David Rappe, Espoirs déçus. Engagements antifranquistes et libertaires durant la « transition démocratique » espagnole (nouvelle édition revue et augmentée), avant-propos de Freddy Gomez, Lyon, Atelier de Création Libertaire, 2021, 189 p.
Ce livre aurait dû voir le jour avec la participation de Bernard Pensiot (1948-2018) qui n’a jamais voulu remettre les pieds en Espagne depuis 1978. Avec son ami Victor Simal, il avait subi alors trois jours de tortures dans la caserne de la Guardia civil de Barcelone, puis neuf mois d’incarcération à la prison Modelo. Ils avaient été piégés avec des libertaires espagnols dans un énième processus de criminalisation du mouvement anarchiste dont l’État espagnol a le secret depuis 1870.
En 2008, David Rappe décida Bernard à se prêter à une série d’entretiens qu’il prolongea en effectuant des recherches sur la « transition démocratique » (novembre 1975-octobre 1982). Tout ceci a nourri la première édition de ce livre. La rencontre en 2020 avec l’équipe du film « Amis dessous la cendre » – dont Victor est le protagoniste principal – a enrichi la suivante de nouveaux entretiens, grâce à des retrouvailles entre protagonistes, quarante ans après. Une synergie s’est créée entre ces deux supports qui se diffusent désormais ensemble. Ils donnent à voir, le plaisir et la détermination intacts, des hommes et des femmes actifs en cette époque effervescente – et qui le payèrent très cher.
Espoirs déçus s’articule autour du parcours de Bernard venu en 1973 à Perpignan, l’un des « centres de la solidarité libertaire avec l’Espagne », et notamment avec les prisonniers de l’ex-MIL et des GARI. Il s’engagea à fond dans les passages de propagande, de personnes, et parfois d’armes, de part et d’autre des Pyrénées. Cela continua après la mort de Franco, en liaison étroite avec un groupe d’affinité libertaire de Barcelone qui pratiquait des expropriations bancaires et soutenait les grèves.
Car en 1976-1977, le renouveau des idées et pratiques libertaires éclatait au grand jour en Espagne, sur fond de grèves et de grandes mobilisations sociales. Des centaines de milliers d’ouvriers s’autoorganisèrent en assemblées souveraines, boycottés par les organisations politiques mais soutenus par la CNT en voie de reconstruction. Elle sera aussi la seule à appuyer la massive – et unique en son genre – révolte des détenus de droit commun exclus de l’amnistie, coordonnée par les Prisonniers en Lutte (COPEL).
Recrutés dans tout le spectre politique et syndical, les nouveaux gestionnaires du capitalisme signeront le 25 octobre 1977 le pacte de la Moncloa en vue de restructurer les secteurs industriels en crise et de « réduire la conflictualité sociale ». Seule la CNT s’y opposera.
Le ministre de l’Intérieur décide alors d’en finir avec la renaissance de l’anarchisme et consigne fut donnée d’infiltrer la CNT et les groupes autonomes, et d’organiser des provocations dont trois d’entre elles furent terriblement efficaces : l’attentat contre la Scala en janvier 1978 ; l’arrestation d’Agustín Rueda en octobre 1977, puis la rafle du groupe de Barcelone et de quatre Français, dont Bernard et Victor, en février 1978.
L’objectif était de présenter tous ces militants comme le « bras armé de la CNT » pratiquant un terrorisme transfrontières. Nos amis vérifieront dans leur chair que les tortionnaires franquistes restaient opérationnels, et que la solidarité de la COPEL n’était pas un vain mot. Ils témoigneront depuis la Modelo de la violence de la répression, relayés par le Comité de soutien de Perpignan.
Tout cela finit par entraver la reconstruction de la CNT, faisant ressurgir des oppositions qu’elle semblait maîtriser jusque-là : les 300 000 affiliés de 1977 se réduiront à 30 000 en 1979.
Myrtille Gonzalbo