Franz RITTER aux prises avec les staliniens.
Une enquête lancée par Marianne Enckell.
Une enquête de la vice-déléguée politique Marianne Enckell, mars 2006
Vers 1920-21, Käthe Goedel-Römer, une Zurichoise qui a été mariée à un Allemand, s’engage au Bar Scandinavia (ou Escandinavia, ou Skandinavia), calle Mediodía 16 à Barcelone, dans le Barrio Chino (derrière la caserne Drassanes, où tombera Francisco Ascaso). C’est une taverne qui loue aussi des chambres, tenue par un certain Ingwald Inlæken ; ils vivent peut-être en couple.
Au début de 1932, la photographe allemande Margaret Gross s’y installe pendant quelques mois ; elle écrit : « Mis mejores amigos en Barcelona eran los marineros alemanes y los vagabundos. En la calle Mediodía hay una fonda al lado de la otra. En las fondas se puede dormir por 0,20 o 0,25 marcos la noche. Ellos vivían allí, pero yo vivía en la mejor fonda del barrio, en la que casi sólo se hospedaban alemanes. Allí vivían vagabundos, personajes arruinados, la mejor parte de los marineros y músicos pedigüeños. Éramos una sociedad selecta, y uno se acostumbraba tan deprisa que ya no se admiraba de formar parte de ella. »
(En octobre 1933, Margaret Gross épouse à Berlin Rudolf Michaelis, qu’elle connaît depuis 1929. Rudolf, qui vient d’être licencié du musée où il travaille, va être emprisonné peu après pendant cinq semaines pour ses activités antifascistes : il est un des leaders de la FAUD anarcho-syndicaliste. En décembre, le couple quitte Berlin pour Barcelone. Elle travaille comme photographe indépendante, lui pour un musée archéologique. Ils se séparent en été 1934.
En été 1936, Rudolf Michaelis va devenir le délégué politique de la Centurie Erich Mühsam, qui fait partie du Groupe international de la colonne Durruti ; Margaret fera en octobre un voyage sur le front avec Emma Goldman, Arthur Lehning et Hanns-Erich Kaminsky. Elle quitte l’Espagne à la fin 1937, tandis qu’il reste jusqu’à la fin de la guerre.)
Le 12 avril 1937, le milicien zurichois Edi Gmür, en permission du Groupe international, découvre le Bar Scandinavia en compagnie de son copain Emil « Miggel » Kummer : « J’étais aujourd’hui avec Miggel au Barrio Chino. Il y a fait la connaissance d’une Suissesse (zurichoise) qui y tient un bar. On est bien chez elle. Nous sommes rentrés tard à la maison. » Il y retourne le 1er mai : « Chez Käthy. C’est désormais notre “mère”. » Mais elle doit rapidement fermer le bar pendant « les faits de mai », ne le rouvre que le 6. Quand le Batallón de Choque, dernier avatar du Groupe international, est dissout à la fin juillet, les Suisses vont naturellement dormir chez « Maman » Käthy. Ils y discutent de l’éventualité de rester en Espagne, de rempiler, des manières de partir, des risques qu’ils courront en Suisse à leur retour. Deux d’entre eux au moins rejoignent les Brigades internationales : Jacob Aeppli (qui sera tué peut-être par les staliniens, vers la fin de l’année) et Franz Ritter.
(Edi Gmür part le 12 août, sur un bateau allant à Marseille, en compagnie d’Emil Kummer et d’un ou deux autres camarades.)
Après le départ de son mari, Zita Gmür va travailler un an au Bar Scandinavia, sous la protection de la tenancière, et se lie avec plusieurs miliciens.
Fin avril 1938, Franz Ritter [1] en a vraiment marre de la surveillance communiste et cherche à rentrer en Suisse. Les volontaires étrangers peuvent en principe obtenir la « baja definitiva », mais les communistes font pression sur eux. Ritter apprend qu’un de ses anciens lieutenants, Gottfried Schreyer, a payé 6000 pesetas à Rudolf Frei, un agent suisse du Comintern, pour avoir des papiers. Il se rend au Bar Scandinavia pour engueuler Frei. Sur ces entrefaites (ou deux jours plus tard ?) arrive Otto Brunner, le supérieur de Frei, qui menace Ritter de son pistolet. Celui-ci s’enfuit dans les appartements de « Käthy », à l’étage, pour essayer de dormir. Brunner le poursuit avec ses sbires (la bagarre est telle que Zita Gmür, l’épouse d’Edi, et son copain Hans Kamber, qui se trouvent dans une chambre adjacente, sortent par la fenêtre). Dans la mêlée, le pistolet de Brunner part mais tue le jeune brigadiste Karl Romoser. Ritter prend peur et, en caleçons, court au siège de la CNT où il alerte le portier. Celui-ci lui dit qu’il n’y a personne et lui prête un « mono ». Après avoir dormi sur un banc, Ritter revient le matin et raconte toute son histoire à Martin Gudell, qui en prend note et dit qu’il va essayer d’intervenir. Ritter prend le train, mais il est arrêté à Port-Bou, Brunner ayant alerté la police espagnole en prétendant que c’est Ritter qui a tué Romoser. Ritter réclame qu’on prévienne Augustin Souchy ; mais il restera en prison jusqu’au 28 septembre, malgré les interventions du consul de Suisse Gonzenbach et l’intervention du Parti socialiste suisse auprès de Negrin.
(Ritter, blanchi à son procès, rentre en octobre 1938 en Suisse. Afin de discréditer les éventuelles déclarations qu’il pourrait faire à l’occasion de son procès militaire, en mars 39, le journal zurichois Freiheit lance alors une campagne de diffamation. En produisant de faux papiers attribués aux services des BI, l’organe communiste accuse Ritter d’avoir livré des armes au camp nationaliste. Ritter, qui avait decidé de garder le silence sur l’affaire pour ne pas porter préjudice au mouvement ouvrier suisse, sort alors de la réserve et se met à la disposition de la justice zurichoise pour instruire un procès contre Brunner. Le procès qui ne se déroulera finalement qu’en 1942, aura un grand retentissement et sera monté en épingle par la presse de droite, mais se conclura par un non-lieu : Brunner réussit en effet à imposer une nouvelle version de l’incident, selon laquelle le coup de feu fatal serait parti de manière accidentelle...)
(Zita Gmür quitte l’Espagne en été 1938 (ou après le procès de Ritter ?) : Brunner lui a annoncé que son père est mourant et lui procure un document de voyage ; elle arrive à Zurich juste avant la mort de son père.)
En novembre 1943, Lina Mettauer écrit aux autorités suisses pour chercher à aider sa sœur, Katharina Goebel née Römer, née le 29. 10. 1900 à Zurich, qui se trouve à la prison Ventas de Madrid depuis 34 mois. Devenue allemande par mariage, elle a perdu sa nationalité et pour la sortir de là il faudrait qu’elle puisse retrouver sa nationalité suisse. Lina Mettauer a été alertée par un certain Ross, du bureau de Genève du American Friends Service (« Quakers »).
Le consul Gonzenbach fait une enquête qui confirme les dires de la sœur ; les franquistes savaient assurément que le bar servait de port d’attache aux brigadistes, c’est pourquoi ils ont arrêté sa tenancière.
En avril 1944, Käthe est toujours détenue. Et le dossier s’arrête là.
Aujourd’hui, la calle Mediodía n’existe plus, suite aux travaux faits dans le quartier.
Il reste beaucoup de trous dans ce dossier : bienvenue aux curieux et aux chercheurs.
Sources :
Margaret Michaelis, catalogue de l’exposition à l’IVAM, Valencia, 1998. -
Edi Gmür, Journal d’Espagne, à paraître en français (publié en allemand, transcription de l’original aux Archives fédérales), dossier AF : E 5330 1975/95 1938/98/18. -
Franz Ritter [2], dossier aux Archives fédérales (E 4320 B 1975/40 vol. 70, C.8.646). -
Entretien de Franz Ritter avec Hans Peter Onori, 1977. -
Peter Huber, Stalins Schatten in der Schweiz, Zurich 1994. - Nic Ulmi et Peter Huber, Les combattants suisses en Espagne républicaine, Lausanne 2001. - Entretien avec Zita Gmür, Zurich, février 2006. - Correspondance avec Carlos Garcia, Barcelone, mars 2006.