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Les Gimenologues
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Jeudi 13 avril 2006. Libération.

par Edouard WAINTROP.

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LIBERATION : jeudi 13 avril 2006
Rubrique Livres Histoire : La colonne inspirée

L’ histoire d’un anar italien qui rejoignit en Espagne les compagnons de Durruti.
par Edouard WAINTROP

Antoine Gimenez et les gimenologues. Les Fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne Les Gimenologues et L’Insomniaque, 560 pp., 16 €.

Antoine Gimenez, l’auteur du récit superbe qui ouvre les Fils de la nuit, s’appelle Bruno Salvadori. Il est italien, né en 1910 en Toscane. Il devient Gimenez dans les années 30 alors qu’il vagabonde entre Marseille et Barcelone pour égarer la police secrète fasciste, l’OVRA, qui l’a catalogué antifasciste. Les flics de Mussolini ne feront pas le lien entre Salvadori et Gimenez. En 1935, Gimenez-Salvadori est sans doute antifasciste autant qu’il est monte-en-l’air et trimardeur. S’il a lu adolescent les grands auteurs anarchistes , il n’est pas militant et se sent avant tout révolté.

En juillet 36, tout change. Le 17, les généraux Mola, Sanjurjo et Franco soulèvent une partie de l’armée contre le gouvernement légal de Front populaire. Ils pensent balayer les partis de gauche et installer une dictature. Ils déchaîneront une guerre civile d’une cruauté rare. A Barcelone, les ouvriers (ainsi que la police catalane et les troupes restées loyales...) ripostent et font échec aux putschistes. A partir du 20 juillet, les libertaires armés et victorieux peuvent lancer le « Bref été de l’anarchie », comme l’a nommé l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger. Le rêve commence à se réaliser : les entreprises et des exploitations agricoles sont collectivisées, un comité des milices remplace pour quelques semaines l’Etat catalan. Des colonnes placées sous la direction du militant anarchiste Buenaventura Durruti, partent à pied, à cheval et en camions grossièrement blindés vers l’Ouest, l’Aragon, avec comme objectif de libérer Saragosse, la ville qui a accueilli le congrès de la CNT de mai 36. Et qui est tombée dans l’escarcelle des sublevados grâce à la ruse du général Cabanellas, qui passait pour républicain.

Antonio Gimenez se joint à la colonne Durruti et en particulier au groupe international organisé par Berthomieu, Carpentier et Ridel, deux Français et un Belge. C’est son odyssée dans ce groupe surnommé « les fils de la nuit » car ils se font spécialistes des coups de main nocturnes, que racontera Gimenez presque quarante années après les faits, entre 1974 et 1976. « Sans se documenter », précisent les « gimenologues » qui éditent ce récit, « se fiant à sa seule mémoire. Ce choix provoquera quelques approximations... ».Des notes riches permettent de les rectifier et même plus. Car si le texte haut en couleurs de Gimenez permet de comprendre la sauvagerie du conflit ( pas de prisonniers ni d’un côté, ni de l’autre), les espoirs d’une révolution sans dictature du prolétariat, s’il tranche avec de nombreux exercices du genre par son absence de puritanisme (Gimenez et ses amis aiment les femmes et en sont aimés), il appelle commentaire et supplément d’information.

Les notes des « gimenologues », deux jeunes libertaires français,répondent à cet appel. Elles n’ont rien d’universitaire et sont franchement orientées,sans irénisme, vers ceux qui ont refusé les conséquences, désastreuses à leurs yeux, des compromis passés par la CNT dans le gouvernement républicain, de la militarisation des milices et de la quasi-soumission des dirigeants anarchistes aux staliniens en 37. Elles reflètent les réticences de Gimenez, disparu en 1982, et les analyses du théoricien italien Camillo Berneri, ami de Gimenez, assassiné par les communistes en mai 1937 à Barcelone . On peut ne pas partager ce point de vue, on ne peut nier que cette problématique, ici clairement exposée, est passionnante.