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Eléments supplémentaires sur la famille Tricheux

Eléments supplémentaires sur la famille Tricheux [1]

« Cameraman et photographes immortalisent le 23 janvier 1938 le bombardement de Puigcerdá par les alliés Italiens de Franco »

Alphonse Tricheux fut très impliqué dans la solidarité active avec les révolutionnaires espagnols. Mais le plus remarquable, c’est que les cinq membres de cette famille, qui faisaient partie du même groupe libertaire à Toulouse, partirent « comme un seul homme » rejoindre les groupes actifs anarchistes à Puigcerdá dès la fin juillet 1936.

David Berry dans son gros travail sur « Les anarchistes français en Espagne. 1936-1939 » [2] évoque l’activité d’Alphonse, de Paule, sa femme et de Noëlle [3], leur fille, au sein de la « Section française de Puigcerdá » créée en novembre 1936 ; ils en étaient les principaux membres fondateurs et animateurs :

« The Puigcerdá French Section - just over the border from Bourg-Madame, and one of the main border crossing points - was created in November 1936 with the agreement of the FAI in order to strengthen the liaison between Barcelona and French libertarian organizations. The group’s delegate was Albert Perrier/Périer, a 39 year-old labourer, secretary of the building workers’ union (CGT) in Périgueux and a member of the Union Anarchiste, who came to Puigcerdá in August 1936 and did not leave until 1939. He was assisted by three members of the Tricheux family from Toulouse : Alphonse, a 56 year-old metal worker and a member of the CGTSR ; his wife, Pauline, about whom - typically - we know little else ; and their daughter, Noëla. Pauline was in fact more active in two other groups : a Spanish women’s group, the Groupe d’action culturelle et d’éducation des femmes libertaires à Puigcerdá, in which she was responsible for propaganda ; and, later, the Comité Pro-Refugiados de Puigcerdá, in which she also played a leading rôle. After February 1937, the three groups worked together to care for refugee women and children from Malaga, but all anarchist or syndicalist organizations in and around Puigcerdá were suppressed by the government offensive against anarchist control of the border around April 1937. All three of the Tricheux would be arrested in June or July 1937, and held for some weeks before being allowed to return to France ».

Dans la liste de Berry sur les « Victims of political repression. French libertarians imprisoned in Spain during the civil war », les deux fils Tricheux, Eugène et Marius sont aussi mentionnés comme présents en Espagne, et nos savons par ailleurs qu’ils intervenaient aussi à Puigcerdá :

Tricheux, Eugène
One of the sons of Alphonse and Pauline, Tricheux was a prisoner in the Carcel Modelo, according to a letter of Danon’s dated 24 September 1937. He had been arrested by the Tcheka, along with his friend Henri Gomez, for involvement in an escape attempt. Gomez - about whom we know nothing else - was arrested for attempting to smuggle capital out of the country.

Tricheux, Marius
According to an article on ‘La répression stalino-bourgeoise en Espagne’ in Le Libertaire, Tricheux was one of the those arrested by the NKVD in 1937. He was released some weeks later.

Rolf Dupuy a rédigé des notices sur les membres décidément très unis de cette famille [4] ; en voici quelques extraits :

TRICHEUX, Alphonse, Jean
Né le 22 janvier 1880 à Lézignan (Aude) – mort le 6 octobre 1957
Tourneur sur métaux - UA - UACR – FA – CGTSR – Toulouse (Haute-Garonne) - Barcelone (Catalogne).
Fils d’un mécanicien aux chemins de fer militant anarcho-syndicaliste (Eugène), Alphonse Tricheux, tourneur sur métaux, appartenait dans les années 1920 au groupe Bien-être et Liberté de Toulouse (Haute-Garonne) avec notamment Alexandre Mirande, V. Nan, Teule, Galy et Membrado. Les 15-16 août 1925, il fut délégué de Toulouse au congrès de la Fédération révolutionnaire du Languedoc, organisation qui avait été fondée à Béziers le 29 octobre 1924 ; il devint l’un des principaux dirigeants de la Fédération anarchiste du Midi et collabora au Libertaire, journal de l’Union anarchiste.
Pour avoir publié des articles contre la guerre du Maroc, il fut condamné en avril 1926 à huit mois de prison par le tribunal correctionnel de Toulouse sous l’inculpation de « provocation de militaires à la désobéissance » et ne fut libéré que le 3 décembre après avoir effectué l’intégralité de sa peine.
Alphonse Tricheux fut aussi l’un des dirigeants de la CGT-SR. Il assista au congrès de l’Union anarchiste communiste révolutionnaire (UACR) qui eut lieu à Paris les 19, 20 et 21 avril 1930 et fonda à Toulouse, en octobre, le Comité des réfractaires à toute guerre. Il fut dans cette ville l’un des organisateurs du congrès de l’UACR qui eut lieu les 17 et 18 octobre 1931. L’année suivante, en juin, il assista à Angers au premier congrès de la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP).
Au début des années 1930, avec sa compagne Paule il adopta le fils des militants bulgares Dimitar Balkov et N. Popova qui venaient de mourir. En 1932 il servait de boite aux lettres au Comité de relations de la Fédération des groupes anarchistes espagnols en France qui avait été reconstitué à Toulouse au mois de mai.

Il fut l’un des dirigeants du Comité de relations de la Fédération anarchiste du Midi constitué en juin 1933 à l’issue du congrès tenu à Coursan (Aude).
En mai 1936, il fut délégué par la CGTSR au congrès de la CNT espagnole à Saragosse et, dès juillet 1936, partit avec sa compagne pour l’Espagne où il s’engagea dans les colonnes anarchistes. En juin 1937, il fut arrêté et emprisonné à Puigcerdá par des éléments communistes. A sa libération au bout de quelques jours, il rejoignit Toulouse, tandis que sa compagne et leur fille étaient retenues à Puigcerdá.

Lors de la retirada et de l’accueil fait en France aux milliers de réfugiés espagnols parqués dans des camps, il écrivait dans un article intitulé « On nous fait faire lâcheté sur lâcheté » : « … Ainsi c’était cela cette République amie, cette démocratie de laquelle ils attendaient tout, qui volerait à leur secours, qui comprendrait, qui agirait ? Honte à toi, peuple de France qui n’a pas compris ton devoir ! Que deviens-tu « berceau des révolutions » ? Cache-toi, ensevelis-toi dans ta honte ; rentre dans ton tombeau car tu trahis ton passé. Les révoltés du monde quand ils étaient traqués cherchaient naguère chez toi un refuge, c’est dans les prisons aujourd’hui que tu les héberges… Le moindre souffle de la Révolution passant en n’importe quelle partie du globe trouvait en toi, France, un défenseur ; maintenant c’est du coté des oppresseurs que tu te ranges… Je rougis d’être Français ! ».
Analysant la situation il ajoutait : « … Ah je sais : à tout prix éviter la guerre, ne rien faire qui puisse servir de motif de guerre. Résultat : l’Espagne écrasée, l’esprit de liberté en recul, l’extermination des meilleurs révolutionnaires, l’établissement du fascisme dans la péninsule ibérique sous la tutelle des Mussolini et des Hitler ; de telle façon que cette guerre dont on aura dit que l’on voulait tout faire pour l’éviter, on l’aura rendue inévitable ; car, que l’on ne s’y trompe pas, il faudra après la victoire de Franco « donner à gagner » aux magnats du béton, des plaques blindées et des gros canons.. » (Cf. SIA, 26 janvier 1939)

Pendant l’Occupation, la fermette des Tricheux, aux portes de Toulouse, servit de lieu de contact et de rencontres aux illégaux de toutes nuances. Le 19 juillet 1943 s’y tint un « congrès » anarchiste auquel participèrent A. Arru, Voline et M. Laisant, congrès tenu en vue de redonner vie à la Fédération anarchiste.

Après la Libération, Alphonse Tricheux, qui en janvier 1946 avait été remplacé par R. Clavé au secrétariat du groupe Bien être et liberté reconstitué à la Libération, milita à la Fédération anarchiste jusqu’à sa mort survenue le 6 octobre 1957 à Toulouse.

TRICHEUX, Eugène, Léon
Né le 1er avril 1901 à Lézignan (Aude) – mort le 24 septembre 1963
Ouvrier du bâtiment - UA – CGTSR – Toulouse (Haute-Garonne). Eugène Tricheux, fils d’Alphonse Tricheux et de Paule, et frère de Marius, était en 1926 l’un des animateurs du groupe anarchiste toulousain Bien-être et Liberté et de la CGTSR de Haute-Garonne. Il assurait le secrétariat adjoint du syndicat du Bâtiment et des Travaux publics de Toulouse.
Eugène Tricheux mourut le 24 septembre 1963 à Toulouse (Haute-Garonne).

TRICHEUX, Marius, Paul
Né le 9 janvier 1903 à Lézignan (Aude) - mort le 16 décembre 1963. Ouvrier du bâtiment – UA – CGTSR – Toulouse (Haute-Garonne). Marius Tricheux, comme ses parents Alphonse et Paule et son frère Eugène, était membre dans les années 1920 du groupe anarchiste toulousain Bien-être et Liberté et de la CGTSR de Haute-Garonne. Il occupait la fonction d’archiviste du syndicat du Bâtiment et des Travaux publics de Toulouse. Marius Tricheux est décédé à Toulouse le 16 décembre 1963.

TRICHEUX, Paule
Morte fin 1960. Lingère – UA – Toulouse (Haute-Garonne) – Puigcerdá (Catalogne).
Comme son compagnon Alphonse et leurs enfants Eugène et Marius, Paule Tricheux était membre dans les années 1920-1930 du groupe toulousain Bien-être et Liberté. Dès le début du coup d’Etat franquiste de juillet 1936 elle était partie en Espagne avec Alphonse. En février 1937 elle était l’une des déléguées à la propagande du Groupe féminin libertaire de Puigcerdá. Le bureau de ce groupe était formé par Pierrette Cerda (secrétaire), Emilia Moline ( secrétaire adjointe), Lucia Cabello (trésorière), Madeleine Pérez (trésorière adjointe), Aurora Lorenzo, Emilia Lopez, Buenaventura Vidal et Carmona Sola (déléguées à la propagande). Suite aux affrontements de mai 1937, Paule Tricheux fut arrêtée en juin 1937 à Puigcerdá par les staliniens et détenue quelques mois. A la libération elle participa au groupe Bien-être et Liberté reconstitué et adhérent à la Fédération anarchiste.
Paule Tricheux est décédée à Toulouse à la fin de l’année 1960.

« La révolution en Cerdagne » et « La reconquête sanglante de Puigcerdá par la République »

On trouve également des mentions de la famille Tricheux dans la thèse d’Edouard Sill, présentée à Tours en 2006 : « Ni Franco ni Staline. Les volontaires français de la révolution espagnole ». Nous en reproduisons ci-dessous deux extraits car ils nous informent de manière plus complète sur l’activité des anarchistes français dans cette petite ville de Cerdagne.

Une de ses sources est le Mémoire de maîtrise de Jean-Louis Blanchon : « Une expérience libertaire en Cerdagne 1936-1937 », Toulouse 1986, ainsi qu’un article du même auteur : « La Cerdagne française face à l’expérience anarchiste de Puigcerdá (1936-1939) » in « Les Français et la guerre d’Espagne » actes du colloque de Perpignan des 28-29-30 sept 1989. PUP 2004.

Ni Franco, ni Staline !

Miliciens et militants révolutionnaires en Espagne 1936-1939

Edouard Sill
Master II d’Histoire Contemporaine.
Université François Rabelais de Tours.

Sous la direction de Mr Largeaud.
Juin 2006

Extraits

Chapitre 3

Un trait d’union entre solidarité et participation directe : la communauté française de Puigcerdá.

I. La révolution en Cerdagne

Une identité liée à la frontière

La Province de Cerdagne, à cheval sur les Pyrénées, constitue un point de
passage ancien entre les « deux sœurs latines ». La frontière, qui marque la séparation entre les deux pays depuis le Traité des Pyrénées, la partage également en une partie française et une espagnole. Le chef-lieu de la partie espagnole, le Comarque de Cerdagne [5] , est la petite ville de Puigcerdá qui jouxte le village français de Bourg Madame. La frontière qui partage la Cerdagne a cependant oublié un petit morceau de terre espagnol au sein du Roussillon : l’enclave de Llivia, qui se retrouve liée à la Cerdagne Espagnole par un chemin déclaré neutre et véritable paradis des contrebandiers.

La double identité de la Cerdagne lui a toujours profité car le tracé de la frontière était jusque là plus implicite que concret. La révolution et la guerre marquent désormais une réelle distinction profonde entre les deux parties, entre celle en guerre et l’autre en paix.

Puigcerdá, ville transfrontalière, subit la guerre à travers sa proximité avec la France mais surtout par sa situation d’unique point de passage routier favorable de la région. La route offre de plus une certaine discrétion que n’en possèdent les routes et chemin de fer via Port Bou sur la côte Catalane. La ville ne dispose pas en juillet 1936 de garnison militaire mais seulement un peloton de carabiniers [6] ce qui explique la prise du pouvoir local sans heurts par les organisations ouvrières mais signifie également que le contingent local doit dorénavant composer avec les miliciens pour le contrôle de la frontière.

En fait, l’autorité de la Généralité de Catalogne est parfaitement inexistante sur la frontière jusqu’au mois d’avril 1937 [7]. C’est, d’ailleurs, le prétexte de la réinstallation des douaniers le 16 avril 1937 par décision du président Negrín qui met le feu aux poudres et achève le pouvoir anarchiste de Cerdagne. Pendant neuf mois, la gestion de la frontière est ainsi assurée directement par le Comité révolutionnaire de Puigcerdá. La capitale cerdane est alors le lieu de prédilections des passages de matériel de guerre, des transferts discrets, de contrebande mais aussi une place réputée pour le rançonnage, qui s’y exerce, des émigrés espagnols [8] . C’est également par Puigcerdá qu’il est tenté, début septembre, de faire parvenir des munitions vers Irun assiégée [9] mais aussi là que parviennent les survivants de la résistance Basque et la « Colonne de la mort » des réfugiés d’Irun ; la ville n’a donc pas un rôle militaire direct mais, de part sa situation frontalière, une liaison avec le front. La guerre se fait plus prégnante avec l’arrivée de la seconde vague de réfugiés en février 1937, ceux de Malaga que la Catalogne recueille et distribue dans les Comarques de l’arrière. Ils sont
entre 300 et 400 à Puigcerdá [10] c’est-à-dire beaucoup pour une petite ville et cette situation nécessite alors la création d’un Comité pro-réfugiés. Sa gestion, ou plutôt son dynamisme, est notamment le fait de militantes françaises.

La prise du pouvoir local par les organisations ouvrières semble s’être faite sans difficultés particulières. Jean Louis Blanchon juge que la CNT disposait alors d’une situation confortable dans la région et l’élaboration du Comité révolutionnaire reprend la composition partagée par la plupart des nouveaux pouvoirs locaux ou municipaux en Catalogne : « Presque aussitôt après, les délégués de la CNT et de la FAI arrivaient à Puigcerdá et constituaient un Comité de Front Populaire composé de trois représentants du Front Populaire, de deux communistes libertaires et d’un représentant de la FAI. Mais ce comité dura à peine un jour. Il fut remplacé par un nouveau composé exclusivement de communistes libertaires et d’anarchistes. » [11] L’originalité tient surtout au fait que la Cerdagne prend une certaine indépendance vis-à-vis « du gouvernement de Catalogne dont elle recevait les ordres par pure courtoisie, les directives sans en tenir compte [12] ».

Les premières arrivées de volontaires français à Puigcerdà.

Les institutions nouvelles et l’enthousiasme initial qui suit les premiers jours de la révolution marquent particulièrement les premiers arrivants français. Les témoignages que publient les journaux de la presse révolutionnaire française jouent ainsi, à l’évidence, un rôle dans la notoriété que prend alors la Cerdagne anarchiste en France. Ainsi, à peine deux semaines après le 19 juillet on peut lire dans Le Libertaire [13] un récit de Pierre Albert [14] de Narbonne :

« Nous sommes arrivés à Puigcerdá, hier matin, et avons trouvé un enthousiasme tel que tous les espoirs nous paraissent permis. Le peuple est armé, voila qui est de bon augure. Il ne se laissera pas ravir l’instrument de son émancipation. Ceci est sûr. L’organisation est parfaite, avec beaucoup de doigté, les éléments syndicalistes et faïstes n’écrasent nullement les représentants des organisations voisines dans l’Alliance ouvrière. Par leur influence incontestable, ils ont vu juste à mon avis. Mais ce qui compte, c’est que les décisions prises par le Comité révolutionnaire sont toutes marquées de l’empreinte anarcho-syndicaliste. […] Je suis très bref, car nous devons partir sur Saragosse ce matin même ou bien sur Barcelone pour être dirigés sur des foyers d’insurrection du centre de l’Espagne. Fraternel salut de tous les copains [15] ».

Un autre témoignage sous forme de chronique-reportage, celui de Ridel et Carpentier, évoque également Puigcerdá avec chaleur dans le Libertaire :

« Les repas sont gratuits aux miliciens et combattants. Tous les non combattants doivent travailler. La semaine de 36 heures est appliquée et 15 % d’augmentation sur les salaires. De ce côté tout marche bien [16] ».

Un collaborateur régulier du Libertaire, Lashortes [17], se rend fréquemment à Puigcerdá d’où il rapporte des articles célébrant la mise en place de la « cité future » [18] et appelle ces compatriotes à y participer directement et pratiquement.

Cet engouement parmi les libertaires français pour Puigcerdá vient également de la personnalité de l’homme fort, pour ne pas dire le chef, du Comité Révolutionnaire de Puigcerdá dominé par les anarchistes : Antonio Martín. Ce dernier a milité en effet de nombreuses années dans les cercles anarchistes parisiens [19] des années 20. Lorsque Maurice Jacquier effectue son premier séjour en Espagne en passant par Puigcerdá, il est particulièrement surpris de le retrouver à la tête du Comité Local des Milices Antifascistes [20] et donne un témoignage savoureux de ses retrouvailles avec l’ancien cordonnier [21] de Montparnasse. Antonio Martín est un personnage aux contrastes forts et Jean Louis Blanchon dans son étude sur l’expérience libertaire en Cerdagne rapporte que son nom évoque encore des souvenirs très marqués voire franchement hostiles dans les enquêtes orales qu’il a réalisées dans les années 80 mais signale également que l’homme était de fait un remarquable meneur d’hommes [22].

II. Les miliciens français

Dès la fin juillet, Le Combat Syndicaliste signale des Français à Puigcerdá [23] et, à la mi-août, le même journal fait état de la correspondance d’un certain « M », militant français présent à Puigcerdá d’où il donne des nouvelles de quatre français également membres de la CGT-SR [24] dont deux militants de Narbonne. L’un d’entre eux a « été chargé de loger les compagnons venus d’un peu partout, dans un des trois grands hôtels réquisitionnés et organisé un restaurant coopératif pour les mêmes [25] compagnons »

Les gardes mobiles stationnés à Bourg Madame font également parvenir des rapports à propos de l’intégration de certains français dans la milice locale [26]. Ridel et Carpentier, dans un courrier envoyé au Libertaire au même moment, insistent sur le fait que la participation à la vie locale passe nécessairement par l’admission dans la milice de Puigcerdá :
« De nombreux groupes d’espagnols et de français sont arrivés et sont entrés dans la milice. Nous retrouvons des copains de Narbonne, de Tarbes, etc. Ils participent déjà à la besogne quotidienne avant de rejoindre les colonnes. [ …] Cent cinquante volontaires sont partis en train vers Barcelone. [27] »
Il est particulièrement difficile d’établir avec précision le nombre de volontaires français qui sont passés, ou même restés, dans la milice de Puigcerdá. La
plupart des volontaires français partent pour Barcelone, une minorité reste sur place et une partie d’entre eux rejoint directement le front ; ils sont alors notamment concentrés à Tarragone comme les miliciens espagnols de la région. Enfin, la plupart sont intégrés à la colonne de la FAI Hilario-Zamora qui se constitue à partir des miliciens de l’Ouest de la Catalogne. Puigcerdá fournit la 5e Centurie de la colonne en décembre 1936 mais les miliciens français venus de Puigcerdá sont suffisamment nombreux pour créer un groupe international dans la colonne, le « groupe international [dit] de Puigcerdá » [28]. A l’origine, il y a l’un des tous premiers groupes de volontaires français qui part de la banlieue nord de Paris le 22 juillet 1936. Ils restent quelque temps à Puigcerdá avant de rejoindre la Columna Hilario Zamora mais la plupart des membres de ce groupe sont des espagnols de Saint Denis, les français qui les accompagnent les suivent sûrement par esprit de groupe vers cette unité. En tout cas, ces français et leur délégué Armand Aubrion, combattent durement sur l’Ebre à Zaïda avant d’être rejoints en novembre par les français de la Centurie Sébastien Faure. D’après son travail sur les listes de miliciens demeurés à Puigcerdá, Jean Louis Blanchon signale que « De fait, les cent cinquante noms de miliciens connus ont le plus souvent une sonorité ibérique à part une dizaine d’exceptions : Pierre Grave, Jean Barde, Ivan Deguot, Georges Vieu, Paul Galtier, Alphonse Tricheux [29], Paul Loubic et Paul Dermy. [30] » Le seul nom identifiable parmi ceux que relève Jean Louis Blanchon est celui d’Alphonse Tricheux [31] qui reste dans la milice de Puigcerdá jusqu’en mars 1937. Peut-on alors en déduire que les sept autres miliciens de la liste sont restés de façon permanente ? Parmi les rares témoignages qui abordent ce sujet, on note également la présence de miliciens d’autres nationalités, italiens, tchèques et allemands, sans atteindre apparemment l’effectif des miliciens français. Le journal français de droite L’Eclair rapporte à ses lecteurs qu’il y a cinquante miliciens français à Puigcerdá en mai 1937 mais il est difficile de juger de la pertinence de cette estimation car les journalistes travaillant pour des journaux jugés inamicaux ont été expulsés [32].

La population garde plutôt une mauvaise image des miliciens français d’après les entretiens oraux réalisés par Jean louis Blanchon : « Ils faisaient les chefs sans travailler [33] », ils étaient parmi les plus violents des miliciens mais surtout on les accuse d’avoir été des « planqués ». Il est ainsi reproché aux miliciens français de Cerdagne « d’avoir choisi de faire la révolution à l’arrière pour ne pas être au contact direct des fascistes en Aragon [34] ». On notera qu’il s’agit néanmoins d’une remarque récurrente vis-à-vis des miliciens locaux ou des membres de la Retaguardia [35]. En France la presse n’est pas plus généreuse à leur sujet : lors de l’offensive des troupes régulières du Gouvernement sur Puigcerdá, l’Indépendant évoque la question des miliciens étrangers :
« La situation à Puigcerdá devient de plus en plus confuse. Les anarchistes démolissent la prison. Cinquante miliciens français, italiens et tchèques cherchent à quitter la ville ; la police française ne leur permet pas le passage et l’on laisse faire courir le bruit que ces miliciens ont peur d’aller sur le front. [36] »
La présence des volontaires français à Puigcerdá est cependant suffisamment importante pour motiver la création de plusieurs groupes français très originaux dont on trouve essentiellement l’écho à travers le journal local des Juventud Libertarias [37] : le quotidien Sembrador. Il s’agit d’un journal à la mise en page très soignée, aérée et dont les articles témoignent d’un réel dynamisme culturel ; il est le seul quotidien libertaire Cerdan. A l’automne 1936, dans certains numéros, les petites annonces concernant des français occupent parfois la moitié des brèves [38], preuve de la collaboration de français au journal. Au début de l’année 1937, une double page

francophone y est introduite (Pagina de colaboración en francès) et est offerte à l’expression du Groupe de Langue française et au Groupe Féminin.

III. Le Groupe de Langue Française de Puigcerdá.

La création d’un groupe français spécifique à Puigcerdá ne correspond pas à une décision pratique prise par le CASDLPE ou une organisation quelconque. : Il s’agit d’un rassemblement de militants présents sur les lieux qui ont jugé utile de se regrouper par affinité linguistique vers l’automne 1936, soit bien après les premières vagues d’arrivée de volontaires. La naissance du groupe est annoncée dans le Combat Syndicaliste par une simple note :

« Nos amis séjournant dans la localité frontière de Puigcerdá ont constitué un groupe anarchiste de langue française. Son but est de renforcer la liaison entre les groupes français et Barcelone. Ce groupe est constitué avec l’assentiment de nos camarades de la FAI. Pour toute correspondance, s’adresser à Albert Perrier, Hôtel Salvat, Bourg Madame, Pyrénées-Orientales. « A Puigcerda » in Le Combat Syndicaliste n°185 du 4 décembre 1936. »

Il est certain qu’avant décembre 1936 des contacts existent entre les différents comités français de Barcelone et Puigcerdá à propos de l’accueil des volontaires à la frontière [39]. En effet, les membres du Groupe Anarchiste de Langue Française semblent jouer un rôle dans le contrôle à la frontière mais il n’est pas possible de considérer l’ampleur de leur activité : il n’existe pas de bureau de contrôle français officiel à Puigcerdá comme celui créé à Barcelone fin août.

La Section française de Barcelone entretient également une correspondance avec un groupe français à Puigcerdá puisque son journal se fait l’écho d’un
« malentendu avec Puigcerdá [40] » à propos de la diffusion du Bulletin d’Information. Cependant, ni le Bulletin d’Information, ni la presse libertaire espagnole ne se font l’écho de la naissance de ce comité. De même, les journaux révolutionnaires français ne publient que les communiqués envoyés par le groupe tandis que de nombreux articles de cette même presse sont écrits à propos des réalisations du Comité révolutionnaire de Puigcerdá. Le correspondant du groupe à Bourg Madame est Albert Perrier dont on connaît le rôle important qu’il joue dans le passage clandestin d’armes vers l’Espagne en liaison avec le CEL mais moins son activité ou influence au sein du groupe. Alphonse Tricheux et sa femme Pauline Tricheux [41] sont sans conteste les deux principaux animateurs des groupes français à Puigcerdá. Alphonse Tricheux rejoint Puigcerdá au début du mois d’août tandis que sa femme y effectue des séjours fréquents avant de s’y installer début 1937. Hoche Meurant [42] participe également très tôt aux activités du groupe et collabore régulièrement au Sembrador. Aristide Lapeyre fréquente également le groupe, même avant sa participation au Grand meeting international du 18 décembre 1936 [43] organisé à Puigcerdá où Alexandre Mirande est invité au nom de l’AIT et Pierre Besnard pour la CGT-SR, (soit les trois militants à la tête de la Confédération française). Le Groupe Anarchiste de Langue Française est effectivement très proche de la CGT-SR et, contrairement à beaucoup de membres de la Section Française de Barcelone, il reste très lié à l’organisation anarcho syndicaliste française. Ainsi dans Sembrador paraissent des articles très critiques contre Le Libertaire, la Pensée Humaine et le Barrage [44] ainsi que de nombreuses communications de groupes ou individus de la CGT-SR

[…]

Chapitre 9

1937-1938. La "normalisation" dans la douleur de l’activité française en Espagne.

II. La fin de l’expérience révolutionnaire espagnole.

Des affrontements isolés ont lieu avant les journées de mai en Catalogne : au
Levant par exemple, à un climat de méfiance succède une tension extrême entre les communistes et les anarchistes. Le prétexte de la déflagration est trouvé avec l’assassinat du dirigeant de l’UGT Roldán Cortada à Barcelone le 25 avril 1937, sans que les auteurs du crime soient retrouvés.

La première partie des affrontements a lieu à Puigcerdà, avant de gagner logiquement Barcelone dans les premiers jours de mai.

La reconquête sanglante de Puigcerdá par la République.

La réinstallation des douaniers à Puigcerdà ordonnée par le président Caballero suscite une vive opposition chez les libertaires cerdans. Lorsque la compagnie de Carabiniers arrive à la gare de Puigcerdà le 21 avril 1937, ils sont accueillis par des mitrailleuses. Le 25, ils reviennent en force et prennent possession de la frontière. Le 27 avril, à la suite d’une sombre histoire de rivalité d’influence dans le village de Bellver [45] , les milices locales anarchistes livrent combat contre des habitants du bourg. Antonio Martín est tué lors de l’affrontement. La nouvelle de la mort du « Cojo de Malaga » [46] se répand parmi les libertaires de Cerdagne ; elle est transformée au fur et à mesure en assassinat pur et simple. La tension monte encore d’un cran et des forces régulières arrivent en Cerdagne. En mai, les anarchistes ne sont pas maîtres de la ville, des perquisitions sont effectuées chez les militants, les arrestations se multiplient. Quelques combats sporadiques ont lieu dans la ville mais à la mi mai le pouvoir a changé de main. Quelques ex-miliciens français qui fuient les combats de Barcelone sont arrêtés sur place et échappent de peu au peloton d’exécution. [47] Les mois suivants sont le théâtre d’une répression intense qui affecte notamment les miliciens français de Puigcerdà. Les membres du Groupe Anarchiste de langue Française écrivent ainsi à Terre Libre en juillet :

« Six de nos meilleurs camarades anarchistes, ex membres du Comité Révolutionnaire de Puigcerdá (dissout par les communiste du gouvernement de Valence) viennent d’être sauvagement assassinés par eux. […] Ce n’est pas tout. La ville fut mise en état de siège. De tous côtés, on arrêtait en masse les copains d’Action Révolutionnaire. C’est ainsi que furent emprisonnés trois de nos camarades français. Les autorités communistes niaient leurs arrestations, que réservaient elles à ces camarades ? Ce n’est que grâce à la compagne de l’un deux [48], qui remua toutes ces maudites autorités par le consul de France de Puigcerdà qu’il n’y eut pas de conséquence tragiques. Le malheur, c’est que, depuis, nous sommes sans nouvelles de cette camarade qui, peut-être, sauva la vie de ces trois compagnons. Par la suite, ils furent refoulés à la frontière française mais, hélas, on leur a soustrait tout leur avoir, soit 4500 francs français et 500 pesetas. Toutes ces actions, dignes du fascisme rouge, ne sont pas finies. Nous verrons qui aura le dernier mot : le parti communiste avec ces mercenaires ou la Révolution.

Les camarades anarchistes de Puigcerdà. [49]

Effectivement de nombreuses arrestations ont lieu parmi les français de Puigcerdà, l’Indépendant rapporte que cinquante neuf miliciens sont arrêtés dont de nombreux français [50]. Les autres miliciens français sont refoulés vers la France non sans avoir été au passage dépouillés comme le précise encore Terre Libre :« on leur a soustrait tout leur avoir 5450 francs et 500 pesetas [51] »

Alphonse Tricheux est particulièrement visé. Militant français influent à Puigcerdà, il fait sans doute figure d’exemple car il est emprisonné et inculpé contrairement aux autres. En effet, on retrouve chez lui des sommes importantes :

« Les perquisitions effectuées chez tous les prisonniers ont donné des résultats extraordinaires. Ils avaient fait des approvisionnements considérables en vivres alors que la population manque de diverses denrées. Ils détenaient des sommes importantes tel … chez qui ont a retrouvé trente-neuf mille pesetas et le français Alphonse Tricheux qui détenait deux cent mille pesetas [52] »

Les libertaires français se mobilisent, Le Libertaire rend régulièrement compte dans ses colonnes de ce qui devient de fait « l’affaire Tricheux ». Effectivement son arrestation sert de prétexte à la presse de droite pour vilipender les volontaires anarchistes français.

« Un mensonge
Voici l’un des mensonges qui, ces jours-ci, ont couru sur Puigcerdà ; Sur l’Eclair du 12 juin, page 5, avec le titre : « Les bandits de Puigcerdà », on lit qu’en effectuant une perquisition chez le vieux et connu militant anarchiste français, Alphonse Tricheux, on a trouvé 200 000 pesetas. Sur le même journal du 16 juin et en 6e page, la même nouvelle. Sur le Marseille Matin en 7e page on parle des 200 000 pesetas. Sur la Dépêche du 12 juin, en 4e page, la même nouvelle. Quand le camarade Tricheux, qui se trouvait en France, connut cet affreux mensonge, sentant sa conscience légère et propre, il revint en Espagne et se présenta aux autorités. C’est que l’on cherche avec cette campagne, c’est discréditer ce camarade, vieil anarchiste connu à Toulouse. Ceci n’est pas seulement démenti par nous, car le commissaire des frontières le démentit aussi. Si le geste de ce camarade, celui de se présenter aux autorités espagnoles, n’est pas suffisant, il est preuve plus que convaincante que pour ces journaux de droite se rendent compte qu’il y a des mensonges qui ne peuvent se digérer. Malgré toute cette propagande, notre sympathie est réservée au vieux militant Tricheux.
 [53] »

Libéré en août 1937 [54], il est finalement relaxé faute de preuve. Il repart à Toulouse en compagnie de sa femme rejoignant ainsi les autres français de Puigcerdà qui ont eux aussi quitté la région. Ils se consacrent désormais aux travaux de solidarité depuis la France.
Le brasier allumé à Puigcerdà a gagné toute la Catalogne et en premier lieu Barcelone où le conflit éclate le 3 mai 1937.

III. Les étrangers, cibles privilégiées de la répression.

La célébration du 1er mai a été suspendue à Barcelone, signe de la tension qui y règne. Depuis la fin avril la police a ordre de désarmer les miliciens qu’ils croisent Le 3 mai, le ministre de l’intérieur de la Généralité de Catalogne envoie un détachement de gardes d’assaut prendre l’immeuble de la Telefónica, tenu par la CNT, sous le prétexte que les conversations entre Madrid et Barcelone sont écoutées. Les miliciens présents se retranchent et les barricades fleurissent dans Barcelone. Les appels de la CNT à ses membres ne sont pas écoutés, les combats durent jusqu’au 7 mai. Il y a 400 morts et 1 000 blessés, les combats ont été particulièrement sérieux autour des bâtiments publics et des casernes. Le rapport de force est totalement inversé, la Généralité perd ses compétences de police mais l’investiture du gouvernement de Juan Negrín, du PSOE comme son prédécesseur, le 17 mai signifie la fin de la participation des ministres anarchistes et la pénétration de l’influence communiste jusqu’au plus haut des instances de la République.

Durant les journées de Barcelone, les volontaires internationaux présents dans la caserne Espertaco participent activement au combat de rue [55]. Certains volontaires français trouvent la mort pendant ces affrontements, comme Jean Ferrand et Francisco Ferrer :

« Les tragiques évènements des 3 mai et jours suivants, ont fait des vides douloureux dans nos rangs. Le petit fils de ferrer, Francisco Ferrer, le petit Quico comme l’appelaient familièrement ses proches, a trouvé la mort dans le putsch stalino bourgeois. Il était parti se battre dès les premiers temps de la révolution. Il avait été blessé dans les premiers jours d’avril et se trouvait en convalescence à Barcelone quand les évènements se produisirent. » [56]

Les Giménologues, 27 mars 2011