils parviennent à assister à une course de taureaux. Hagberg rentre peut-être en Suède à ce moment-là. Ils ne sont plus que trois, en juin, au Batallón de Choque stationné à Peñalba, sur la route de Fraga à Saragosse. On leur a distribué de nouveaux uniformes (« nous avons l’air de vrais membres de la légion étrangère »), mais on a aussi failli leur confisquer leurs pistolets. Alors qu’ils se promènent dans la rue, quatre Guardias de Asalto les arrêtent, leur demandent de les suivre à la caserne. Avez-vous un permis de port d’armes ? Non, nous sommes en route pour le front. Ce n’est pas une preuve, leur rétorque-t-on. Ils n’ont d’autre solution que de retourner au bataillon et de déposer les armes chez le capitaine.
Ils apprendront vite que ce sont là les nouvelles directives des communistes, qui font tout pour désarmer les miliciens anarchistes.
À Peñalba, la nourriture est apportée par un camion venant de Bujaraloz. Elle est bonne et abondante : patates, légumes, viande, soupe, pain, œufs durs… contrairement à l’eau qui est totalement impropre à la consommation ; celle qui est apportée en bouteilles a voyagé longtemps, et les problèmes intestinaux affaiblissent les hommes. Le matin, ils touchent un demi-litre de café et une livre de pain qu’ils y font tremper, on mange ça comme de la soupe – « une coutume typique parmi les miliciens espagnols, et ce n’est pas si mauvais, excusez-moi ».
Mais la nouvelle situation, avec la militarisation, n’est pas vivable pour nos amis.
Ivan Faludi, un journaliste d’origine hongroise, est un des correspondants en Espagne de la presse anarcho-syndicaliste suédoise. Il a de bons rapports avec le ministère de la guerre à Valence. Lorsque deux permissionnaires, les camarades Stenborg et Ahlstrand qui, bien que communistes ont été dans la colonne Durruti sur le front de Madrid, ont prolongé leur congé, ils ont obtenu une lettre de recommandation d’Ivan Faludi. Quand ils retournent au cantonnement avec un jour de retard, ils sont retenus par la police : non pas pour leur retard, mais parce que dans l’intervalle Faludi a été qualifié de trotskiste par les staliniens, et que donc tous ceux qui sont en contact avec lui sont victimes de la contagion trotskiste. Cinq semaines de prison, et quand ils comprennent ce qui leur arrive, ils parviennent à s’évader et à aller trouver le consul de Suède à Valence, qui les fait rapatrier séance tenante.
Ils vont être considérés comme des déserteurs. Tout comme Yngve Andersson, qui est de retour en Suède en été 1937. Tout comme Harry Norrblom qui rentre à la mi-août 1937, attaqué d’abord en Espagne puis en Suède par les communistes. Il témoigne dans Avantgardet : « Comment et pourquoi j’ai quitté l’Espagne ».
Les milices du front d’Aragon ont été peu à peu désarmées, tandis que toutes les armes allaient à l’armée régulière et aux Brigades internationales. Des bourgeois dirigent les opérations militaires sans rien vouloir savoir de la lutte des classes. Des prêtres ont recommencé à dire la messe à Madrid. Les copains sont jetés en prison, les collectivités sont forcées de s’arrêter de fonctionner. Provocations et sabotages sont à l’ordre du jour. Je serais heureux, écrit-il, ainsi que beaucoup de mes camarades de mettre mes forces, ma vie au service de la lutte du peuple espagnol pour sa liberté, mais pas dans ces conditions.
Marianne Enckell
Sources en suédois :
Les lettres d’Andersson et Norrblom publiées dans Avantgardet, le journal des Jeunesses socialistes, confirment bien le témoignage de Nils Lätt publié ici. Le journaliste Ture Nerman, proche du Parti communiste suédois mais qui passera bientôt à la social-démocratie, a séjourné en Espagne en mai-juin 1937 et s’est, entretenu, entre autres, avec Eilert Hagberg. Ces deux documents sont téléchargeables sur le site indépendant http://www.marxistarkiv.se.
Aux archives de Salamanque, il semble que les informations sur des miliciens suédois soient rares ; on y trouve surtout des lettres provenant de Suède et demandant des abonnements au journal Frente Libertario (voir Benito Peix Geldart : Svenska syndikalister i Francos arkiv, version en pdf téléchargeable sur www.arbetarhistoria.org/).
Aux Archives du mouvement ouvrier suédois, il y a plusieurs mètres d’archives sur la solidarité avec l’Espagne, mais la majeure partie provient du camp social-démocrate ; c’est là aussi que sont déposées les archives de la SAC (www.abark.se).
La SAC et son journal Arbetaren ont eu au moins huit correspondants en Espagne, un record pour la presse suédoise. Dès 1938, elle a publié des recueils d’articles sous forme de brochures, puis dès 1938 des recueils de témoignages. Plusieurs de ces livres et brochures (comme ceux de Nils Lätt ou d’Ivan Faludi) sont reproduits sur son site et peuvent aisément être téléchargés : www.sac.se.
Tous ces sites ont été consultés à la mi-septembre 2011.
M. E.