Souvenirs de la guerre d’Espagne
d’Antoine Gimenez
Feuilleton radiophonique en 20 épisodes
Nous allons vous présenter tout d’abord une mise en contexte du récit.
La guerre civile éclate le 17 juillet 1936 au Maroc quand, dans la pure tradition du pronunciamiento, l’armée espagnole, soutenue par l’Eglise et les partis de droite -dont les fascistes de la Phalange- se soulève contre la République et le Front Populaire élu en février.
Une partie des garnisons d’Espagne répond à l’appel des généraux Franco et Mola : du 18 au 31 juillet, la moitié Centre-Ouest du pays et une partie de l’Andalousie sont occupées par les factieux, qui installent leur gouvernement à Burgos. Mais le soulèvement échoue en Catalogne, dans le Levant et le Nord, dans une partie de l’Aragon, de l’Andalousie et de la Castille. A Madrid, la République reste en place, mais le gouvernement refuse d’armer le peuple, commence à négocier avec les mutins, et doit démissionner.
En fait la République est dépassée par la situation, et les seules forces organisées qui font face aux militaires insurgés sont les militants politiques et syndicaux : ils décrètent la grève générale et s’arment tant bien que mal. C’est la population organisée en milices qui prend d’assaut les casernes à Madrid, Guadalajara, Toledo, Valencia, Oviedo, San Sebastian, à Bilbao et Gijon. La victoire la plus éclatante se produit à Barcelone.
Après des décennies de grèves insurrectionnelles, et le refus du Front populaire de mettre en œuvre les réformes sociales promises, les travailleurs des principales villes ouvrières se retrouvent en situation de prendre enfin leur existence en main. Le coup d’Etat va en quelque sorte impulser la révolution espagnole, la guerre civile représentant le moment culminant de la guerre sociale engagée dans ce pays.
Le soulèvement militaire est provoqué par les classes dominantes et la fraction la plus riche des classes moyennes. Elles ont su mettre leurs divergences sous le boisseau afin d’en finir radicalement avec les dernières révoltes organisées des ouvriers et paysans de l’Europe de l’Ouest. Elles ont la confirmation rapide que les démocraties les laisseront mener cette guerre. Dès le début de la révolution, des navires italiens, français, allemands et anglais croisent au large des côtes de Catalogne, et bientôt se tiendra à Londres la première réunion du Comité international pour la non-intervention. Il est clair que la France et l’Angleterre feront l’impossible pour étrangler la révolution espagnole.
Dans l’Espagne de 1936 se pose la question de savoir comment la seule population en Europe qui lutte à la fois contre les rapports sociaux capitalistes et le fascisme va se confronter à (l’épineuse) la question du pouvoir.
A Madrid, l’Etat et le nouveau gouvernement se retrouvent privés de leurs moyens d’action. Dès le 19 juillet, dans toute l’Espagne restée républicaine, dans les villes comme dans les campagnes, et surtout à Barcelone, où les anarcho-syndicalistes de la Confération Nationale du Travail sont maîtres du terrain, la population participe massivement et spontanément à la suppression de la propriété privée et à tout ce qui rendait possible l’exploitation de l’homme par l’homme : autrement dit elle exproprie les expropriateurs.
De jour en jour, dans la capitale catalane, une partie des entreprises et ateliers, des commerces et transports, des services de distribution et de communication, de santé et d’éducation, des cantines, hotels et restaurants sont collectivisés et remis en marche. Une partie des biens des capitalistes, espagnols comme étrangers sont saisis, et des immeubles réquisitionnés. Les Comités de quartiers et les Comités d’usines forment un réseau qui contrôle l’agglomération. L’armée et la police ayant disparu, il n’y a plus d’autre autorité que celle de tous. Cela ne se fait pas sans violence individuelle ou collective à l’encontre des représentants de l’Eglise, des propriétaires fonciers, des patrons et capitalistes, et si peu qu’on connaisse l’histoire sociale de l’Espagne, on sait pourquoi et à quel point la haine de classe était forte.
Beaucoup de symboles du pouvoir religieux, politique et économique sont brûlés, comme des églises et couvents, des archives notariales et cadastrales, des fichiers d’usines sur le personnel. Hommes et femmes s’attaquent notamment aux banques, et au feu sont jetées, entre autres choses, des caisses remplies de billets : cet acte-là signifie profondément que tout retour en arrière est désormais impensable. George Orwell qui se trouve à Barcelone en 1936 y rencontre « des êtres humains cherchant à se comporter en êtres humains et non plus en simples rouages de la machine capitaliste ».
Ainsi loin de subir les événements, les travailleurs des villes et des champs passent à un cran supérieur de la lutte et mettent en œuvre les programmes sociaux et politiques révolutionnaires pensés, rédigés et discutés depuis le début du siècle par le plus important mouvement anarchiste de l’Europe du moment.
Le récit qui va suivre rend compte à la fois de l’enthousiasme qui règne quand des hommes et des femmes s’engagent corps et âme dans une révolution, mais aussi de l’extrême difficulté à tout mener de front et à rester politiquement lucide quand il s’agit en même temps de faire la guerre. Il faut prendre en compte que beaucoup de situations cruciales doivent être réglées en très peu de temps et sous la pression internationale. Corrélativement, une question essentielle s’impose : le prolétariat européen va-t-il se sentir concerné, et comment va-t-il le faire savoir ? Antonio Gimenez, pour sa part, y a répondu, comme nous allons l’entendre.
Quelques mots maintenant sur l’origine du manuscrit :
De 1976 à 1982, mon ami et moi fréquentions le milieu libertaire et le groupe local de la Confédération Nationale du Travail de Marseille. Nous étions imprégnés de l’histoire de la révolution espagnole de 1936 car nos amis réfugiés espagnols de la CNT en exil faisaient revivre cette période quotidiennement dans des récits, discussions et querelles.
Un groupe de la Fédération Anarchiste avait un local situé au cœur du quartier historique de Marseille, celui du Panier. Ce groupe dont faisait partie un jeune couple, Viviane et Fred, tenait des permanences dans ce local loué dans le même immeuble que celui du grand-père de Viviane, Antonio Gimenez. C’est ainsi que nous fîmes la connaissance de cet anarchiste né dans la région de Pise, italien malgré son nom espagnol, qui avait participé à la révolution espagnole dans la colonne Durruti, avec tant d’autres internationaux.
Antonio venait de finir d’écrire ses mémoires sur cette période bouillonnante et déterminante de sa vie. Faute de moyen financier, le projet d’une édition ne fut pas retenu ; cependant une diffusion restreinte à une dizaine d’exemplaires fut réalisée.
Les mémoires d’Antonio rencontrèrent très vite un succès car le récit était vivant, historique et érotique. Nous disposions là d’un témoignage sur la vie sensuelle et sexuelle d’un militant venu se battre en Espagne et participer à un mouvement révolutionnaire où toutes les idées et interrogations devaient être confrontées et expérimentées.
Ce document est un des rares témoignages sur les volontaires étrangers qui s’engagèrent dans les milices anarchistes. Il couvre toute la guerre civile de juillet 1936 à février 1939.
Le 26 décembre 1982, Antonio nous quittait à l’âge de 72 ans, laissant ce témoignage exaltant que nous avons voulu faire revivre dans ce feuilleton radiophonique.