Nous reprenons la rédaction des biographies de chacun des 117 ex-combattants italiens (anarchistes ou pas) dont le nom se trouve sur la liste « Libertá o Morte » du camp d’Argelès sur Mer, dressée par la police politique italienne le 8 août 1939.
Cela s’inscrit dans le cadre de notre collaboration à la base de données sur le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer réalisée par Grégory TUBAN, de Perpignan : http://www.memorial-argeles.eu/fr/
https://www.memorial-argeles.eu/fr/1939/1939-2eme-periode-du-camp-avril-juin-1939/le-camp-des-brigadistes.html
Toutes les notices sont le fruit d’un travail de recherche en collaboration avec Tobia Imperato de Turin et Rolf Dupuy de Paris.
La traduction et la rédaction sont réalisées par Jackie, giménologue.
DEMI ALDO
Aldo DEMI, fils de Pietro et Adelaide Ventavoli, est né à Piombino (Livourne) le 3 février 1918. Il est mécanicien. Il est issu d’une famille ouvrière aux sentiments socialistes qui émigre à Turin pour des raisons économiques le 2 octobre 1926. Il a une sœur prénommée Tina. Dans la capitale piémontaise, après avoir fréquenté l’école primaire jusqu’à la cinquième année, il commence à travailler dans un petit atelier à Borgo San Paolo. Il se rapproche du milieu subversif et en particulier de l’importante communauté toscane et, plus précisément des anarchistes d’origine pisane et de Grosseto : Cornelio Giacomelli, Dario Franci, Muzio Tosi et Tillo Ticciani. En les fréquentant, il se fait remarquer par la police politique. En 1934, il est employé aux ferronneries FIAT dans l’atelier des laminoirs.
Pendant la semaine de vacances dans l’été 1936, avec son beau-frère Ilio Baroni, il tente de s’expatrier clandestinement par le col de Moncenisio pour combattre en Espagne. Cette tentative échoue, car les deux hommes sont interceptés par la gendarmerie qui veut les convaincre de s’engager dans la Légion étrangère. Mais, devant leur refus, elle les escorte du côté italien où ils restent libres. Demi retourne à Turin. Il est soumis à une surveillance étroite. En janvier 1937, il organise la « grève des jeunes » à l’usine de laminage ; invité à suspendre l’agitation, il refuse. Il est licencié et dénoncé au tribunal militaire, FIAT étant une entreprise « militarisée » suite à la guerre d’agression contre l’Éthiopie. Il est condamné à un mois et demi de prison et à une amende de 150 lires.
Le 15 août 1937, il réussit à émigrer clandestinement en Suisse avec sa sœur Tina, son beau-frère Ilio Baroni, son frère Giuseppe et Dario Franci. Ils entrent depuis Luino (Varese) avec l’aide du guide Mario Semolini. De là, Demi se rend en France et le 17 août, il est accueilli à Paris par Cafiero Meucci. Quelques jours plus tard, il remet à un camarade une petite somme pour qu’il l’apporte en Italie au célèbre anarchiste et bandit Sante Pollastro, condamné à la prison à vie.
Il entre en Espagne en octobre 1937 par le « canal Giustizia e Libertà", et passe par le centre de recrutement d’Albacete et la base d’entraînement de Quintanar, où il est affecté à l’école « dinamiteros ». Il est incorporé dans la 1ère Compagnie du 4ème Bataillon de la 12ème Brigade Garibaldi. Il combat en Estrémadure, à Caspe et lors de la dernière grande offensive républicaine sur l’Ebre au cours de l’été 1938. Il est blessé à la jambe droite dans la Sierra de Caballs. Il est d’abord admis dans un hôpital de campagne non spécifié, puis transféré à l’hôpital de guerre de Vic en septembre 1938. De là, après la décision du gouvernement républicain de retirer les volontaires étrangers, il est transféré à Torellò (Catalogne). Au cours de ces mois, jusque-là peu connu des agents de la Sureté Publique de Turin, son nom, apparaît pour la première fois dans le « Répertoire des personnes recherchées » et classé dans la « Rubrica di frontiera » avec un ordre d’arrestation. Dans le profil biographique établi par la Préfecture de Turin le 30 août 1938, il était décrit comme « assidu au travail » et « indifférent aux autorités ».
Évacué d’Espagne en février 1939, lors de la Retirada, il est interné dans le camp d’Argelès sur Mer, où il rejoint groupe anarchiste « Libertà o Morte », puis dans les camps de St-Cyprien et de Gurs. Il en sort en avril 1940, en optant pour l’internement dans une CTE (Compagnie de travailleurs étrangers) destinée à des travaux de fortification le long de la frontière franco-belge, menacée par les préparatifs d’agression d’Hitler.
Après la défaite de l’armée française, avec ses compagnons de travail il se retrouve à Dunkerque où il est capturé par l’armée allemande et envoyé à pied en Allemagne. Il réussit à s’évader et passe en Belgique le 13 juin 1940, atteignant Bruxelles où il prend contact avec ses compatriotes Dante Armanetti, Ateo Vannucci et Armando Bientinesi ; ils habitent ensemble rue des Bassins. En 1941, il écrit à sa mère qu’il est mécanicien et lui communique sa nouvelle adresse, 5 avenue de la Brasserie, Anderlecht, Bruxelles. Recherché par les autorités du Consulat Italien, il passe en Allemagne ; mais repéré il réussit à se réfugier en France avec l’aide du milieu anarchiste italien de Paris ; et il participe à la Résistance.
Après la guerre, Demi est de retour à Turin et reprend son travail chez les ferronneries FIAT, où commence son engagement syndical. En 1946, il est élu représentant des travailleurs anarchistes au sein du comité exécutif de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) de Turin. Il participe en tant que délégué au premier congrès national de la CGIL (Florence, 1-7 juin 1947). En 1950 il est élu, en tant qu’anarchiste, à la commission interne de son usine. Il est parmi les fondateurs du groupe anarchiste « Barriera di Milano » à Turin, collabore à divers périodiques anarchistes tels que Era nuova à Turin et Il Libertario à Milan. Dans le périodique de Turin, il écrit des articles consacrés au monde du travail (par exemple, « Le commisioni interne », 1er janvier 1948, p. 4), mais aussi dans des domaines plus purement politiques (« Il nostro astensionism », 1er avril 1948, p. 4). Il participe également en tant que délégué de la Fédération anarchiste du Piémont, à plusieurs congrès tels que la Convention de la jeunesse anarchiste nationale (Faenza, 20-22 juillet 1946), et au troisième congrès national de la Fédération Anarchiste Italienne, la FAI (Livourne, 1949). Demi exprime avec conviction la nécessité pour les anarchistes de participer à la vie syndicale afin d’orienter dans un sens révolutionnaire l’action des organismes économiques, par exemple dans « Anarchisme et syndicalisme », in Era nuova, 15 mars 1949, p. 4. Il se prononce à cette fin en faveur de la création de groupes anarchistes d’entreprise, au soutien des luttes pour l’amélioration des salaires des ouvriers, et à l’entrée des anarchistes dans les organes syndicaux (« Gli anarchici nell’organizzazione operaia », ibid, 1er avril 1949, p. 4).
À l’approche du troisième congrès de la FAI, Demi prend position pour un anarchisme associationniste et concret qui puisse relancer en Italie la lutte de classe contre le capitalisme, échappant à l’influence négative du communisme bolchevique qui force les masses comme le fascisme, à « croire, obéir et combattre » (« L’azione anarchica vista da un militante » in ibid, 15 avril 1949, p. 1). Dans les mois qui suivent, il participe à la conférence organisée par le groupe « Milano 1 », qui se tient dans la capitale lombarde du 6 au 7 août 1949, consacrée aux rapports entre l’anarchisme et le mouvement ouvrier. Demi intervient à plusieurs reprises au cours du débat en exprimant une interprétation de l’anarchisme comme « moyen de lutte visant à l’émancipation des classes opprimées et exploitées » qui exige que les anarchistes « collaborent avec le mouvement ouvrier » de manière unie, mais pas exclusivement dans le principal syndicat national, la CGIL. Demi fait également valoir la nécessité pour les anarchistes de se constituer en une organisation spécifique et, à cette fin, participe au débat national avec le groupe turinois « Barriera di Milano » qui, durant l’été 1950, promeut la réimpression dans Era nuova du pacte d’alliance de l’UAI (Unione Anarchica Italiana) approuvé par le congrès de Bologne de juillet 1920 (« Une initiative du groupe anarchiste Barriera di Milano », ibid, 15 juillet 1950, pp. 3-4). À cette époque, il polémique avec Italo Garinei qui, dans les pages du même périodique, avait fait valoir la nécessité de rester dans le cadre d’un anarchisme « aclassiste » et « humaniste » (« Primo mai 1950 », 1er mai 1950, p. 1). Demi répète au contraire que l’action des anarchistes ne peut pas être séparée de l’ardue « défense des intérêts du prolétariat » et, par conséquent, de l’adhésion des anarchistes aux principes de la lutte des classes ; l’ignorer signifie pour le militant anarchiste être en dehors de la « réalité historique » (« L’anarchismo movimento delle classi lavoratrici », in LIB, 6 septembre 1950, p. 2). Demi est parmi les promoteurs turinois qui adhèrent au Groupe d’initiative pour un mouvement « orienté et fédéré ». Lors du quatrième congrès national de la FAI (Ancône, 1950), ils critiqueront sévèrement les décisions prises à cette occasion à l’encontre du groupe dirigé par Masini, ne reconnaissant pas les résolutions du congrès (« Résolutions sur le congrès d’Ancône » des groupes anarchistes « Barriera di Milano », « Pensiero e azione » et « Venaria », Turin, décembre 1950). Parmi les délégués du groupe « Barriera di Milano » de Turin, Démi participe à la première conférence nationale des GAAP (Groupes anarchistes d’action prolétarienne) à Gênes-Pontedecimo, en 1951. À ce moment, il insiste sur la nécessité pour les anarchistes engagés dans le monde du travail de rejoindre le CDS (Comité de défense syndicale), et d’opter pour une politique unitaire d’engagement dans la CGIL. Le 18 mars 1951, avec Ferrario et Candela, Demi est présent, comme observateur représentant le GAAP à Turin, au congrès régional de la Fédération anarchiste du Piémont. Dans le cadre du GAAP, au cours de la première année d’existence de l’organisation, il s’occupe des relations syndicales ; à ce moment il est membre de la commission interne à la Ferronnerie. Il est en correspondance avec Parodi, avec lequel il contribue à la rédaction de la première circulaire de l’organisation sur la question syndicale, envoyée à la fin du mois de juin 1951. Ce document reprend les conceptions unitaires en matière syndicale, chères à Demi, à savoir la nécessité de former le CDS en adhérant en même temps à la CGIL. Durant cette période, il poursuit sa collaboration avec les journaux, en publiant, par exemple, un article sur les dures conditions de travail à la FIAT (« La lotta contro il superfruttamento alla FIAT », in LIB, 18 avril 1951, p. 2). En même temps, il essaie de stimuler la reprise des activités du mouvement anarchiste à Turin. Mais, comme on peut le voir dans l’une de ses lettres à Vinazza du 15 mai 1951, il note comment « l’ostracisme des journaux traditionnels » et la non parution de Il Libertario entravent l’initiative. Cependant, entre la fin de l’année et le début de la nouvelle, Demi entre dans une crise politique qui le mène à reconsidérer ses choix. Il décide d’abandonner les GAAP et l’anarchisme, le considérant comme inadéquat pour affronter et résoudre, autant du point de vue théorique qu’organisationnel, la situation politique actuelle et les problèmes sociaux (Voir ses lettres à Pier Carlo Masini, Turin, des 13 mars et 12 mai 1952). Son choix engendre une cascade de controverses parmi les groupes de Turin qui sont surpris par ce tournant (C. Meucci, S. Guerrieri, « Uscita dal movimento », in UN, 6 avril 1952, p. 4).
Enfin, en septembre, Demi rejoint le PCI et, l’année suivante, il participe activement à la grève contre la « legge truffa », ce qui lui vaut d’être licencié au début de 1953. Demi tient ses engagements dans le syndicat occupant le poste de responsable de la FIOM (Fédération Italienne des Ouvriers Métallurgistes) pour la région d’Ivrea et de Canavese jusqu’en 1958, puis il entre au secrétariat provincial. La même année, le magazine Nuovi Argomenti publie son mémoire autobiographique. Au cours des années 1960, il devient secrétaire de la Fédération Italienne des Travailleurs du Textile (FILT-CGIL), tandis que de 1970 à 1978, il préside le comité provincial de l’INPS (Istituto Nazionale della Previdenza Sociale). De cette année jusqu’en 1990, il officie en tant que secrétaire régional du Syndicat des Retraités Italiens (SPI-CGIL). En outre, de 1960 à 1972, il est membre du Comité fédéral du PCI de Turin, puis de la Commission fédérale de contrôle. Enfin, de 1983 à 1990, il est secrétaire de l’ANPPIA à Turin, ville où il décède le 28 août 2000.
Sources :
https://www.bfscollezionidigitali.org/entita/1436-demi-aldo?i=0
http://www.antifascistispagna.it/?page_id=758&ricerca=1795
http://www.acratie.eu/FTPUTOP/PAJETTA-LivornesiOltreIPirenei2010.pdf (avec une photo, p.62).
Ilaria CANSELLA, Francesco CECCHETTI,.Volontari antifascisti toscani nella guerra civile spagnola : le biografie, ISGREC, Arcidosso (Grosseto), 2011, p.168
Il Rosso, il Lupo e Lillo : gli antifascisti livornesi nella guerra civile spagnola, a cura di F. Bucci et. al., Follonica, La ginestra, 2009, pp. 468-471
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