Nous reprenons la rédaction des biographies de chacun des 117 ex-combattants italiens (anarchistes ou pas) dont le nom se trouve sur la liste « Libertá o Morte » du camp d’Argelès sur Mer, dressée par la police politique italienne le 8 août 1939.
Cela s’inscrit dans le cadre de notre collaboration à la base de données sur le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer réalisée par Grégory TUBAN, de Perpignan : http://www.memorial-argeles.eu/fr/
https://www.memorial-argeles.eu/fr/1939/1939-2eme-periode-du-camp-avril-juin-1939/le-camp-des-brigadistes.html
Toutes les notices sont le fruit d’un travail de recherche en collaboration avec Tobia Imperato de Turin et Rolf Dupuy de Paris.
La traduction et la rédaction sont réalisées par Jackie, giménologue.
DELLA TORRE ORESTE
Oreste DELLA TORRE, alias Milanin, fils de Francesco Della Torre et Maria Cressoni, est né le 25 février 1914 à Milan. Il est électricien et antifasciste.
Son père Francesco, anarchiste, est né à Santander en Espagne. En 1911, suite à l’exécution de Francisco Ferrer Guardia et du déchaînement de la répression policière contre les anarchistes, il est contraint de retourner en Italie, à Milan.
Dès son plus jeune âge, Oreste fréquente les cercles antifascistes et, en 1929, pour son activité politique, il est condamné à trois ans de détention en maison de correction et emprisonné à "Beccaria", une célèbre prison pour mineurs milanais située 1 place Filangieri. Il y purge toute sa peine et, en 1933, il est envoyé au service militaire, qu’il effectue d’abord à Milan, dans le 18ème Régiment Bersaglieri, puis à Turin, dans le 91ème Régiment d’infanterie. C’est dans cette ville qu’il est pris en flagrant délit lors d’une manifestation et inculpé pour activités de propagande subversive. Il est ensuite condamné par le tribunal militaire à six ans de prison à Gaeta. Pour des raisons de santé non précisées, il ne purge pas la totalité de sa peine et on ignore quand il a été libéré.
Rentré à Milan, il reprend ses activités anarchistes avec son frère Augusto. Le 15 février 1936, Oreste est effondré par une terrible nouvelle de la mort d’Augusto lors d’un échange de coups de feu avec les fascistes. On sait avec certitude qu’il est en liberté à Milan avant le 30 octobre 1936, date à laquelle il s’expatrie clandestinement en territoire suisse, à Lugano. Il atteint Bâle, franchit la frontière française à Saint Louis, puis se rend à Paris. Là, il trouve le moyen de se rendre très rapidement en Espagne.
Arrivé à Barcelone le 1er octobre 1936, il se rend à Albacete, centre de recrutement des Brigades internationales. Le 10 novembre 1936, il est enrôlé dans la 3ème compagnie du 12ème Bataillon International Garibaldi, commandée par Erasmo Ferrari. Il participe à Madrid avec sa compagnie aux différentes batailles de novembre et décembre 1936 pour la défense de la ville. Début janvier 1937, avec le Bataillon Garibaldi, il se trouve dans la région de Mirabueno et, le 9 du même mois, il est légèrement blessé à la jambe. Hospitalisé pendant environ 35 jours dans une structure médicale de la capitale espagnole, il réintègre le Bataillon de manière opérationnelle à la fin du mois suivant, dans le rôle d’agent de liaison et avec le grade de sergent.
En mars, il prend part à la bataille de Guadalajara et, après la création de la 12ème Brigade Internationale Garibaldi, on le retrouve dans ses rangs comme agent de liaison. Au mois de juin suivant, l’unité combattante dont il fait partie est déplacée dans la région de Huesca. Le 12 juin 1937, un affrontement très sanglant avec l’armée franquiste a lieu, au cours duquel Oreste – surnommé Il Milanin – est blessé gravement aux yeux par l’explosion d’une grenade. Il est transporté dans un hôpital de Barcelone, où il est soigné de manière appropriée et efficace. Il retourne à la Brigade et occupe le poste d’officier à l’Intendance de l’état-major général jusqu’au 20 septembre 1937.
Mais selon certaines sources, les staliniens l’ont arrêté à Barcelone sous l’accusation de défaitisme. Il est relâché 90 jours plus tard, et on le laisse partir en France.
Au mois de septembre, un certain nombre d’officiers et de soldats garibaldiens quittent la Brigade, car ils estiment que leur tâche, en ce qui concerne les engagements du début, est terminée. Parmi eux, Oreste, qui, peut-être influencé par Randolfo Pacciardi et Angiolo Scarselli, quitte l’Espagne avec l’aide de la L.I.D.U. en utilisant un passeport Nansen, et atteint Paris.
Dans cette ville, il n’arrive pas à trouver un emploi stable, bien qu’il soit prêt à faire n’importe quel travail : il traverse donc une période de difficultés, d’épreuves et de privations. Une telle situation incite Oreste à contacter les centres de recrutement de volontaires pour l’Espagne républicaine, dans le but de retourner combattre sur le sol ibérique. Sa demande est acceptée, ce qui lui permet de rejoindre les rangs de la Brigade Garibaldi, 2ème Bataillon de la Compagnie des Mitrailleurs, avec confirmation de son grade de sergent. En septembre 1938, il est présent sur le front de l’Ebre, participe aux actions militaires de la Brigade pendant cette période, et se distingue par son courage et sa vaillance en tant que commandant de compagnie.
Lors du retrait du front des Brigades internationales, Oreste, avec les autres garibaldiens, se rend à Barcelone, où il a pris part au défilé de salut du 28 octobre, dont on se souvient comme de la "Despedida". Plus tard, il ne se rend pas au camp de démobilisation de Torellò, mais décide de rester dans la capitale catalane. En raison de son jeune âge et d’une conscience politique très fragile, car peu soutenue par des convictions profondes, il fréquente dans cette ville des milieux moralement et politiquement équivoques, qui l’exposent à des critiques, des insinuations et des suspicions ayant pour effet de miner sa crédibilité en tant qu’antifasciste. Son compagnon dans ces vicissitudes est le milanais Riccardo Molina. Certains prétendent même qu’ils sont arrêtés pour des actes non politiques. Ce qui est sûr, c’est sa présence dans le flot de la Retirada, et son passage en territoire français au début du mois de février 1939, ainsi que son internement dans le camp de prisonniers d’Argelès-sur-Mer. Dans ce camp, il fait partie, avec 116 autres combattants anti-franquistes italiens, du groupe Libertà o Morte .
Trois mois plus tard, Oreste se retrouve dans le camp de concentration de Gurs : il n’y reste pas longtemps car il s’en échappe. Affrontant un long et dangereux voyage, il atteint le Grand-Duché de Luxembourg en mai 1939. Il y reste jusqu’au 12 juillet 1939, travaillant dans l’agriculture, lorsque, repéré par les autorités policières locales, il est arrêté et déporté vers le territoire français. Il se rend dans le sud de la France, se rapproche des milieux anarchistes qui l’aident à survivre, et rejoint la FAI. Cette vie difficile le décide à se présenter au consulat italien de Lyon pour être rapatrié. Il quitte cette ville le 1er août 1940, arrive à Bardonecchia le 3, où les autorités frontalière l’arrêtent. Il est emmené à Milan et enfermé dans la prison locale de Piazza Filangeri n° 2, c’est-à-dire San Vittore. Le 7 septembre, soumis à un interrogatoire, il est renvoyé devant la Commission provinciale de police, qui lui assigne, le 7 octobre 1940, cinq ans de relégation à purger à Ventotene, comme combattant anti-franquiste en Espagne. Dans la période précédant sa libération, le 22 août 1943, il se peut qu’il ait été transféré aux îles Trémiti pendant un certain temps.
Une fois libéré, Oreste retourne à Milan et rejoint les formations de partisans piémontais dans le Val Sesia, incorporé dans la 6ème Brigade garibaldienne "Nello", faisant partie de la division "Gaspare Pajetta", dont il devient ensuite le commissaire politique.
Oreste Della Torre décède à seulement trente-six ans le 13 décembre 1950. Il est enterré au cimetière de Musocco à Milan (sa dépouille se trouve dans la parcelle 94/C, bâtiment 676, où sont enterrés les invalides et les mutilés de guerre).
Le 7 novembre 1976, le Conseil régional de Lombardie décerne à Oreste Della Torre la médaille d’or commémorative, attribuée à l’occasion du 40ème anniversaire de la guerre civile espagnole. Par décret du Président de la République du 3 juin 1991, enregistré à la Cour des comptes le 14 septembre de la même année, registre n° 39 Défense, feuille n° 377, on lui décerne la Médaille de bronze de la valeur militaire pour activités partisanes.
Della Torre selon Pavanin :
« Nous ne connaissons pas son passé. De son comportement en Espagne, on peut conclure qu’il s’agit d’un élément idéaliste fanatique sans une idée antifasciste claire mais plutôt la figure d’un aventurier prêt à tout pour pouvoir mener la belle vie sans travailler. Un élément qui souffre beaucoup de l’évolution de la situation. Nous ne serions pas surpris si un jour Della Torre se retrouvait au service du fascisme. Della Torre était un antifasciste, un sympathisant communiste, un républicain socialiste et un anarchiste ; il a combattu dans le bataillon d’abord dans la Brigade Garibaldi comme soldat, sergent et enfin comme officier commandant de compagnie. Grade acquis plus par le courage démontré à plusieurs reprises dans le combat que par ses capacités militaires. En septembre 1937 Della Torre, en tant qu’anarchiste influencé par Pacciardi, quitte la Brigade Garibaldi et retourne en France aidé par la Ligue Italienne des droits de l’Homme. A Paris, Della Torre se trouvant dans une nouvelle situation et certainement pas à l’aise financièrement, insiste auprès du comité de recrutement pour retourner en Espagne dans la Brigade Garibaldi, ce qui lui est accordé. À nouveau Della Torre se distingue dans le combat par son courage lors de l’action sur l’Ebre en septembre 1938.
Pendant la démobilisation des internationaux, Della Torre révèle son visage d’aventurier. Avec de l’argent, qu’on soupçonne qu’il a volé à des volontaires, il a vécu de façon arbitraire quelques jours à Barcelone, avec des femmes de mauvaises réputation et en relation avec les pires éléments anarchistes et socialistes italiens de Barcelone. Il s’est solidarisé avec eux dans la lutte contre les communistes et est devenu un de nos ennemis déclarés. Della Torre a poursuivi cette position en tant qu’ennemi de l’antifascisme dans le camp de concentration de Gurs en France.
PAVANIN 20-3-1940.
Sources :
• http://www.antifascistispagna.it/?page_id=758&ricerca=1733
• K1 B45, lombardi e ticinesi per la libertà in Spagna / Istituto milanese per la storia della Resistenza e del movimento operaio ; con la collaborazione del Comitato lombardo dell’Associazione italiana combattenti volontari antifascisti di Spagna ; presentazione di Alessandro Vaia ; saggio introduttivo di Gianfranco Petrillo. - Milano : Vangelista, [1976 - 206 p. ; 21 cm. - (Collana di studi e biografie). - [BNI] 779292, p. 93-94.
http://www.anarca-bolo.ch/cbach/biografie.php?id=259
Sur Riccardo Molina voir : https://www.antifascistispagna.it/?page_id=758&ricerca=2257
Les giménologues , 4 février 2023
Traduction : Jackie et Léo