Bandeau
Les Gimenologues
Slogan du site
Descriptif du site
Los Amigos de Durruti en la Revolución Española
de Miguel Amorós

Edition espagnole parue chez les Pepitas de Calabaza/FAL dans la Biblioteca de la Anarquia

Depuis la parution en 2003 chez Virus de

La revolucion traicionada. La verdadera historia de Balius y de los Amigos de Durruti

Miguel a publié en 2019 en France Hommage à l’Espagne révolutionnaire. Les "Amis de Durruti" dans la guerre civile (1936-1939) aux éditions de la Roue* ; puis en 2021 une version argentine **, et enfin aujourd’hui une édition en Espagne.

* http://gimenologues.org/spip.php?article857
** Los amigos de Durruti en la revolución española, Libros de Anarres. Collection Utopie libertaire. 2021. Voir notre entrée avec la recension de Campione : http://gimenologues.org/spip.php?article977

Mais juste après cette dernière publication, Miguel a découvert une nouvelle "analyse durrutiste" des causes de la déroute, rédigée par les Amigos de Durruti , et publiée le 30 septembre 1939 dans L’ADUNATA DEI REFRATTARI, journal anarchiste en langue italienne qui parut à New York du 15 avril 1922 au 24 avril 1971.

La voici traduite par nos soins :

LES CAUSES DE LA DÉFAITE DU PROLÉTARIAT ESPAGNOL

Article paru dans L’ADUNATA dei REFRATTARI (LE RASSEMBLEMENT DES REFRACTAIRES) le samedi 30 septembre 1939.

Le mouvement prolétarien doit tirer profit de l’expérience espagnole. Il ne nous appartient pas, à nous, militants d’Espagne, de nous plaindre, à l’heure actuelle, de l’insuffisance de l’aide reçue du prolétariat international. C’est à nous d’exposer les causes de notre défaite aux travailleurs du reste du monde.

La Agrupación Los Amigos de Durruti, composée d’anarchistes militants, a indiqué en temps voulu quel aurait été le sort du prolétariat espagnol si la politique du front populaire avait continué.
Dès le début, nous avons soutenu que la guerre ibérique était une guerre de classe, nous opposant à la position de ceux qui prétendaient que notre guerre possédait les caractéristiques d’une guerre d’indépendance.
Le zèle déployé par le secteur bourgeois, socialiste et stalinien pour qualifier notre épopée de guerre d’indépendance ne nous a pas surpris, car nous étions conscients des tendances contre-révolutionnaires des partisans de cette thèse. Ce qui nous a surpris, voire ce que nous n’aurions jamais pu supposer, c’est plutôt le fait que certains militants de la C.N.T. F.A.I. prendraient des positions identiques à celles de ceux qui s’embusquaient pour poignarder la révolution.
De cette manière, ils ont déformé le sens de la lutte engagée par les travailleurs espagnols, et ils ont fini par le faire coïncider avec les revendications de Franco lui-même, qui prétendait aussi lutter pour l’indépendance de l’Espagne. Que pourraient penser les travailleurs des autres pays d’une telle confusion ?
Mais les tergiversations ne se sont pas arrêtées là.
Lors d’un rassemblement à Barcelone, une anarchiste militante* est allée jusqu’à dire que les antifascistes étaient les défenseurs de la nation espagnole. Dans tous les actes publics auxquels ont pris part les dirigeants de la C.N.T. F.A.I., nous avons constaté, non sans douleur, de telles déviations des concepts de classe et d’anarchie qui, dans le passé, avaient fait de nos organisations le rempart le plus solide du prolétariat espagnol
La prévalence de la psychose contre-révolutionnaire ne permettait pas d’espérer un épilogue satisfaisant. Tous les grands événements humains ont besoin d’un soutien moral. L’esprit d’abnégation des sans-culottes, prêts à tout pour gagner, et l’héroïsme du prolétariat russe étaient alimentés par la profonde conviction qu’ils défendaient leurs propres intérêts. Au prolétariat espagnol, par contre, il manquait cette certitude qui transforme les hommes en géants.
La contre-révolution se profilait en Espagne déjà avant mai 1937. Mais la défaite subie par le prolétariat lors de ces journées a donné lieu aux manifestations les plus brutales de l’injustice. Après la mise en place du gouvernement Negrin - le gouvernement de la défaite, du crime légalisé et des pires hontes - le rythme de la contre-révolution s’accéléra. Le gouvernement Négrin se distingua par la persécution des ouvriers révolutionnaires, par une servilité abjecte vis-à-vis de la politique de l’U.R.S.S., par les marchés les plus scandaleux, par l’activité infâme de la Tchéka, par la délinquance dans tous les domaines, par les privilèges sans limites de la bureaucratie.....
Dans ces circonstances ultra-réactionnaires, il n’est pas nécessaire de s’interroger sur le moral de la classe ouvrière. Le peuple antifasciste était démoralisé. Il ne savait pas pourquoi ils se battait. L’épuisement causé par la guerre et les sacrifices qu’il était seuls à faire l’ont conduit à ce raisonnement : Puisque sous Negrin, nous, les travailleurs, sommes persécutés, et que nous sommes ceux qui souffrent le plus de la faim, laissons faire celui qui gagne pourvu que la guerre se termine bientôt.
Mais si les travailleurs espagnols avaient eu la certitude que les pelotons d’exécution, les camps de concentration et les prisons étaient exclusivement réservés aux fascistes, que le rationnement touchait également tous les citoyens, et que les travailleurs eux-mêmes détenaient le destin du pays, le prodige collectif se serait produit, et le fascisme se serait heurté, dans chaque pouce de terrain, à une muraille de poitrines impossible à abattre, quelle que soit la quantité de plomb envoyée.
Notre Agrupación - qui dans l’émigration se propose de recueillir les enseignements de la tragédie espagnole - estime que les militants de la C.N.T. F.A.I. n’ont pas été, dans leur grande majorité, à la hauteur de la situation. Dans les journées de juillet et de mai, nous avions d’énormes possibilités, même si beaucoup s’évertuent à répéter que si nous, anarchistes, avions tenté de nous imposer dans un sens totalitaire, nous aurions précipité le même épilogue que nous déplorons aujourd’hui.
Nous - "Los Amigos de Durruti" - pensons que les convulsions sociales ne peuvent être maintenues sur une ligne intermédiaire. Dans le cas de l’Espagne, on ne peut pas dire que nous étions dans une révolution capitaliste. Cette étape avait été franchie depuis le 14 avril 1931. La révolution sociale avait fait son apparition dès février 1936, quand les pouvoirs de l’État étaient entre les mains de Portela Valladares. Azaña a bien essayé d’endormir la classe ouvrière avec le miroir aux alouettes de la démocratie ; mais l’incertitude de la situation n’a pas offert de garanties suffisantes à l’Espagne noire, qui a proféré son boniment classique. Le mouvement ouvrier militant s’est opposé au mouvement réactionnaire, avec un esprit totalement inconnu du régime de Negrin, et du provocateur du P.S.U.C. Comorera. Il s’agissait d’un moment révolutionnaire au sens le plus complet du terme, et non d’un moment hybride et répressif comme celui qui a faussé plus tard l’épopée espagnole.
La cause principale de la défaite est à rechercher dans le doute qui a saisi les militants responsables de la C.N.T. F.A.I. lors des journées de juillet et de mai. Si dans ces contingences de l’histoire de l’Espagne nous avions assumé la direction complète du pays, ce contresens n’aurait pu se produire : avoir gagné avec les travailleurs en ces deux occasions, et ensuite être avec les travailleurs vaincus par les secteurs contre révolutionnaires, ce qui a créé les conditions de la victoire de Franco.
L’expérience a été rude. La défaite du prolétariat espagnol a entraîné un retard énorme pour la révolution mondiale. Mais si, au cours de la succession d’événements qui composent l’histoire des peuples, surgit une nouvelle convulsion sociale, que les travailleurs n’oublient pas qu’ils sont seuls à pouvoir défendre leurs intérêts, et que sur ce terrain, la moindre concession serait fatale.
Si les travailleurs du monde entier profitent des enseignements de notre tragédie, notre douleur et notre destin paraîtront plus doux.

Secrétariat de la Agrupación
Los Amigos de Durruti

Traduction : Leo Carli
* Note des Giménologues : il s’agit de Federica Montseny qui tint ce genre de propos lors d’un discours à la Monumental de Barcelone le 25 octobre 1936 :
"Travailleurs des usines, des ateliers, des campagnes, techniciens et intellectuels, qui sentez en vous le sentiment de la dignité humaine en l’affrontant à ceux qui prostituent la liberté et le droit, rejoignez notre gigantesque mouvement ; aidez-nous à lutter au front. [...]. Nous vous le demandons à vous qui représentez l’Espagne où les valeurs authentiques de la race ibérique sont exaltées et manifestées ; nous vous le demandons même en tant qu’Espagnols. En chacun de nous, même si nous sommes socialistes, anarchistes ou républicains, il y a la fierté d’une race forte, qui a des caractéristiques ethniques et régionales bien définies, qui forment le conglomérat des races les plus courageuses du monde".

Voir en documents joints le texte original de l’article ainsi que le même texte en castillan avec un préambule de Miguel. Il inventorie tous les textes des Amigos de Durruti parus dans L’Adunata. voici la version française :

Préambule de Miguel Amoros à l’article de L’ADUNATA du 30 septembre 1939 :
"L’Adunata dei Refrattari y Los Amigos de Durruti"

L’Adunata (L’Appel) était un hebdomadaire new-yorkais en italien, édité en 1928 par Raffaele Schiavina, un anarchiste convaincu que le fascisme ne pouvait être renversé que par la force des armes, par une insurrection populaire qui briserait son État. Totalement opposé au défaitisme et au pacifisme de nombreux libertaires, il était également critique à l’égard de déviations idéologiques telles que le possibilisme démocratique (ce que l’on appellerait aujourd’hui le municipalisme), la plate-forme Archinov ou l’anarcho-syndicalisme lui-même. La publication, consciente du caractère révolutionnaire du moment ibérique, soutient la politique ambiguë de la CNT dans la République, tout en sachant qu’elle ne représente que les intérêts d’une bourgeoisie qui l’a largement abandonnée. Il admire l’élan créatif des travailleurs espagnols, à l’oeuvre sous l’acronyme CNT-FAI.
L’Adunata a dénoncé l’erreur selon laquelle la lutte dans la péninsule se menait pour la défense de la démocratie : la lutte voulait mettre fin au capitalisme, détruire la propriété privée et p exproprier la richesse détenue par une minorité. En bref, on se battait pour la révolution sociale, ce que paraissait contredire contredire l’entrée de la CNT au gouvernement, conséquence, selon Schiavina, d’un opportunisme tactique venu de loin. L’anarchisme, tempéré par des concessions et des renoncements qui dénaturaient sa nature, ses méthodes et ses objectifs, conduisait directement à l’échec. Durant les journées de mai, L’Adunata s’est prononcée en faveur de la résistance totale proclamée par les Amis de Durruti, les Jeunesses Libertaires et d’autres anarchistes révolutionnaires, contre la réaction menée par les staliniens qui, avait coûté la vie à Camilo Berneri, et celle de bien d’autres.
Le numéro du 19 juin 1937 annonce la parution de El Amigo del Pueblo, et sept jours plus tard, L’Adunata publie le manifeste dévastateur que l’Agrupación a distribué le 8 mai. Dans le numéro du 22 juillet, l’hebdomadaire déplorait l’adhésion au ministérialisme des médias libertaires hors d’Espagne, en contraste avec la persécution interne subie par les protestataires comme les Amis de Durruti, qui furent complètement réduits au silence.
Aussi le 28 août, L’Adunata
publia un article intitulé "Una Situación Intolerable" (Une situation intolérable), paru dans le numéro 5 de El Amigo del Pueblo.
A la fin de la guerre, L’Adunata a publié l’analyse "Durrutiste" des causes de la défaite reproduite ci-dessous.
Enfin, le numéro du 11 mai 1940 contenait le témoignage d’un participant aux Journées de mai, signé "Saida". Son évaluation était la suivante :

"La semaine sanglante de Barcelone a été un coup de poignard dans le cœur du plus grand feu émancipateur de tous les temps.
Il se trouve que l’Espagne libertaire, menacée par toutes les trahisons, toutes les abjurations et tous les renoncements, a dû s’agenouiller comme les taureaux dans l’arène ardente, même si, de la part d’un titan de ce calibre, on pouvait s’attendre à la gloire de succomber debout.
Nous sommes convaincus d’une chose. Même si ceux qui justifient le sectarisme ou l’inconscience des responsables du mouvement libertaire espagnol ne le croient pas, s’ils avaient pris le taureau par les cornes et occupé la Catalogne, l’Aragon et le Levante, comme cela était indiscutablement possible en mai 37, en acceptant le défi que cela impliquait dans ses conséquences extrêmes, le mouvement ibérique en serait sorti digne et son avenir aurait été sauvé."

Miguel Amoros, octobre 2022.



Premières pages de Los amigos de Durruti 106.9 kio / PDF