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Simone Weil et la guerre civile espagnole
« Espagne 1936 : un débat sur la violence et la non-violence »

Dossier réalisé par le Bollettino Archivio G. Pinelli n° 61, 2023

Simone Weil et la guerre civile espagnole
« Espagne 1936 : un débat sur la violence et la non-violence »
Dossier réalisé par le Bollettino Archivio G. Pinelli n° 61, 2023*1

Le Bollettino
Les compagni de ce bulletin milanais ont traduit et publié notre article « Retour sur la lettre de Simone Weil à Georges Bernanos*2 » dans le cadre de leur dossier « Espagne 1936 : un débat sur la violence et la non-violence ». Il comprend ladite lettre publiée dans la revue Témoins n° 7 de 1954, et le débat qu’elle a suscité avec, entre autres, les commentaires de Jean-Paul Samson, Albert Camus, Gaston Leval et Louis Mercier Vega, parus dans le numéro suivant de Témoins.
Suit un texte de la rédaction intitulé « Dentro la guerra ma contro la guerra ». Puis nous avons eu la surprise de trouver dans ce recueil un long texte intitulé « Simone Weil aveva ragione », de Pietro Adamo, dont nous connaissions déjà le manque de rigueur historique et la reconduction de « préjugés libéraux à l’endroit des révolutions égalitaires », relevés par Miguel Chueca dans son texte publié en 2002 dans A Contretemps : « D’un débat sur la “cruauté des anarchistes espagnols”*3 ».

Le professeur Adamo persiste et signe dans les travers signalés, aussi nous nous attacherons dans le présent article à passer au crible de la recherche historique l’une de ses assertions les plus délirantes au sujet des massacres de Ronda, en Andalousie, attribués aux anarchistes. Non seulement il reprend une accusation non vérifiée provenant de sources franquistes, régulièrement reconduite sans vergogne depuis les années 1960 par Hugh Thomas, Gerald Brenan, Paul Preston etc., mais encore il surenchérit dans l’horreur comme s’il avait lui-même travaillé de près la question, ou trouvé des sources nouvelles. Cette sorte d’hystérisation au sujet de la « cruauté spécifique des anarchistes espagnols » nous fournit l’occasion de nous pencher sur cette affaire.
Les autres assertions discutables de P. Adamo contenues dans le même texte seront traitées en une autre occasion.

L’imaginaire de l’historiographe Pietro Adamo

Diplômé en théorie et histoire de l’historiographie à l’université de Milan, Pietro Adamo s’attache depuis longtemps à dénoncer « la mentalité terroriste » de certains anarchistes, et notamment ceux d’Espagne. Il suscita une polémique avec un propos désinvolte balancé en 2001 dans un article sur les conditions de la mort de Berneri*4 en Espagne : « À gauche, aucun groupe n’a surpassé les libertaires en termes de cruauté envers la population civile, qu’il s’agisse des communistes ou des prêtres et des bourgeois détestés ».
Claudio Venza a réagi à cette assertion dans Libertaria, III, n°2, 2001 : « La crudeltà degli anarchici spagnoli », et Adamo lui a répondu dans Libertaria III, n° 3, 2001, pp. 90-95 « Quando la violenza è politica*5 » – article qu’il a désavoué ensuite*6.
Aujourd’hui il renvoie à son livre Pensiero e dinamita. Gli anarchici e la violenza. 1892-1894. (2004), pour consulter les pages qui « respectent pleinement [s]a pensée sur le sujet ».
Nous sommes donc allés voir le fond de cette pensée dans la seconde partie de cet ouvrage intitulée « La violenza e il suo ecceso. 7. Il caso spagnolo » ; et cela ne nous a pas rassurés sur la façon de faire du personnage. Pietro Adamo commence par dresser l’inventaire des atrocités attribuées à la « terreur rouge » dont les anarchistes espagnols étaient « la pointe de diamant » :

« Il n’est pas facile de discerner les cas de vengeance personnelle, la résolution de querelles familales, les conflits sociaux de longue durée, la présence d’éléments criminels (acceptés en masse dans les organisations anarchistes, les plus prêtes à reconnaître un rôle politique aux délinquants), mais quelques éléments de fond émergent avec netteté : assassinats de sang-froid de « prêtres », « bourgeois » et « fascistes », exécutions de masse, massacres en représailles (y compris de femmes, vieillards et enfants […]), paseos multiples, émasculations, crucifixions, démembrements, etc. Du côté républicain, les anarchistes semblent avoir assumé [...] le rôle de protagonistes. […] La violence anarchiste apparaît comme pré-moderne, au sens où, plutôt que de relever de la rationalité instrumentale, elle continue de se teinter de sacralité et de ritualité, ce qui appelle une dimension symbolique : les miliciens de la FAI de Málaga décidèrent d’exécuter à Ronda 512 personnes (probablement le plus grand massacre anarchiste en nombre de toute la période) en les précipitant depuis une falaise*7. Une comparaison avec le terrorisme des années 1892-1894 permet, outre de saisir les différences les plus significatives, de mieux contextualiser le problème. » (P. 81). [Traduction des Giménologues]

Dans ce livre, Adamo utilise le paravent moral de la lettre de Simone Weil à Bernanos pour appuyer sa démarche peu rigoureuse ; et il se permet en outre de lui attribuer une formulation qui n’est pas celle de la philosophe :

« […] La plus célébre dénonciation de la mentalité terroriste des anarchistes provient de la plume de Simone Weil, insoupçonnable du point de vue de ses sympathies politiques. » (Ibid. p. 86).

Enfin, dans le texte du Bollettino où il soutient que « Simone Weil avait raison », Adamo perd carrément la sienne : « Est-il licite de se débarrasser de tous les habitants – cette fois des femmes, des vieillards et des enfants – d’une petite ville (Ronda) qui accueillait jusqu’à la nuit précédente un régiment franquiste, en les jetant tous du haut d’une falaise ? », demande-t-il après une suite de « Est-il licite… » quelque peu abconse.
Et de traiter de « négationnistes » ceux qui ne veulent pas affronter la « réalité » de la cruauté déployée par les anarchistes en Espagne.

Ronda

« Tous les habitants », vraiment ? Même Queipo de Llano n’avait pas osé*8 !
La petite ville de Ronda, province de Málaga, comptait près de 33 000 habitants à l’époque, sans parler des réfugiés. Pour éviter le ridicule, il aurait suffi à notre historiographe de chercher sur le net : en peu de temps, il aurait trouvé l’intégralité de la thèse de l’historien Pablo Benítez Gómez, qui a fait un point sur la question en 2021 : República, retaguardia y Justicia militar en la Serranía de Ronda (1930-1940).
(Voir des extraits ici : https://gimenologues.org/spip.php?article1113)
L’auteur s’appuie sur une grande quantité d’archives, la plupart issues de l’administration franquiste, mais aussi municipales et privées. Après une exposition détaillée, il arrive à cette conclusion : à Ronda, entre le 17 juillet et le 16 septembre – date de la prise de Ronda par les nacionales – il y aurait eu du fait de la violence politique 203 personnes de droite (ou considérées comme telles) exécutées, dont quatre femmes. Et, précise Benítez, on ne jeta dans le Tajo que des objets de culte*9. En prenant en compte toutes les victimes civiles tombées à l’arrière-garde de la serranía de Ronda, il arrive au chiffre de 317, pour une population de 120 000 habitants*10.

Voyons de plus près, à partir de quelques extraits, comment l’universitaire analyse le processus de manipulation des sources qui a donné lieu à la création du mythe des 622 victimes – chiffre officiel–, et à la théâtralisation des représailles exercées à Ronda contre les derechistas ou supposés tels*11 – laquelle doit aussi un peu au roman d’Ernest Hemingway Pour qui sonne le glas, publié en 1940.

D’entrée (p. 32), Benítez précise que « L’enquête de la Causa General*12 n’a pas atteint ses objectifs, c’est-à-dire donner à voir l’ampleur de la “terreur rouge”. Nous partageons la thèse d’Espinosa Maestre*13 sur les stratégies utilisées pour élever les chiffres en comptant doublement les victimes enregistrées en mairie. Un fait que nous avons pu constater dans plusieurs cas. […]
L’historiographie de l’immédiat après-guerre a soutenu le récit de certaines modalités répressives et a eu tendance à augmenter le nombre de victimes, bien que cela n’ait été possible que dans des publications peu accessibles au grand public et dans les grands centres urbains ou les villes moyennes. Dans les petites villes, les voisins savent très bien qui a été assassiné et qui a survécu. À Ronda, en revanche, l’hyperbolisation de la violence républicaine est possible car, après Antequera, c’est la deuxième ville de la province à être conquise, et il est important de montrer que la grande répression qui s’y déroule n’est qu’un pâle reflet de ce qui se passe dans la capitale, qui doit être libérée de la “horde rouge”. Jusqu’à la conquête de Málaga, l’été le plus sanglant de la province est attribué à Ronda. Mais ce qui singularise la fausse quantification des victimes de Ronda, ce n’est pas seulement le chiffre exceptionnellement élevé, c’est aussi la répétition ininterrompue du nombre 622*14. La littérature nationaliste et la presse de la zone dominée par les rebelles ont pris pour acquis à la fois le nombre de victimes et l’histoire terrifiante selon laquelle nombre d’entre elles avaient été jetées vivantes dans le Tajo. La représentation de Ronda dans l’ABC de Séville a contribué à fixer une image dont le but ultime était de présenter la victoire non pas sur l’ennemi idéologique, mais sur la barbarie. L’importance plus que probable de la répression à Ronda ne l’a pas distinguée, dans ses formes, du processus général de l’arrière-garde républicaine. […]
Entre le 17 juillet et le 16 septembre, l’état civil de Ronda a recensé 203 personnes tuées que l’on peut qualifier de victimes de la répression. Ce chiffre correspond à ceux fournis en 1958 par la mairie de Ronda au gouverneur civil, dans le cadre du transfert des dépouilles al Valle de los Caídos. Il représente le tiers du chiffre utilisé par la propagande nationaliste pour représenter la “terreur rouge”, auquel on ne peut pas non plus attribuer les morts survenues lors d’actions en temps de guerre. Dans l’ensemble de la région, le nombre de morts violentes (317) n’atteint pas le chiffre mythique, révélant l’amplification de la violence dans l’arrière-garde de Ronda. Il servira d’argument légitimant la répression disproportionnée qui se déchaînera dans la ville, surtout à partir de 1937. Il est toutefois surprenant de constater que le récit de la révolution de Ronda, qui a concentré l’argumentation de la littérature cléricale et nationaliste d’après-guerre à partir du coût surestimé des vies humaines, a été repris dans les travaux de certains hispanistes. Tant Seidman que Preston*15 dans leurs ouvrages bien connus, les ont acceptés sans critique. » [Extraits des pages 204-207]

Alors on s’interroge : comment notre anarchiste diplômé a-t-il pu conserver vingt ans durant de telles œillères jusqu’à s’abaisser à énoncer des énormités ? Il fournit lui-même la réponse en inscrivant la violence anarchiste de l’été 1936 « dans une conception de la révolution comme rupture marquant une époque de l’histoire, comme la création ex novo de nouveaux cieux et de nouvelles terres, comme un moment de rédemption et de sacrifice universel […], au sein de laquelle la vie humaine individuelle perd sa pertinence et sa valeur. » (op. cit. 2023). Il faut croire qu’à ses yeux, les anarchistes espagnols étaient un peu les Khmers rouges des années trente, capables de massacrer en masse des civils suspects d’allégeance à l’ancien monde …

Miguel Chueca l’avait bien dit :

« [Le] professeur P. Adamo […] est, en l’occurrence, victime d’une approche essentiellement idéologique de l’Histoire qui lui fait voir dans le déroulement des faits la simple confirmation d’une “vérité” préétablie, c’est-à-dire des préjugés libéraux à l’endroit des révolutions égalitaires, dont l’issue serait par force le terrorisme à grande échelle contre tous ceux qu’on tient pour l’incarnation des forces du Mal sur terre ».

Guerre civile, guerre sociale

Maintenant, nous ne remettons pas en question le constat de représailles dans le camp républicain, appliquées à froid, au front comme à l’arrière, à Ronda ou ailleurs, et aussi exercées par des anarchistes. Elles se produisirent souvent aux dépens de los hombres de orden, acteurs ou complices du golpe, de membres de cette Eglise qui bénissait les colonnes de nacionales tueurs et violeurs de rojos, de combattants désarmés – aucun camp ne faisait de prisonniers dans les premiers mois de la guerre –, ou en défense de la révolution aux dépens d’activistes de la cinquième colonne, ou considérés comme tels.
Comme on le verra en particulier pour Ronda, les circonstances les plus fréquentes dans lesquelles se produisirent des exécutions de civils à l’arrière-garde républicaine sont liées à la progression inéluctable des troupes insurgées, et à la prise de connaissance de massacres de civils qui l’accompagnait en Andalousie.
Mais les causes et la nature de cette violence sont assurément sociales et politiques, et l’on se doit de la situer dans le contexte d’une conflictualité antérieure à 1936 : 

« La guerre civile est liée à un avant-guerre […] parce que la militarisation de l’ordre public a conduit à des situations de “guerre endémique” où la plus large violence d’État a été justifiée contre les fauteurs de troubles considérés comme des ennemis intérieurs. »*16

Quand on se penche sur les situations et les lieux où s’exerça une certaine vengeance de classe, on constatera bien souvent qu’elle surgit sur fond de rancœur, de frustration et d’exaspération accumulées depuis au moins 1931, après une intense conflictualité sociale quasi ininterrompue. En juillet 1936, le souvenir de l’humiliation et des persécutions subies par les ouvriers et les paysans était encore frais. Et les représailles à l’égard des ennemis de classes furent plus marquées dans les endroits où les patrons, les propriétaires, leurs commis et leurs sbires s’étaient montrés intraitables, refusant d’appliquer les quelques réformes sociales que la République avait timidement énoncées.

Sous la pression d’une guerre civile particulièrement cruelle, où le front était partout au cours des premiers mois, la plupart des libertaires n’ont détroussé, ni tué personne. Certains se sont même interposés physiquement pour en empêcher d’autres - qui le faisaient de leur propre chef - ou ont caché des personnes traquées, ou ont protesté publiquement contre les exécutions à froid de civils. Ils ont vécu cette contradiction comme ils ont pu, et il leur a fallu se confronter à bien d’autres dans le mouvement, tout aussi graves. D’autres anarchistes et anarcho-syndicalistes, militants actifs de la CNT-FAI – laquelle finit par s’intégrer dès septembre à la structure d’un Etat qu’elle avait décidé de ne pas dissoudre – acceptèrent de devenir patrouilleurs, policiers, gardiens de prison, ou participèrent à des pelotons d’exécution, à des groupes d’Investigation, à des liquidations. Ceux-là n’étaient pas des « incontrôlés »*17, même s’il a été constaté que certains d’entre-eux agirent avec un zèle remarqué.

En général le secteur de la contre-révolution, avec ses historiens patentés toujours prêts à criminaliser les anarchistes, glose à l’envie sur cet aspect-là, et alimente régulièrement des « paniques morales », se focalisant sur quelques militants célèbres*18. Mais nous avons aussi constaté que, dans le milieu libertaire, les personnes choquées par le fait que des anarchistes aient tué des ennemis sans défense – ce que l’on peut comprendre – se crispent particulièrement quand on leur signale qu’elles se basent parfois sur des faits supposés, voire inventés. Elles n’éprouvent pas le besoin de vérifier les données, et elles s’énervent quand on leur suggère de le faire.

Le thème de la « violence révolutionnaire » mérite d’être traité en profondeur et avec rigueur, c’est-à-dire en ne considérant pas comme valides des faits non sourcés, ou provenant uniquement de la Causa General – voire de « on dit » –, et en procédant en historien amateur qui ne compte pas son temps plutôt qu’en criminologue.
Nous n’avons pas éludé la question dans Les fils de la nuit, et y dédions un gros chapitre dans A Zaragoza o al charco*19. Et on a de quoi la prolonger
Nous tentons de décrire les faits le plus précisément possible, sans ménager le mouvement anarchiste, dont certains représentants ont préféré garder sous le tapis maints épisodes gênants ou discutables.

Myrtille, pour les giménologues, 29 juillet 2024.
Avec l’aide précieuse de Kike Tudela depuis Granada

NOTES
 : Voir les articles originaux ici : https://centrostudilibertari.it/it/bollettino-61
2 : https://gimenologues.org/spip.php?article402
 : Ces deux textes du Bollettino se trouvent ici en annexe, traduits en français, ainsi que celui de Miguel Chueca.
4 : « La morte di Berneri e le responsabilità di Togliatti », in MicroMega N°1, 2001 (pp. 85-118).
[Avis : on recherche cet article].
 : Ces documents originaux sont joints en annexe.
 : « Quant à l’essai paru dans Libertaria [N°3] et intitulé “Quand la violence est politique”, il est signé de ma main mais ce n’est pas mon essai. Il a été fortement interpolé, corrigé, coupé, avec des phrases que le rédacteur en chef exalté de Libertaria […] a cru devoir glisser (à mon insu, bien sûr). C’est pourquoi je l’ai désavoué », nous écrivait Adamo dans un courrier du 21 juin 2024. Toutefois il ne précise pas ce qui ne lui convient pas dans ce texte, ni pourquoi.
 : Il semblerait qu’Adamo ait trouvé cette information et ce chiffre chez Gerald Brenan, auquel se référèrent la plupart des historiens de la pensée libérale au sujet de ce « massacre » à Ronda (H. Thomas, P. Preston, etc.). Brenan les ayant lui-même peut-être repris d’un discours de Queipo de Llano prononcé à la radio de Séville, ou du journal ABC de Sevilla le 20 septembre 1936, ou encore du rapport franquiste qu’il évoque dans ses mémoires. Voici des extraits de ces dernières où l’écrivain parle de son séjour à Málaga : Autobiografía. Una vida propia. Memoria personal (1920-1975) (pp. 683-685) :
« À chaque raid aérien, un certain nombre d’hommes étaient sortis de prison et fusillés en représailles. L’opinion publique l’exigeait et il fallait l’accepter. Mais les meurtres commis par les petits groupes terroristes, c’est autre chose. [...] Le plus terrible des crimes commis par ces groupes s’est produit à cette époque. Trois camions de la Jeunesse FAI, armés jusqu’aux dents, [partis de Málaga] sont arrivés à Ronda et ont insisté auprès du comité de cette ville pour qu’il leur remette leurs prisonniers. Ils avaient également inclus, apparemment sans la moindre vérification, les noms d’autres personnes fournis par des délégués secrets. Une fois en leur pouvoir, ils les jetèrent dans les gorges des jardins publics. Cinq cent douze personnes périrent ainsi, dont quelques femmes. […] Le gouvernement nationaliste a ensuite publié un livre sur les atrocités commises par les rouges en Andalousie, que j’ai recensé pour le New Statesman. J’ai dû admettre l’authenticité de ses récits parce que j’avais parlé à des personnes qui étaient présentes ». Il faut savoir que Brenan quitta Málaga début septembre 1936 ; il ne verra pas les réfugiés de Ronda arriver en masse sur la côte après la chute de la ville le 16 septembre, qui auraient pu lui parler du massacre en question – qui ne pouvait que frapper les esprits. Le livre sur les atrocités est sans doute le « Rapport officiel préliminaire sur les atrocités commises au sud de l’Espagne en juillet et en août 1936 par les forces communistes ». Gouvernement national. Publié à Londres en 1936 [Document original en espagnol – ou en anglais – en recherche]. [NdesG].
 : Ce général devenu le « vice-roi d’Andalousie » donna près de six cents entretiens en huit mois, à raison de quinze à vingt minutes par jour, à la Unión Radio Sevilla. Ces « conférences » étaient entendues dans tout le pays : « Elles étaient tout sauf rhétoriques. Ses armes de guerre psychologique, qui l’ont rendu si célèbre, expriment le plaisir des représailles, la publicité de la terreur, la disproportion entre les crimes allégués et la punition à venir, le mépris de l’ennemi, avec d’abondantes doses d’humour noir et de langage vulgaire ». In https://www.nationalgeographic.es/historia/2018/06/queipo-de-llano-terrorismo-radiofonico-al-servicio-de-franco. [TdesG].
 : Le 20 juillet, un groupe de miliciens accompagné de femmes et d’enfants prit d’assaut églises et couvents et mit le feu aux objets de culte ; d’autres furent jetés dans le ravin. Cette volonté « d’éradication totale de toute représentation de la religiosité » constitua « le premier acte désacralisateur » de la révolution en marche. (p. 92).
10 : On pourra lire quelques extraits de la démonstration de Benítez dans notre deuxième article « Le bilan des exécutions à Ronda et le mythe des 622 victimes »  : https://gimenologues.org/spip.php?article1113
11  : On peut voir aujourd’hui que « l’infox » est toujours reconduite par des révisionnistes :
« Les accusations de “tueries” aveugles concernant Queipo à Séville méritent peu de considération, à mon avis, et les “tueries” antérieures des milices républicaines ne sont pas considérées de la même manière. Certes, Queipo de Llano a ordonné des fusillades et des exécutions, ce qu’il est impossible d’éviter dans toute guerre. Qu’il s’agisse d’ennemis, de traîtres (il a même fait fusiller le général Comins, ami personnel de Franco) ou de déserteurs, la logique militaire s’impose de la manière la plus sommaire. Le Droit succombe à la Force. Et, comme l’a raconté Gerald Brenan, ce ne fut pas un massacre le fait de jeter 512 derechistas dans le Tajo de Ronda avant l’arrivée de Queipo de Llano ? » : https://www.clublibertaddigital.com/ideas/tribuna/2023-03-31/pedro-de-tena-turno-de-oficio-gonzalo-queipo-de-llano-amado-y-odiado-pero-exhumado-7000065/ [TdesG].
12 Macro-procès instruit à partir des « actes délictueux commis durant la domination rouge sur tout le territoire national » en vertu du décret du 26 avril 1940. Il fut précédé d’une enquête suivant la loi de Responsabilités Politiques du 9 février 1939, laquelle exigeait « la complète investigation des conduites personnelles de toute personne […] en relation avec les partis et organisations du Front populaire » (In Prieto Borrego, 2005, p. 232). [NdesG]
13  : Espinosa Maestre, Francisco, « Agosto de 1936. Terror y propaganda. Los orígenes de la Causa General », Pasado y Memoria 4 (2005), pp. 15-25.
14 Ce chiffre serait d’abord apparu dans le journal ABC de Sevilla le 20 septembre 1936 [NdesG].
15 : « Ronda a subi une répression sans merci de la part d’anarchistes menés par un certain “El Gitano”. Initialement le comité de la CNT a préservé un minimum d’ordre [...] mais des meurtres sont bientôt perpétrés par des anarchistes de Málaga ou de Ronda. Rien ne confirme cependant les allégations de Queipo de Llano dans son discours du 18 août (et reprises par Ernest Hemingway dans son roman Pour qui sonne le glas) […] selon lesquelles un grand nombre de prisonniers auraient été tués en les jetant dans le Tajo. Les nombreuses victimes de droite sont fusillées dans le cimetière. Les sources franquistes affirment que les victimes de la “terreur rouge ” à Ronda et dans les pueblos voisins, Gaucin et Arriate, s’élèvent à plus de six cents. » Paul Preston, Une guerre d’Extermination. Espagne 1936-1945, Belin 2016, p. 252 (d’après l’édition américaine de 2012). Dans cette dernière édition, l’auteur fait au moins une réserve : « Rien ne confirme… ». Pour M. Seidman voir A ras de suelo, Alianza Editorial, 2002. [NdesG]
16  : F. Godicheau, 2008, p. 425.
17 : Signalons en passant que la violence politique sera rapidement contrôlée par les syndicats et partis du camp républicain, et que le terme « d’incontrolés » désignera les militants critiques de l’entrée de la CNT au « gouvernement antifasciste », et les récalcitrants à la militarisation des milices plutôt que des individus pillant et tuant des civils pour leur propre compte, ou par vengeance personnelle
18  : « La province de Saragosse est [...] un bon exemple [...] de ce mythe de la violence des anarchistes, sublimé jusqu’à l’exaspération dans le cas de la colonne Durruti. [...] Le mythe apparaît déjà chez Borkenau [...] et G. Brenan, [...] et a été poursuivi par H. Thomas [...] et G. Jackson ». Ledesma, 2003, p. 242.
19  : Le PDF du chapitre « Quelques approches de la question de la “violence révolutionnaire” » est disponible sur demande.

Bibliographie

Adamo, Pietro, « La morte di Berneri e le responsabilità di Togliatti », in MicroMega N°1, 2001 (pp. 85-118).
Adamo, Pietro, « Quando la violenza è politica « , in Libertaria III, no. 3, 2001, pp. 90-95.
Adamo, Pietro, Pensiero e dinamita. Gli anarchici e la violenza. 1892-1894, MB Publishing, Milano, 2004.
Adamo, Pietro, « Simone Weil aveva ragione » in Bollettino Archivio G. Pinelli, n° 61, Milano, 2023 (pp. 37-42).
Archivo Histórico Nacional, FC-CAUSA_GENERAL,1058,Exp.8 Declaraciones de testigos Ronda
Benítez Gómez, Pablo, República, retaguardia y justicia militar en la serranía de Ronda (1930-1940), Tesis Doctoral. Directora : Universidad de Málaga, 2021. https://riuma.uma.es/xmlui/handle/10630/23225
Benítez Gómez, Pablo, « La justicia militar contra un alcalde de la República. El proceso de Francisco Cruz Sánchez, alcalde de Ronda », in Baetica, Estudios Historia Moderna y Contemporánea, n.º 41, 2021, págs. 391-418. https://revistas.uma.es/index.php/baetica/article/view/10311/14207
Benítez Gómez, Pablo, « Resistentes y refugiados : La militarización de la columna “Pedro López” en San Pedro Alcántara, 1936 », in revista Cilniana n°18, 2005 :
https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/3023595.pdf
Benítez Gómez, Pablo, « De bandolero a miliciano : Pedro Flores Jiménez ante la Justicia militar (1932-1937) » in Revista Isla de Arriarán, pp. 311-347 : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/9410646.pdf
Brenan, Gerald, Autobiografía. Una vida propia. Memoria personal (1920-1975), Península 2003 Caplan Bryan, « The Anarcho-Statists of Spain : An Historical, Economic, and Philosophical Analysis of Spanish Anarchism », 1997.
Cartografía de las desapariciones forzadas en Andalucía : Documents et cartes sur la répression franquiste après la prise de la ville et les recherches de disparus : https://desaparicionforzadadeandalucia.org/cartografia-desapariciones-forzadas-andalucia/fosa-de-ronda-malaga-2/
Chueca, Miguel, « D’un débat sur la “cruauté des anarchistes espagnols” », in A contretemps N° 6 Janvier 2002 www.acontretemps.plusloin.org
Godicheau, François, « Les violences de la guerre d’Espagne » in Revue d’Histoire de la Shoah 2008/2 (N° 189), Éditions Mémorial de la Shoah, pp. 413 à 430 : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-413.htm
Godicheau, François, « L’histoire comme champ de bataille », entretien paru en décembre 2022 dans la revue L’Histoire  : https://gimenologues.org/ecrire/?exec=article&id_article=1032
Ledesma, José Luis, Los días de llamas de la revolución, Institución Fernando el Católico, 2003
Prieto Borrego, Lucía, « La Guerra Civil en Ronda » in Revista de historia y estudios rondeños, N°6, 2010. https://luciaprieto.files.wordpress.com/2012/04/guerra-civil-en-ronda_blog1.pdf
Prieto Borrego, Lucía, « La violencia republicana en las comarcas de Marbella y Ronda » en Actas del Curso de verano de la Universidad Pablo de Olavide “Andalucía : Guerra y Exilio”, Centro Cultural en Carmona de la UPO. Carmona, 9 - 12 de septiembre de 2003, pp. 231-242.
Et pour ses autres articles disponibles : https://dialnet.unirioja.es/servlet/autor?codigo=548357
Témoins, Cahiers trimestriels, n°7 de 1954 et n°8 de 1955, Zurich
Venza, Claudio, « La crudeltà degli anarchici spagnoli », in Libertalia n° 2, 2001, pp. 88-95.



Article de P. Adamo in Libertaria 2001. 710.4 kio / PDF

Article Rédaction Bollettino 2023 112.4 kio / PDF

M. Chueca "D’un débat sur ’La cruauté des anarchistes espagnols’" 176.2 kio / PDF

S. Weil et la guerre civile espagnole 135.1 kio / PDF