Page de la CNT espagnole contenant la liste des films conservés issus de la collectivisation de l’industrie cinématographique. Suivi d’un entretien avec Adrien Porchet, auteur de plusieurs des films listés, et d’un article de Mercier Vega (Charles Ridel pour Antoine) paru dans Le Libertaire en octobre 1936.
Liste des films conservés dans la filmothèque de la CNT et leurs fiches techniques. En castillan.
http://www.cnt.es/Documentos/cineyanarquismo/listado_pelis_filmo.htm
On retrouve dans les listes le nom d’Adrien Porchet, cinéaste suisse, auteur des reportages sur les batailles de Farlete et Siétamo auxquelles participa Antoine. Il s’agit de la série "Los Aguiluchos de la FAI por tierras de Aragon". Antoine-Bruno le nomme "Jacques" dans son récit, à moins qu’il ne s’agisse de l’un des techniciens.
Certains giménologues pensent reconnaître Antoine dans une scène de "La Toma de Siétamo" aux côtés de Charles Ridel. Nous attendons le tirage photo de cette scène pour confirmer cette impression. Notre héros se souvenait s’être vu au cinéma à Barcelone.
Ce qui suit a été "piqué" chez "Increvables Anarchistes"
http://increvablesanarchistes.org/articles/1936_45/36cineast_porcher.htm
ENTRETIEN AVEC ADRIEN PORCHET
Appartenant à une famille de cinéastes suisses, Adrien Porchet, son frère Robert et leur père Arthur s’établirent au printemps 1931 en Espagne. Il travaille comme chef opérateur sur des comédies et des drames de long métrage.
Michel Froidevaux (*), a rencontré Adrien Porchet à Genève, en 1981. Il revient sur son action de militant cinéaste pendant la guerre d’Espagne.
A. Porchet : "A cette époque, dit-il, je n’avais pas d’opinions politiques, je n’en ai pas tellement maintenant non plus, mais je lis les journaux, je m’informe... A ce moment-là, j’étais syndiqué à la CNT, au Syndicat des spectacles publics. J’avais une très mauvaise réputation vis-à-vis de certains producteurs et metteurs en scène, parce que je défendais les ouvriers, les électriciens, les machinistes. A midi, j’aurais dû aller manger au restaurant avec la direction, tandis que le personnel technique n’avait droit qu’à des plats froids. Alors je leur ai dit qu’ il n’y a rien à faire, je préfère rester avec mes copains de la technique. Il y eut aussi des histoires, car parfois je disais à mes copains : Venez, on va aussi au restaurant. On me prenait pour un révolutionnaire, pour un agitateur.
Avec les bons rapports que j’entretenais avec le personnel technique, les autres chefs opérateurs commencèrent à me faire des réclamations sous le prétexte que je ramassais tout le boulot ; c’est vrai qu’il m’arrivait de travailler sur deux films en même temps, à raison de deux fois sept heures par jour, sautant d’une production à l’autre.
Lors du pronunciamiento, Adrien Porchet, âgé de 29 ans, se trouvait à Barcelone.
"J’étais en train de finir un film qui s’appelait Hogueras de la noche -Feux dans la nuit- (titre prémonitoire !) et le soir du 19 juillet je ne m’étais pas rendu compte qu’il allait y avoir une révolution je croyais qu’il s’agissait de nouveau de grèves, de manifestations. Très peu de temps après, des miliciens du syndicat des spectacles publics de la CNT sont venus au studio et nous ont dit qu’ils avaient besoin d’un opérateur pour le front. Alors, ils m’ont embarqué au front."
Porchet partit avec une des premières colonnes de miliciens vers l’Aragon, où il fait partie de la colonne Durruti à Bujalaroz, près de Huesca. À la tête d’une équipe cinématographique de neuf miliciens, il est le seul à posséder de réelles connaissances techniques :
"Nous travaillions en 35 mm. J’avais une Debrie de 120 mètres et deux petites Bell & Howell 30 mètres à la main, celles que j’utilisais le plus. Un jour, il y eut une attaque de la cavalerie et de l’aviation fasciste, à une dizaine de kilomètres plus loin." "On m’a dit : Tu viens au front avec nous. Je leur ai répondu : Je fais mes actualités et mes films de guerre ici. L’un d’entre eux m’a collé un revolver aux fesses, en m’avertissant : Soit tu viens au front avec nous, soit tu restes ici". "Et c’est ainsi que j’ai été en première ligne et que le me suis mis à filmer directement les combats. Peu à peu, je me suis habitué à la guerre, je participais aux réunions d’état-major. Je me souviens que Durruti m’avait engueulé en me recommandant de poser ma caméra et de prendre un fusil, mais je lui avais répondu : Je leur donne plus de courage, à tes hommes, avec mon appareil qu’avec un fusil !"
"J’avais une totale indépendance dans le choix de mes sujets. J’aurais même pu filmer des exécutions de fascistes ou de curés, mais ça, je ne l’ai jamais voulu. Au front, je menais la même vie que les miliciens, Il y avait des moments de grand calme et dans l’ensemble une très bonne ambiance entre les miliciens, en raison du sens poussé de l’autodiscipline."
"Les bobines étaient envoyées à Barcelone pour être développées. Pour le son, il existait des camions d’enregistrement, mais l’opérateur qui s’occupait du camion du son de la Fox nous avait déclaré qu’il était d’accord d’assurer la sonorisation, à condition qu’on lui tire une ligne du front à Barcelone, sinon il refusait. Alors, bien sûr, on ’a pas pu tourner avec du son ! Ce qui fut vraiment dur, c’était de devoir filmer, avec ma caméra sur l’épaule, des copains miliciens blessés ou tués. Mais, dans ces moments-là, on a une autre mentalité. Lorsque, en novembre 1936, Durruti est parti défendre Madrid avec certains éléments de sa colonne, je suis retourné vivre à Barcelone."
Les cinémas de Barcelone ré-ouvrirent début aout 1936. Porchet continua de travailler pour le syndicat des spectacles publics de la CNT, Il fut le chef opérateur du premier long métrage produit par ce syndicat, Aurora de Esperanza. Il tourna ensuite des actualités pour la CNT, couvrant des manifestations, des congrès, etc. Durant les événements de mai 37, Porchet et sa caméra étaient aux premières loges et il filma, entre autres, les combats de la Telefonica, sur la place de Catalogne, qui furent le prélude à ces jours sanglants.
Adrien Porchet quitta Barcelone peu avant l’entrée de, l’armée nationaliste, Il parvint à emporter avec lui quelques négatifs, qu’il cédera plus tard à l’agence Havas et au New York-Herald Tribune de Paris, Les Pyrénées franchies, une autre vie était à recommencer dans l’exil, puisque ce Suisse avait fait de l’Espagne sa terre d’adoption et qu’il y avait entrepris des démarches pour se faire naturaliser. Avec son épouse et sa fillette, il se réfugia d’abord à Paris puis regagna, au début de la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse ou il a continué à travailler comme cinéaste.
De cette époque agitée et difficile, Porchet conserve le souvenir d’un enthousiasme largement partagé, "Beaucoup de gens souhaitant modifier profondément la société". Il conserve une grande estime pour Buenaventura Durruti et se souvient, avec émotion, de Félix Marquet, un milicien qu’il forma au front comme cameraman. Outre son travail de directeur de la photographie pour Aurora de Esperanza, Adrien Porchet a signé la photographie d’une dizaine de films tournés au front d’Aragon.
Entretien réalisé par Michel Froidevaux Texte paru aux Editions Noir
(*)M. Froidevaux est l’auteur d’une thèse sur la presse anarchiste en Catalogne, 1936-1937.
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Les spectacles à Barcelone. L. Mercier-Vega
Il est réconfortant pour les miliciens qui descendent du front (en mission ou en convalescence) de voir que toute la vie économique fonctionne normalement dans le pays. Rien ne manque aux familles ouvrières et petites-bourgeoises de Catalogne et des territoires occupés par les troupes anti-fascistes, cela grâce à l’excellente organisation des usines, des transports et du ravitaillement par les syndicats.
Les restaurants sont pleins, les grands magasins gérés par la CNT fourmillent d’acheteurs. Un étranger arrivant d’un pays lointain et non averti de la situation ne croirait pas qu’à quelques centaines de kilomètres, parfois à quelques kilomètres de l’endroit où chacun travaille, mange et dort en toute tranquillité, les mitrailleuses crépitent et le sort de l’Espagne se joue. Le syndicat des spectacles publics en pleine tourmente révolutionnaire s’est emparé de toute l’industrie du spectacle, théâtres et cinés.
Chaque salle possède son comité d’organisation où sont représentées les diverses catégories du personnel. Comme premières mesures, les prix des places a été réduit considérablement, le pourboire supprimé, les billets de faveur également ; les salaires ont été augmentés dans de fortes proportion, en même temps que les journées de travail étaient diminuées. Mais en plus, le syndicat tente déjà de rapprocher l’art et le peuple.
De grands concerts sont donnés sur les principales places de Barcelone et les chants populaires alternent avec de vastes fresques symphoniques des meilleurs compositeurs. L’industrie cinématographique espagnole, très réduite jusqu’à présent, parait de voir prendre une rapide extension.
Il nous a été donné de comparer deux bandes documentaires sur les milices révolutionnaires. L’une sortant des ateliers d’une entreprise étrangère bourgeoise, simples prises de vue de défilés, de groupes, de quelques détails intéressants. L’autre, entièrement fabriquée par les travailleurs du syndicat des spectacles et celui des musiciens, avec commentaires du militant anarchiste Toryho et qui, d’un bout à l’autre, est parcourue d’un puissant souffle populaire. Cela s’explique si l’on songe que l’opérateur -Adrien Porchet- vit comme militant sur le front d’Aragon, se bat comme eux et que son appareil ne le quitte pas plus que sa carabine Winchester.
Il n’est pas exagéré de croire que le ciné espagnol -qui en est à ses débuts- pourra en se développant conserver un net caractère social semblable à celui du cinéma russe à ses débuts. Actuellement, l’ensemble de l’industrie du spectacle vit sur le pied de guerre, c’est-à-dire que financièrement elle ne subsiste aisément et de renouvellement du matériel, mais les résultats du début laissent l’avenir plein d’espoirs.
Louis Mercier Véga (Milicien de la Colonne Durruti) Le Libertaire, 9 octobre 1936
Voir un dossier qui lui est consacré chez Acontretemps