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À l’ombre de Victor
Ami devant ta cendre ton rire va nous manquer

Poème de Jo Falieu

À l’ombre de Victor
Ami
devant ta cendre
ton rire va nous manquer
en un refrain de Carmagnole
tu libérais des insoumis
faisais vibrer les casseroles
sur l’air du ça ira
et ça va pas du tout si mal quand on laisse venir les souvenirs
car j’ai gardé de toi
cette fureur de vivre
qui t’habitait comme un jasmin
tu avais à la fois la noblesse des sages la bonne humeur des attendris
et cette juste envie de paraître ce que tu es
ta vie comme un parfum de fleur sauvage
qu’on cueille à l’orée d’un bocage
avec ce goût de champignon
comme une aquarelle
dans le décor de la vie
Tu avais la turbulence des enfants du désir
et tu t’approchais toujours de l’essentiel
avec cet abandon aux choses tristes
et tu préférais toujours faire que dire
alors ton rire éclatait comme une farandole
et tu traçais des chemins d’existence
pour les aveugles et pour les sourds
Je suis fier aujourd’hui d’avoir été ton ami
un bon bout de chemin ensemble
sur la margelle du temps
et je cueille mes souvenirs
un à un sur un bouquet de fleurs sauvages
En ces temps-là
comme un rite dans les méandres du quotidien
t’avais tenu pari
de fuir la capitale
une partie de l’an mitg –mitg en réalité
avec cette pudeur
je te les offre aujourd’hui
qu’on n’accorde qu’à ceux qu’on aime
avec qui on a partagé
une parcelle de vie
Serge nous l’avait dit
mais toi tu l’avais fait
Allà anirem
a contemplar les neus i viurem a baix del Pirineu
et ce fut Montauriol sur les coteaux des Aspres le hasard nous fit donc voisins
j’étais à Caixas avec Martine et Coral s’occupait souvent des enfants chez toi
pendant tes fugues à Paris
Toujours à fond la caisse Victor
tu comptais pas les heures
car il fallait beaucoup
pour vivre toute un année
en travaillant six mois à faire taxi de nuit et de jour dans ton Paname
qui broyait sa lumière
sur ton temps de bonheur
Nous aimions le désordre
cette complaisance des sobres
à ne pas désespérer à voir la vie avec des bretelles de clown
comme on brule en dentelle
et tu tirais dessus les choses de la vie
Ah ! la fois de la blanche
cette saloperie de phalloïde
qui s’était glissée dans le panier de Marcus hilare et menaçante
comme une onde de beauté
ce jour-là j’étais de passage
j’ai pas bouffé avec vous mais tu m’as raconté
le bonheur de s’en envoyer plein les babines
Heureusement Mariane n’y avait pas touché
elle vous a descendu dare-dare
chez le pharmacien le plus proche à Fourques
qui vous a pris pour des défoncés
et c’est la course jusqu’à l’hosto
et le lavage des tubes à se tordre de douleur
Victor t’étais tout ça on fonce
et ça bosse
pour un plaisir de vivre
libre
on souffre on rit
sans rien devoir à personne
dans l’offrande et dans le partage
comme de vrais amis
Je me souviens aussi du mas Félip
colonie de vacances à la sauvage entre copains
Dominique, le docteur des brebis nous accueillait
avec Odile et Jean-Louis
je n’oublie pas Claudine et Brigitte
pour nous tous
une manière jouissive de s’occuper de nos enfants et de quelques autres
Peut-être avions-nous la folie des artistes
aux parents déclinants
la liberté guidait nos pas
et c’était déjà pas si mal
d’inventer ces moments insolites
dont nous faisions vertu
dans cet Ilot du monde
la vallée d’Aïguatébia
la rivière dans le bas
résonne encore de nos tendresses
Vinrent d’autres séjours
à Ponteilla
nous fîmes Communauté
la porte était ouverte
en plusieurs lieux du village
aux évocations magiques là j’ai beaucoup appris
de savoirs-faire riches
autant de choses que je ne savais pas
de choses inattendues cuisine menuiserie
et que je découvrais
Plus tard la période Vall Rich
avec en plus l’art de devenir anar
dans un grand mas de plaine
splendide et sordide à la fois
qui aujourd’hui scandent mes jours
comme une évidence dans une belle insouciance
que t’avais dégotté à Montescot
c’était avec avec Solange Christine et Jean-Pierre
Victor peut-être à ce moment là
ressentais-tu le plus l’appel de l’Espagne
ce temps d’après Franco
qui subsistait encore
un besoin une nécessité pour toi incontournable comme une destinée
De plus en plus autour de toi
nous ressentions ton écart justifié de ne pas nous mêler à tes exigences
nous percevions l’ombre des RG
rodant dans les parages
et le poids de ces instants troublés
nous rendait parfois étrangers
Ta disparition subite et ton arrestation
attestaient bien entendu de cette crainte
et nous exaltait tout à la fois et nous étions comme ces albatros
qu’un ciel d’orage
perdus dans la tempête ramène au port
Parmi nos récentes plus belles rencontres
je te prie de noter
ce jour-là à l’invitation de Gérard
cargolade au casot de Sahorre
tous les ingrédients étaient là
pour te laisser aller à l’évocation du passé
ses jours tristes et ses jours meilleurs
mais nous avions besoin de sentir
que quelque chose s’était passé
et que si ça n’avait plus cours c’était encore là
comme un chemin d’exil
comme un vagabondage au pays des symboles
et nous immolions des terreurs
pour faire vivre la beauté du monde
sur fond d’ Amis dessous la cendre
comme un signe indispensable
pour changer le titre de ton film
déambulatoire dans les couloirs de la Modelo
C’est pourquoi
je resterai toujours quelque part
comme en attente
jusqu’au fond de ma propre nuit
à l’ombre de Victor
éternel ami-camarade

Jo Falieu 20 05 2022